06-05-2014 07:00 - Mémoire nationale Mauritanienne : Guerre civile et conquête coloniale au Sénégal.(4)…

Mémoire nationale Mauritanienne : Guerre civile et conquête coloniale au Sénégal.(4)…

Adrar Info - …La fin de la monarchie et l’essor de l’islam au Kajoor, 1859-1890. Le règne de Lat Joor : un bilan politique et symbolique ambivalent Lat Joor a une position importante mais ambiguë dans l’histoire du Sénégal et dans la mémoire wolof du passé.

Comme d’autres chefs puissants des dernières décennies de l’indépendance précoloniale, il a été adopté comme un symbole de résistance aux Français, et il constituait un élément important dans les interprétations populaires de la conquête.

Aujourd’hui, de nombreux Wolof considèrent Lat Joor comme un symbole héroïque de l’ancien régime. Son image contemporaine est le fruit d’un certain nombre de données séparées, écrites ou orales, africaines et françaises.

Des nombreux enfants Wolof peuvent raconter l’histoire de Lat Joor et de son cheval Maawlaw, et la manière dont il refusa le projet français du chemin de fer. Il fit le vœu que lui et son cheval mouraient avant de voir le chemin de fer terminé. Il s’agit d’un cliché qui condense le règne de Lat Joor en une seule image. Les bardes Wolof firent un poème épique qui le célèbre, en particulier parce que Lat Joor mourut pour l’honneur. Le poème-prière commence et se termine avec le rappel de ce que la population du Kajoor disait du Lat Joor :

« Lorsque nous te perdrons, nous deviendrons soldats (pour les Français) et nous payerons leurs taxes ; après toi, toutes ces choses, après toi toutes ces choses. » (Cité in Dieng 1990 : 374, 438).

Ce portrait de Lat Joor n’est pas le seul, il existe bien d’autres portraits. L’image contemporaine de ce dernier reflète aussi l’influence des habitants ; ceux qui étaient à Saint-Louis adoptèrent la cause de Lat Joor et celle d’une monarchie indépendante comme un moyen de protéger leur commerce. Les habitants s’opposèrent à la mainmise de la politique militaire des Français. Ils craignaient de perdre leurs places d’intermédiaires au Kajoor une fois que la monarchie serait détruite et le chemin de fer construit. Le « martyre » de Lat Joor en 1886 fut déjà l’occasion de protestations proto-nationalistes.

En fin, les musulmans et, en particulier, les membres de l’ordre mouride, ont des souvenirs importants de Lat Joor en relation avec le jihâd de Màbba, son règne au Kajoor et le fait que des nombreux membres de sa famille devinrent des disciples d’Amadou Bamba. Les souvenirs des musulmans sont de plus ambigus. Lat Joor eut des relations difficiles avec la communauté musulmane du Kajoor.

Des militants musulmans envahirent le Kajoor en 1874 et déclarèrent un jihâd contre Lat Joor. Des nombreux musulmans dans la province de Njambur refusèrent de se battre ou se joignirent à l’envahisseur. Il eut également des relations difficiles avec le père d’Amadou Bamba, Momar Anta Sali. Ce qui était vrai du père était encore plus vrai du fils.

La plupart de ce qui fait l’importance et l’ambiguïté de Lat Joor comme un « symbole » provient du fait qu’il joue un grand rôle dans la mémoire de toutes les factions qui ont participé à la guerre civile wolof. Des nombreuses controverses actuelles puissent leur inspiration dans les conflits factionnels qui émergèrent entre 1870 et 1880.

Lorsque Lat Joor revint aux frontières du Kajoor en 1869, il fit de gestes d’ouverture au parti musulman et à ses alliés. Il espérait que ses services auprès de Màbba et sa « conversion » feraient de lui un candidat acceptable pour le trône. Néanmoins, il était essentiellement un candidat Geej et les esclaves royaux constituaient l’essence de son armée. Il ne fut jamais capable de surmonter la contradiction entre les ceddo et les musulmans dans son entourage.

Son règne peut être divisé en deux périodes, la première de 1870 à 1875, fut défini par le conflit sur la place de l’islam et du parti musulman au cours de son règne. La question du chemin de fer et de la puissance française au Kajoor domina la seconde période de son règne, de 1875 à 1883[1].

