07-08-2025 14:15 - Gouvernement mauritanien : chronique d’une incompétence organisée. Par Pr ELY Mustapha

Gouvernement mauritanien : chronique d’une incompétence organisée. Par Pr ELY Mustapha

Pr. ELY Mustapha -- La Mauritanie traverse une crise structurelle de gouvernance. Les échecs répétés dans la planification, l'exécution et le suivi des politiques publiques témoignent d’une incompétence généralisée au sein du gouvernement.

Aucun secteur clé n’est épargné.

L’éducation, la santé, les infrastructures, l’énergie, l’économie et même l’administration sont minés par une gestion hasardeuse, clientéliste, souvent opaque.

Ces dérives ne sont pas abstraites. Elles se traduisent par un coût économique massif supporté chaque année par les contribuables. En 2024, l’impact cumulé des erreurs, négligences et gaspillages gouvernementaux est estimé entre 245 et 340 milliards d’ouguiyas (MRU), soit jusqu’à 34 % du budget national.

Cette estimation tient compte des dépenses engagées pour des projets inutilisables, des pertes liées aux malfaçons, des subventions inefficaces, ainsi que des déficits entretenus par des politiques incohérentes.

Le ministère des Transports et des Infrastructures concentre à lui seul une part importante de ces pertes. Chaque année, entre 65 et 90 milliards MRU sont engloutis dans des projets d’infrastructure mal planifiés, mal exécutés ou inachevés. La route Rosso–Nouakchott, attendue depuis une décennie, reste en partie non livrée.

L’échangeur de Dar Naim, fissuré peu après sa mise en service, témoigne d’un défaut de suivi technique. L’aéroport de Néma, rénové à grand frais, n’est pas fonctionnel. Le port de Ndiago, censé renforcer la connectivité maritime, reste sous-utilisé malgré des investissements massifs.

La responsabilité directe incombe au ministre en charge, qui n’a pas mis en place un mécanisme de contrôle rigoureux des appels d’offres ni imposé de sanctions en cas de malfaçons. Les bureaux de contrôle sont écartés, les marchés attribués de gré à gré, et les surcoûts acceptés sans justification.

La situation sanitaire du pays est tout aussi préoccupante. Le ministère de la Santé absorbe entre 45 et 60 milliards MRU par an sans parvenir à garantir un accès équitable à des soins de qualité. Les hôpitaux régionaux manquent de personnel, de médicaments et de matériel de base.

À Nouakchott, les grandes structures hospitalières souffrent d’un manque d’entretien chronique. L’hôpital Cheikh Zayed connaît des coupures de courant régulières, faute de groupes de secours fonctionnels. Durant la crise sanitaire, des millions ont été engagés dans l’achat de matériel COVID stocké ou inopérant.

Le ministère n’a jamais instauré de procédures claires pour la maintenance des équipements ni assuré la formation continue des soignants. L’absence de planification sanitaire pluriannuelle et de gestion décentralisée contribue au délabrement du secteur.

Le ministère de l’Énergie et de l’Hydraulique enregistre lui aussi des pertes colossales, évaluées entre 40 et 55 milliards MRU par an. Les projets de centrales solaires rurales, financés par des partenaires extérieurs, sont pour la plupart en panne après quelques mois. Les systèmes de pompage d’Aftout El Chargui ne répondent plus aux besoins. Le barrage de Foum Gleita est opérationnel de façon irrégulière.

La société nationale d’électricité (SOMELEC) est déficitaire de façon structurelle et subventionnée à perte. Le ministère ne dispose pas d’un plan de maintenance ni d’un dispositif de suivi technique fiable. La décentralisation des mini-réseaux électriques est abandonnée, au profit de projets pharaoniques centralisés qui échouent à fournir une couverture stable et continue.

L'échec du ministère de l'Éducation est manifeste et mesurable. Le coût annuel de l’inefficacité du système éducatif est estimé entre 35 et 50 milliards MRU. Le taux d’abandon scolaire dépasse les 30 % au primaire, en particulier dans les zones rurales. Les examens du baccalauréat de 2024 ont révélé une réussite inférieure à 15 %, un effondrement du niveau scolaire national. De nombreuses écoles n’ont ni mobilier, ni eau potable, ni sanitaires.

Des enseignants non formés dispensent des cours sans suivi pédagogique. Le ministère refuse de revoir la carte scolaire, ne pilote aucun plan de redressement et n’a pas actualisé les programmes depuis plus de dix ans. L’éducation, pourtant socle du développement, est livrée à elle-même.

Le ministère de l’Économie et des Finances, censé être le gardien de la rigueur budgétaire, valide des dépenses non conformes et tolère un niveau d’endettement public inquiétant. La dette est passée de 36 % à 72 % du PIB entre 2016 et 2024, sans impact visible sur le développement national.

