27-08-2025 14:58 - Mauritanie : Des années d’abus liés aux contrôles des migrations

Mauritanie : Des années d’abus liés aux contrôles des migrations

Human Rights Watch - Le soutien de l’UE et de l’Espagne a attisé des mesures répressives et a continué en dépit des abus ; des réformes sont en cours.

. Les forces de sécurité mauritaniennes ont commis de graves violations des droits humains entre 2020 et début 2025 à l’encontre des migrants et des demandeurs d’asile.

. L’Union européenne, ainsi que l’Espagne de manière bilatérale, ont continué à externaliser la gestion des migrations vers la Mauritanie, malgré les violations des droits humains commises dans ce pays.

. Les mesures récentes prises par le gouvernement mauritanien pourraient améliorer la protection des migrants et de leurs droits. Elles devraient se poursuivre, et l’UE et l’Espagne devraient veiller à ce que leur coopération avec la Mauritanie en matière de migration donne la priorité aux droits et à la sauvegarde des vies humaines.

Nairobi) – Les forces de sécurité mauritaniennes ont commis de graves violations des droits humains entre 2020 et début 2025 à l’encontre de migrants et de demandeurs d’asile originaires principalement d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, souvent lorsque ceux-ci tentaient de quitter le pays ou d’y transiter, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Cependant, les mesures et les engagements récents du gouvernement mauritanien pourraient améliorer la protection des migrants et le respect de leurs droits.

Le rapport de 163 pages, intitulé « ‘Ils m’ont accusé de tenter de rejoindre l’Europe’ : Abus liés au contrôle des migrations en Mauritanie et à la politique d’externalisation de l’UE », documente des abus commis par la Police, la Garde Côtes, la Marine, la Gendarmerie et l’Armée mauritaniennes lors du contrôle des frontières et des migrations, notamment des actes de torture, des viols et d’autres violences ; du harcèlement sexuel ; des arrestations et détentions arbitraires ; des conditions de détention inhumaines ; des traitements à caractère raciste ; des extorsions et des vols ; et des expulsions sommaires et collectives. Les mesures répressives et les violations des droits ont été exacerbées par la continuation de la politique de l’Union européenne et l’Espagne d’externalisation de la gestion des migrations vers la Mauritanie, notamment en apportant pendant des années leur soutien aux autorités mauritaniennes chargées du contrôle des frontières et des migrations.

« Pendant des années, les autorités mauritaniennes ont mené une politique abusive en matière de contrôle des migrations – malheureusement courante en Afrique du Nord – en violant les droits des migrants africains originaires d’autres régions », a déclaré Lauren Seibert, chercheuse sur les droits des réfugiés et des migrants à Human Rights Watch. « Mais les récentes réformes mises en place par la Mauritanie montrent qu’une nouvelle approche est possible. Le gouvernement devrait continuer sur cette lancée, renforcer la surveillance des forces de sécurité et mettre fin aux expulsions collectives. »

Entre 2020 et mi-2025, Human Rights Watch a mené avec 223 personnes des entretiens par téléphone et en personne lors de visites en Mauritanie, au Mali, au Sénégal, et auprès des institutions européennes à Bruxelles. Outre des entretiens menés avec 102 migrants et demandeurs d’asile originaires du Sénégal, de Guinée, du Mali, du Cameroun, de Sierra Leone et du Libéria, Human Rights Watch a interviewé des représentants des gouvernements, des Nations Unies et de l’Union européenne ; des membres d’organisations non gouvernementales et de la société civile ; des proches de victimes d’abus ; des témoins ; des experts ; des avocats ; des membres des communautés locales ; et d’autres personnes.

Human Rights Watch a examiné des blessures résultant d’abus présumés ; recueilli des photos, des vidéos et des documents pour corroborer les témoignages ; et, en 2022 et 2023 en Mauritanie, a visité des centres de rétention pour migrants ainsi que la prison de Dar Naïm, où étaient détenues des personnes accusées de trafic de migrants.

Human Rights Watch a documenté des violations commises par les forces de sécurité mauritaniennes entre 2020 et 2025 à l’encontre de 77 migrants et demandeurs d’asile – hommes, femmes et enfants – ainsi qu’à l’encontre d’un homme mauritanien qui a déclaré avoir été torturé par la police lors d’interrogatoires liés au trafic de migrants en 2022.

Entre 2020 et 2024, un nombre croissant de migrants et de demandeurs d’asile ont tenté d’emprunter la « Route Atlantique » en bateau depuis le nord-ouest de l’Afrique jusqu’aux îles Canaries espagnoles, dont un grand nombre depuis la Mauritanie. Certains ont fui les conflits ou les persécutions dans leur pays – notamment au Mali, où le conflit armé s’est aggravé parallèlement à la répression exercée par le gouvernement – tandis que d’autres cherchaient à échapper à la pauvreté et à trouver du travail. En 2024, un nombre record de 46 843 personnes sont arrivées par bateau aux Canaries. Environ 11 500 personnes sont arrivées entre janvier et juillet 2025.

