19-02-2014 23:58 - « Discours sur la pauvreté »

« Discours sur la pauvreté »

Hathlele - « Discours sur la pauvreté » que prononcera, devant l’Assemblée Nationale Mauritanienne, le grand poète Victor Hugo en sa qualité de député posthume.

«Je ne suis pas, Messieurs, de ceux qui croient qu'on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu'on peut détruire la pauvreté. Remarquez-le bien, Messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire.

La pauvreté est une maladie du corps social comme la poliomyélite était une maladie du corps humain ; la pauvreté peut disparaître comme la poliomyélite a disparu. Détruire la pauvreté ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n'est pas le fait, le devoir n'est pas rempli.

La pauvreté, Messieurs, j'aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir où elle en est, la pauvreté ? Voulez-vous savoir jusqu'où elle peut aller, jusqu'où elle va, je ne dis pas en Somalie, je ne dis pas au moyen-âge, je dis en Mauritanie, je dis à Nouakchott, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ?

Ya Allah, je n'hésite pas à les citer, ces faits. Ils sont tristes, mais nécessaires à révéler ; et tenez, s'il faut dire toute ma pensée, je voudrais qu'il sortît de cette assemblée, et au besoin j'en ferai la proposition formelle, une grande et solennelle enquête sur la situation vraie des classes laborieuses et souffrantes en Mauritanie. Je voudrais que tous les faits éclatassent au grand jour. Comment veut-on guérir le mal si l'on ne sonde pas les plaies ?

Voici donc ces faits :

Il y a à Nouakchott, dans ces Kebba de Nouakchott que le vent de l'émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n'ayant pour lits, n'ayant pour couvertures, j'ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la décharge publique, où des créatures humaines s'enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid qui souffle sur La Mauritanie. Voilà un fait.

En voici d'autres : Ces jours derniers, un homme, ya Allah, un malheureux homme de lettres, car la pauvreté n'épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l'on a constaté après sa mort qu'il n'avait pas mangé depuis sept jours. Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du froid, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des abattoirs de Toujounine!

Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société toute entière ; que je m'en sens, moi qui parle, complice et solidaire, et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l'homme, que ce sont des crimes !

Voilà pourquoi je suis pénétré, voilà pourquoi je voudrais pénétrer tous ceux qui m'écoutent de la haute importance de la proposition qui vous est soumise. Ce n'est qu'un premier pas, mais il est décisif. Je voudrais que cette assemblée, majorité et opposition, n'importe, je ne connais pas, moi de majorité et de minorité en de telles questions ; je voudrais que cette assemblée n'eût qu'une seule âme pour marcher à ce grand but, à ce but magnifique, à ce but sublime, l'abolition de la pauvreté!

Et, messieurs, je ne m'adresse pas seulement à votre générosité, je m'adresse à ce qu'il y a de plus sérieux dans le sentiment politique d'une assemblée de législateurs ! Et à ce sujet, un dernier mot : je terminerai là.

Messieurs, comme je vous le disais tout à l'heure, vous venez avec le concours de la garde nationale, de l'armée et de toutes les forces vives du pays, vous venez de raffermir l'Etat ébranlé encore une fois. Vous n'avez reculé devant aucun péril, vous n'avez hésité devant aucun devoir. Vous avez sauvé la société régulière, le gouvernement légal, les institutions, la paix publique, la civilisation même. Vous avez fait une chose considérable... Eh bien ! Vous n'avez rien fait !

Vous n'avez rien fait, j'insiste sur ce point, tant que l'ordre matériel raffermi n'a point pour base l'ordre moral consolidé ! Vous n'avez rien fait tant que le peuple souffre ! Vous n'avez rien fait tant qu'il y a au-dessous de vous une partie du peuple qui désespère ! Vous n'avez rien fait, tant que ceux qui sont dans la force de l'âge et qui travaillent peuvent être sans pain ! Tant que ceux qui sont vieux et ont travaillé peuvent être sans asile !

Tant que l'usure dévore nos villages, tant qu'on meurt de faim dans nos villes tant qu'il n'y a pas des lois fraternelles, des lois musulmanes qui viennent de toutes parts en aide aux pauvres familles honnêtes, aux bons paysans du Sud de la Mauritanie, aux bons ouvriers du Nord de la Mauritanie, aux gens de cœur ! Vous n'avez rien fait, tant que l'esprit de changement a pour auxiliaire la souffrance publique ! Vous n'avez rien fait, rien fait, tant que dans cette œuvre de destruction et de ténèbres, qui se continue souterrainement, le méchant a pour collaborateur fatal l'homme malheureux!»

Adapté par Sidi Ould Bobba
D.E Collège « 3 » Zouerate.

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Source : hathlele
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Commentaires (1)

  • Brahimsidi (H) 20/02/2014 11:05 X

    Mieux vaut prendre les choses avec philosophie, façon de chercher une branche à laquelle s’accrocher !
    Mais je pense qu’il est bien plus probable que les pauvres se résignent à mourir de leur pauvreté plutôt que de voir les riches se passer ne serait-ce que de l’infime petite part de richesse dont ils n’auront jamais besoin.

    N’oubliez-pas qu’ils ne peuvent être riches qu’au prix de la pauvreté de ces innombrables petits pauvres. La marche du monde se faisant dans l’unique sens de la recherche de l’accumulation de richesses, il va s’en dire qu’inversement la masse des pauvres continuera inéluctablement à grossir, grossir…

    Au rythme où vont les choses, pour faire un riche, il faut fabriquer 10.000, 100.000 ou 1.000.000 peut-être même 1.000.000.000 de pauvres, sur des générations cela mènera sans nul doute à une catastrophe programmée.