Chaque année, entre 25 et 35 milliards MRU sont absorbés par des mécanismes opaques de gestion des projets, des surfacturations validées sans audit externe, et des fonds d’investissement pilotés en dehors de tout cadre stratégique.

Les contrats fictifs sont rarement dénoncés, les détournements budgétaires restent impunis (le plus récent est celui du Ministère des affaires islamiques, parce que juste trop visible et parce qu'il a eu droit au regard - Ô combien rare - de l'IGE) . Le ministère agit sans transparence et refuse de publier des bilans détaillés accessibles au public.

Le ministère de l'Habitat et de l'Aménagement du territoire coûte entre 20 et 30 milliards MRU par an à cause du désordre foncier organisé. Des centaines de parcelles sont attribuées de façon multiple, entraînant une insécurité juridique permanente. Le cadastre numérique, financé par des bailleurs, n’a jamais été mis en place.

L’urbanisation est anarchique, sans voirie ni services publics, aggravant les inégalités sociales. Le ministère ne propose aucun plan d’aménagement réaliste et tolère les occupations illégales et les spéculations foncières entretenues par les réseaux clientélistes.

Enfin, le ministère de la Fonction publique et de l’Administration absorbe entre 15 et 20 milliards MRU par an en salaires fictifs, indemnités indues et dysfonctionnements internes. L’administration mauritanienne reste archaïque, avec des effectifs pléthoriques, des agents fantômes et une absence totale de politique de mérite. Les tentatives de numérisation sont restées sans suite.

Les procédures administratives prennent des mois. La corruption à bas niveau est généralisée. Le ministre ne propose aucun plan de modernisation sérieux et s’oppose à toute évaluation externe des ressources humaines.

D'autres ministères, tels celui de la Défense et de l'intérieur reçoivent des allocations budgétaires, annuelles, en Milliards de MRU qu'aucune institution ne contrôle (ni n'ose contrôler) et qui sont gérés dans une opacité totale.

Ces dysfonctionnements multiples ne relèvent pas de simples erreurs. Ils sont le résultat d’un système politique qui entretient l’irresponsabilité. Aucun ministre n’a démissionné, aucun n’a été poursuivi pour négligence ou mauvaise gestion.

Les pertes supportées par la collectivité sont immenses. Elles affaiblissent l’économie, aggravent la pauvreté et empêchent tout progrès réel. La Mauritanie mérite une administration compétente, redevable, et centrée sur le service public. Tant que les responsables continueront à échapper à l’obligation de résultat, les citoyens continueront à payer l’addition.

L’incompétence du gouvernement mauritanien : une stratégie organisée.

Contrairement à ce que certains voudraient faire croire, l’incompétence du gouvernement mauritanien n’est ni un accident, ni le fruit de simples erreurs de parcours. Elle est volontaire, planifiée, et structurée. Il s’agit d’une stratégie de pouvoir bien rodée, destinée à maintenir une élite au sommet, à étouffer toute opposition, à préserver les privilèges, et à empêcher tout véritable progrès démocratique ou socio-économique. Loin d’être une faiblesse du système, cette incompétence est au cœur de son fonctionnement.

Le premier pilier de cette stratégie repose sur le clientélisme. Les postes de responsabilité dans l’administration, les entreprises publiques ou même dans certains segments de l’armée ne sont pas attribués en fonction des compétences, mais en fonction des allégeances personnelles, tribales ou politiques.

Ce mécanisme garantit une loyauté aveugle au sommet de l'État, tout en écartant les profils compétents et indépendants susceptibles de remettre en cause le statu quo. En choisissant délibérément des personnes incompétentes, le pouvoir évite les contre-pouvoirs internes et maintient un contrôle total.

Ensuite, la corruption n’est pas un dysfonctionnement du système ; elle en est la colonne

vertébrale. Les détournements de fonds, la surfacturation, les marchés truqués, les postes achetés : tout cela fonctionne comme un vaste réseau d’enrichissement mutuel entre hauts fonctionnaires, hommes d’affaires liés au régime et politiciens. Dans cet environnement, l'efficacité de l'État est perçue comme un danger : un système performant limiterait les opportunités de vol et exigerait de la transparence. C’est pourquoi les institutions sont volontairement affaiblies, et les services publics volontairement laissés en ruine.

Cette stratégie repose aussi sur une impunité totale. Aucune autorité judiciaire ou parlementaire n’a les moyens – ni parfois la volonté - de contrôler les agissements du gouvernement. La justice est instrumentalisée, les médias sont muselés ou achetés, et les rares voix dissidentes sont étouffées, voire persécutées.

En l’absence de redevabilité, le régime peut persister dans l’inefficacité sans jamais être inquiété. L’inefficacité devient même un outil de gouvernance : elle favorise la confusion, empêche l’émergence d’alternatives crédibles, et rend le peuple dépendant des faveurs ponctuelles du pouvoir.