Lat Joor et l’islam, 1870-1875 : des relations conflictuelles
Le retour de Lat Joor et de ses partisans, en 1869, intervint à un moment favorable à leurs plans de restaurer la dynastie Geej. Les Français avaient étendu leur pouvoir militaire au Sénégal et les expériences avec le pouvoir colonial au Waalo et au Kajoor étaient jugées comme des échecs coûteux qui n’avaient produit que peu de résultats concrets[2].

Les Français et les commerçants métis étaient très critiques vis-à-vis de l’aventurisme militaire et des effets sur le commerce (Ba 1976 : 396-399). Dans ces conditions, il n’était pas impossible aux anciens « ennemis de la France » d’obtenir une certaine reconnaissance une fois qu’ils avaient prouvé leur force locale. La relative faiblesse française donna à Lat Joor et à ses alliés l’espace dont ils avaient besoin. Néanmoins, dès le début, ils durent reconnaître qu’aucune restauration ne pouvait être un retour au passé.

Le traité qui reconnut Lat Joor comme roi en 1871, obligea le Kajoor à céder ses provinces de frontière, au Nord et au Sud, aux Français et aux alliés (Diouf 1990 : 238-243). Cependant, avant même que Lat Joor ait obtenu la reconnaissance française, il avait dû démontrer sa force politique. Il le fit au cours d’une série d’escarmouches militaires au cours desquelles il infligea des défaites aux forces françaises. En même temps, il ouvrait des négociations avec des notables de Kajoor.

En 1869, il campait sur la frontière du Kajoor et du Bawol et commençait à appeler ses partisans à émigrer à Bawol. Ceux qui refusaient s’exposaient à des raids de représailles. Lat Joor menaçait ainsi de détruire le commerce du Kajoor qui était en train de se développer après les années de famine des années 1864-1865.

Pour faire face à cette menace, les chefs musulmans de Njambur proposèrent en janvier 1870 de se débarrasser de tous les chefs nommés par les Français et de les remplacer par un seul, la Lingeer Debo[3]. En tant que reine, elle pourrait gouverner en partenariat avec les notables de Kajoor, dans ce cas le parti musulman, agissant en tant que régente pour son fils qui avait dix ans[4].

Cette proposition impraticable fut abandonnée en avril, lorsque le parti musulman se rallia derrière Omar Niang (Ñaan) qui avait été le chef de M’Bakol depuis au moins 1866[5]. La nouvelle proposition fut d’élire Omar Niang au titre de Jawriñ-Mbul, le plus haut titre traditionnel porté par un roturier, pour soutenir Lat Joor. Le 24 avril, une assemblée de trois cents notables commença à délibérer ; elle incluait des chefs du parti musulman et des partisans de Lat Joor ; ils votèrent pour élire Omar Niang Jawriñ-Mbul.

Le trône fût offert à Lat Joor s’il acceptait de gouverner en alliance avec Omar Niang. En juin, Lat Joor fut élu roi. Il arriva donc au pouvoir avec le soutien conditionnel du parti musulman[6]. Les musulmans n’étaient pas particulièrement influencés par son alliance passée avec Màbba. Ils soulignaient le rôle de Omar Niang et les accords négociés en 1870.

Omar Niang fut critique vis-à-vis de Màbba ; en 1866, il s’était plaint aux Français que les partisans de Màbba avaient pillé M’Bakol, se saisissant des propriétés, en menant des esclaves et mettant en esclavage des personnes libres[7]. Màbba avait été condamné par des nombreux musulmans importants du Kajoor pour les mêmes raisons[8].

Néanmoins le parti musulman était persuadé que Lat Joor avait fait une véritable allégeance à l’islam. Omar Niang–qui allait diriger la « trahison » musulmane vis-à-vis de Lat Joor en 1874–considérait sa décision en expliquant : « Nous avions entendu que Lat Joor était devenu musulman, c’est pourquoi nous l’avions élu.[9] » L’élection de Lat Joor eut d’importantes conséquences politiques. Il ne pouvait pas remplacer les musulmans qui avaient pris du pouvoir sous les Français, et son propre pouvoir en fut réduit.

C’est parce qu’il avait les mains liées au Kajoor qu’il adopta une politique étrangère agressive. Dès qu’il eut consolidé son pouvoir au Kajoor il tenta de conquérir le Bawol. Bien qu’il pût occuper la capitale de Bawol en 1873, il ne fut jamais capable de sécuriser son pouvoir dans cette région (Diouf 1990 :

249-250). En cas de succès, la conquête du Bawol lui aurait permis de récompenser les chefs ceddo. En fait, l’invasion du Bawol gagna seulement l’hostilité d’Amadou Seexu

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