La Mauritanie attire aussi depuis longtemps des personnes originaires de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale qui sont à la recherche d’un travail, et elle accueille quelque 176 000 demandeurs d’asile et réfugiés enregistrés, pour la plupart originaires du Mali. Certains migrants cherchent à transiter par la Mauritanie pour se rendre au Sahara occidental, occupé par le Maroc ; au Maroc même ; ou en Algérie.

En 2024, la Mauritanie a signé un nouveau partenariat en matière de migration avec l’UE en échange d’un financement de 210 millions d’euros destiné à réduire les flux de la migration irrégulière, un accord comparable à ceux conclus par l’UE avec la Tunisie et l’Égypte. Dans le même but, l’Espagne a renforcé son soutien bilatéral, tout en maintenant le déploiement de la police et des gardes civils (« Guardia Civil ») espagnols en Mauritanie pour aider les autorités avec le contrôle des migrations.

Des dizaines de personnes qui avaient été détenues dans des centres de rétention pour migrants gérés par la police mauritanienne ont décrit des conditions et des traitements inhumains, notamment le manque de nourriture, des mauvaises conditions sanitaires, parfois la détention d’adolescents avec des adultes sans lien de parenté avec eux, et certains cas de passages à tabac infligés par des gardiens.

Entre 2020 et mi-2025, la police mauritanienne a expulsé des dizaines de milliers d’étrangers africains de multiples nationalités – généralement sans appliquer de procédure légale formelle et sans leur donner la possibilité de contester leur expulsion – vers des zones reculées situées le long des frontières avec le Mali et le Sénégal, où l’aide limitée, conjuguée à la détérioration de la sécurité dans la région de Kayes au Mali, a exposé ces personnes aux risques. Au cours du premier semestre 2025, la Mauritanie a expulsé plus de 28 000 personnes, selon le gouvernement.

Marco Gibson, un homme libérien, a déclaré que l’armée mauritanienne l’avait arrêté avec un groupe de plus de 40 migrants près de la frontière nord de la Mauritanie en décembre 2024, alors qu’ils tentaient de rejoindre le Sahara occidental occupé par le Maroc : « Certains [agents de l’armée mauritanienne]... nous ont battus avec des bâtons... [et] un fouet en caoutchouc. … Je n’avais jamais rien vu une attitude aussi brutale. » Après sa détention, il a déclaré que la police l’avait expulsé avec une vingtaine d’autres personnes, dont plusieurs enfants, vers la ville frontalière malienne de Gogui, dans le cercle administratif de Nioro du Sahel dans la région de Kayes. Quelques jours plus tard, un groupe armé islamiste a attaqué Nioro.

Human Rights Watch a documenté l’usage prolongé ou douloureux de menottes par des policiers, le manque de nourriture et d’eau, et d’autres mauvais traitements pendant des expulsions, ainsi que des cas d’enfants, de demandeurs d’asile et de personnes ayant un statut d’immigration valide en Mauritanie figurant parmi les personnes expulsées.

Le rapport souligne aussi les effets négatifs des interceptions et renvois forcés de bateaux de migrants par la Mauritanie, avec le soutien de l’UE et de l’Espagne, alors que les opérations de recherche et de sauvetage dans l’Atlantique restent insuffisantes, ce qui contribue aux décès en mer qui se poursuivent.

En finançant et équipant les forces mauritaniennes, et en collaborant avec elles pendant des années dans le but de renforcer les contrôles des frontières et des migrations sans avoir assuré des garanties adéquates du respect des droits humains, l’UE et l’Espagne ont contribué à la répression contre les migrants et partagent la responsabilité des abus commis en Mauritanie, a déclaré Human Rights Watch. Dans certains cas, des forces espagnoles étaient présentes lors d’arrestations et de détentions abusives de migrants par des autorités mauritaniennes. L’UE a également financé la rénovation de deux anciens centres de rétention de migrants, qui devraient ouvrir cette année pour accueillir des migrants interceptés ou secourus en mer.

Dans une réponse aux questions de Human Rights Watch, le gouvernement mauritanien a déclaré qu’il « rejette catégoriquement les allégations de torture, de discrimination raciale ou de violations systématiques des droits des migrants ». Il a cité les mesures récentes prises pour améliorer le respect des droits, notamment l’« interdiction stricte des expulsions collectives » et les nouvelles Procédures Opérationnelles Standard (POS) adoptées en mai 2025 pour réglementer les débarquements et la « prise en charge » des migrants, avec des garanties solides en matière de droits et de protection.

Dans sa réponse à Human Rights Watch, la Commission européenne a déclaré que son partenariat avec la Mauritanie était « solidement ancré » dans le respect des droits et a cité le soutien de l’UE aux POS et à d’autres initiatives centrées sur les droits.

« Les mesures prises par le gouvernement mauritanien pour améliorer le respect des droits des migrants étaient vraiment nécessaires », a déclaré Lauren Seibert. « En allant plus loin pour mettre fin aux abus, la Mauritanie pourrait potentiellement montrer la voie vers une gestion des migrations respectueuse des droits en Afrique du Nord. De leur côté, l’UE et l’Espagne devraient veiller à ce que leur coopération avec la Mauritanie en matière de migration donne la priorité aux droits et à la sauvegarde des vies humaines, au lieu de soutenir des mesures répressives qui conduisent à des abus. »





Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


Commentaires : 0
Lus : 429

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (0)