20-11-2012 00:44 - Yéro Djigo «Le public est assoiffé d’images»

Yéro Djigo «Le public est assoiffé d’images»

L’an dernier c’était un documentaire, «Les pas des médias en Mauritanie». Cette année un film de vampires, «La vengeance de Faïza». Tous les deux ont valu à Yero Djigo le 1er prix de la compétition nationale au festival du film de Nouakchott. Rencontre avec un cinéaste qui se détache du peloton.

Propos recueillis par Mohamed Coulibaly et Claire Jeannerat :

Citymag: Quel sentiment cela vous fait-il d’avoir gagné une fois, puis deux fois ce concours?

- Yero Djigo: Franchement, je ne m’y attendais pas. A chaque fois je suis très surpris. Quand je fais mon film je ne pense pas à la SENAF, je ne pense pas à gagner un prix. Je fais mon film parce que ça colle à la période durant laquelle je le fais, premièrement. J’ai fait Les pas des médias en Mauritanie dans le contexte de la libéralisation de l’audiovisuel en Mauritanie.

Le projet de celui-ci, La vengeance de Faïza, est né pendant que je réalisais un documentaire sur les violences sexuelles pour l’Association mauritanienne pour la santé de la mère et de l’enfant. Donc moi je fais mon film, après les gens trouvent ça bien, ils me donnent des prix. Je suis très content, et j’espère que ça va continuer! (rires)

Citymag: Le fait de gagner ce concours vous a-t-il amené des opportunités?

- Le prix pour Les pas des medias m’a ouvert beaucoup de portes. Je n’ai pas participé à d’autres concours à l’extérieur du pays, mais quand même j’ai eu beaucoup de contacts. Une télévision a voulu acheter le film, le site internet Noor Info l’a diffusé, il est passé au festival Assalamalekoum, j’ai reçu beaucoup d’encouragements... C’est une certaine reconnaissance. Aussi minime soit-elle, pour moi c‘est quelque chose. Les gens aiment ce que je fais, je suis content. C’est ça qui m’a donné l’envie de faire un deuxième film, qui peut-être ira au-delà des frontières mauritaniennes. Aussi, ça me positionne dans la hiérarchie des acteurs de l’audiovisuel en Mauritanie.

Citymag: Quel regard portez-vous sur la SENAF, maintenant Nouakshort Films, et sur cette édition 2012?

- C’est très, très intéressant parce que c’est un lieu de retrouvailles pour les Mauritaniens dont beaucoup n’ont jamais vu d’images sur grand écran. Ça donne de l’espoir aussi aux jeunes cinéastes que des autorités viennent voir leur film. Pour moi c‘est quelque chose à encourager. D’ailleurs à chaque fois je n’ai pas envie que ça s’arrête. Une semaine, je trouve ça très court.

Citymag: Pourquoi avoir choisi de traiter une thématique aussi délicate que celle du viol à travers un film de vampires?

- Au début c’était un délire entre potes de faire un film de vampires. Mais on n’avait pas vraiment de matériel. Et puis je me suis retrouvé à faire un film sur les violences sexuelles, et j’ai été très choqué. Alors j’ai essayé de lier les deux, pour faire un peu peur aux adolescents - à cet âge-là on ne sait pas comment exprimer sa vie sexuelle et parfois on fait n’importe quoi. Je voulais leur montrer que parfois ça peut finir dans un bain de sang. Comme je l’ai fait dans le film: la jeune fille rencontre une vieille dame qui lui transmet un pouvoir, alors elle se transforme en vampire et elle s’attaque à ses bourreaux et les élimine un par un.

Citymag: Pourquoi avoir choisi un personnage de vampire et pas un sorcier, plus africain?

- Je me suis dit qu’il fallait révolutionner un peu le cinéma mauritanien, ou africain en général. Parce qu’on se retrouve toujours à faire les mêmes films, des films d’amour, de conflits de société... Je voulais montrer aux Mauritaniens que ce que les Américains faisaient hier, aujourd’hui on a compris, on peut le faire en Mauritanie. Mais j’essaye de ne pas perdre ce côté africain. Par exemple j’ai utilisé un collier dans le film, le collier qui donne le pouvoir à la jeune fille, c’est un collier très africain.

Citymag: Quelles sont des difficultés qu’on rencontre quand on veut faire du cinéma en Mauritanie?

- Les acteurs. C’est même pour cela que dans La vengeance de Faïza il n’y a pas de dialogue. C’était prévu, mais je n’en ai pas mis à cause des acteurs. La jeune fille qui joue Faïza est très motivée, elle veut aller se former, mais on voit clairement que ça manque. Mais ce n’est pas seulement ça. Il y a le matériel qui fait défaut, il y a un manque de formation des techniciens...

Citymag: Et le public?

- Le public apprécie les films, mais il n’a pas les supports qu’il faut pour voir ce que les jeunes Mauritaniens font en matière de cinéma. Il n’y a pas de salle de cinéma, nos films ne passent pas à la télé. Pourtant le public est assoiffé d’images.

Citymag: Quels sont vos projets?

- J’aimerais bien qu’il y ait des écoles d’audiovisuel en Mauritanie. Moi je n’en ai pas les moyens, mais j’aimerais qu’il y en ait. Sinon personnellement j’ai commencé à écrire mon prochain film, j’essaie de me perfectionner en photo. Et j’espère aller bientôt poursuivre ma formation en France. .

Bio express

Né à Rosso en 1980, Yero Djigo grandit à Nouakchott. C’est là qu’il commence à fréquenter les cinémas. «Mais je ne pensais pas que j’allais devenir cinéaste, j’avais plutôt envie d’être à la place des acteurs», sourit-il. Après sa scolarité, il crée une petite entreprise de photo, vidéo et formation en informatique à Medina 3. Un ami l’initie à l’infographie. Et «je filmais aussi un peu ce qui se passait dans le quartier». L’image, déjà, mais sans direction précise.

En 2007 a lieu une rencontre que l’on peut qualifier de décisive avec le journaliste français Dominique Christian Mollard. Yero Djigo le suit à Nouadhibou sur le tournage d’un documentaire sur l’immigration clandestine, Destinos clandestinos. A son retour, fort de l’expérience emmagasinée durant ce stage, Yero Djigo est embauché comme cameraman à Sahara Medias. «Le premier jour j’ai filmé une manifestation, et mes images ont fait le tour des télévisions arabes, se souvient-il. Là j’y ai vraiment pris goût». Il est sur les lieux lors de la fusillade qui a suivi l’évasion de Sidi Ould Sidina, en avril 2008. «Je suis resté enfermé dans une maison de 17h jusqu’au lendemain matin. J’ai beaucoup pensé à ma mère!», se rappelle-t-il.

En 2010 il décroche une bourse via l’ambassade de France et suit une formation de JRI (journaliste reporter d’images) d’un mois et demi à Montpellier. C’est à son retour qu’il réalisera Les pas des médias en Mauritanie. On connaît la suite. A côté de cela Yero Djigo réalise des films institutionnels (Croix-Rouge, HCR, entre autres) sous son label Sahel Production, collabore avec l’Institut français dans le domaine de la photographie et donne à l’occasion des formations.

CityMag (Mauritanie)


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