Un autre levier fondamental est l’appauvrissement volontaire du système éducatif. En maintenant un enseignement public dégradé, mal financé, et peu qualifiant, le pouvoir s’assure que la majorité de la population reste mal formée, peu consciente de ses droits, et incapable de remettre en question l’ordre établi. Un peuple éduqué serait une menace pour une élite incapable de justifier son monopole sur les richesses et les décisions. Cette ignorance organisée permet au régime de gouverner sans être remis en cause.

Enfin, la marginalisation volontaire de certaines composantes de la population – notamment les Noirs africains, les Haratines, et certaines communautés rurales - constitue un fondement central de cette incompétence organisée.

En excluant ces groupes de manière systématique des cercles du pouvoir et de l’accès équitable aux services publics, le gouvernement crée une fracture sociale durable, qu’il exploite pour diviser la population et éviter toute contestation unifiée. Cette exclusion n’est pas un oubli : c’est une stratégie de domination.

Il est donc clair que l’incompétence du gouvernement mauritanien est une construction politique délibérée. Elle sert à protéger les intérêts d’une minorité, à contrôler la population par la dépendance et la peur, et à empêcher toute réforme structurelle.

Tant que ce système persistera, aucun développement durable, aucune justice sociale, et aucune gouvernance démocratique ne seront possibles. Il ne s’agit pas de réformer une machine déréglée, mais de démanteler un système consciemment bâti pour échouer - sauf pour ceux qui en profitent.

Pr ELY Mustapha



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Commentaires (5)

  • activiobservat (H) 07/08/2025 21:33 X

    Diaspora pages- Article intéressant, mais c'est quand même curieux que vous ne parlez que des incompetences des ministeres chargés des infrastructures de base alors que les incompétentes dans les ministères de souveraineté peuvent être plus graves pour le pays car leurs conséquences sur les autres secteurs d'économie et services expliquent tout. Par exemple pour la diplomatie, il ne faut s'attendre à rien de ce ministre Oul Merzoug sauf que sa présence aux affaires etrangeres va endommager et ternir l'image du pays a l'extérieur, et va pousser les négociateurs étrangers a profiter de ses faiblesses et complexes et manque confiance en lui même. C'est vraiment dommage que les efforts diplomatiques du président Ghazouani et les efforts des ministres charges des nfrastructures et services de bases, vont être handicapés par la présence de ce ministre Oul Merzoug dans ce ministère de souveraineté vitrine extérieure du pays censé rapporter des gains pour le pays en financements des services de base et en respect pour que les mauritaniens ne soient victimes à sang froid sur nos frontières du Nord et du Sud.

  • kaykouta (H) 07/08/2025 20:21 X

    Respects professeur ELY. Dommage cher Professeur. Ce pays va à la dérive. Vos articles sont pour nous une éducation et surout un appel à notre conscience pour ne jamais oublier et nous donne l'espoir que tout cela va changer. Vous êtes un grand espoir . Merci pour cela.

  • pyranha (H) 07/08/2025 17:56 X

    Comme toujours merci Pr Ely. Et pourtant avec tout ce calvaire, nos pseudo intellectuels ne trouvent rien comme sujet de débats ,que de s'entre déchirer et se creper le chignon sur des futilités d'emmerder les étrangers et télescoper les citoyens entre eux . Le pouvoir arrive toujours à orienter les intellectuels sur des débats de foutataises pour faire oublier que les populations en ont ras le bol et qu'ils doivent impérativement tous vider le plancher. Mais celà n'étant réalisable qu'avec la cohésion des citoyens, le pouvoir fait tout pour diviser ce peuple bête et sans intelligence. Chacun tape sur l'autre et pouvoir félin et incapable continue des bêtises.

  • Hartaniya Firilile (H) 07/08/2025 16:07 X

    Pendant combien de temps encore cette situation profitera-t-elle aux personnes malhonnêtes de notre société ? Le sombre portrait que vous avez dépeint reflète parfaitement la réalité. Tout ce que vous décrivez est exact. Je me demande combien de temps cette situation perdurera. Les personnes noires et les intellectuels de ce pays ne comptent plus, ce qui mène inévitablement notre nation vers un déclin irréversible. Je fais partie de ceux qui croient en un changement profond, tant sur le fond que sur la forme. Que Dieu nous vienne en aide, car le peu qui restait s'est évaporé sous le régime de Ghazouani. Nous n'attendons plus rien de lui ni de son gouvernement.

  • diargua (H) 07/08/2025 15:49 X

    Comme l'a dit Ksamnt :le mensonge déguise la vérité dans l'esprit même du menteur ; Il implique toujours une volonté de tromper car il apparaît une construction préméditée dans l'intention d'obtenir l'adhésion de l'interlocuteur à un point de vue que l'on sait faux ou que l'on croit faux. Ce qui derange sincerement tout citoyen c'est les propos de notre President à Trump :`` la mauritanie est un PETIT pays...´´ Comment des lors un petit pays n'arrive pas à offrir de l'eau à son peuple ???