27-05-2014 15:15 - Evènements de Zouerate en mai 68 : le terrible face à face expatriés / autochtones !!! (3)

Evènements de Zouerate en mai 68 : le terrible face à face expatriés / autochtones !!! (3)

Adrar-Info - 7. Les Européens préparent leur défense.

Comme on l’a vu précédemment, il était interdit de sortir de chez soi. Dans l’après midi, les militaires ont demandé de se regrouper dans des maisons à étage.

Aline Cianolli nous précise «Nous sommes partis chez Gaston et Monique Dhom . Edouard Russac et les époux Grenouillet nous ont rejoints plus tard. Nous avons rassemblé ce que nous pouvions en vivres et en moyens de défense : pelles, pioches, chaînes, c’étaient là toute notre richesse. Les hommes dormaient en bas, les femmes et les enfants à l’étage.

Les messieurs nous avaient aménagé une cachette dans le faux plafond, (je doute encore aujourd’hui de sa solidité et de son efficacité)
.

Thierrry Arnoul de son côté nous relate: «Les adultes prirent la décision de barricader les maisons, tout pouvait servir. Ils décidèrent de vidanger l’essence des véhicules de retirer les batteries, d’organiser notre défense. Les commentaires des adultes allaient bon train, qu’allons nous faire, les autorités compétentes sont elles au courant, l’armée va t-elle intervenir, etc etc…

Le soir quand mes parents nous ont couché, en haut de l’escalier il y avait de drôles de bouteilles de Pschitt avec un morceau de chiffon qui en sortait. Je demandais à mon père de quoi il s’agissait, il était embêté et c’est ma mère qui me répondit, ce sont des coktails Molotov, c’est pour se défendre. S’ils tentent d’ouvrir la porte, on allume le chiffon et on les lance par les fenêtres pour qu’ils explosent.

Papa s’en chargera et pendant ce temps avec ta sœur tu passeras par la fenêtre de ta chambre et vous irez vite chez les Rigots sans vous occuper de nous. C’était la consigne de mes parents. Là, j’ai passé une nuit très agitée. Mes parents ne dormaient pas, ils venaient très souvent nous voir, inquiets pour nous mais réconfortants
.

Roger Grunfelder: «Regroupés dans un logement à étage appartenant à une autre famille, j’ai décidé d’aller chercher à mon logement, qui donnait directement sur le boulevard, des affaires pour notre tout jeune enfant. Je me suis senti observé par les groupes se trouvant de l’autre côté de la rue. A l’intérieur, je me suis enfermé et le stress est survenu.

Une idée me traversa la tête en voyant la bouteille de gaz, je me suis souvenu de ma “formation pompiers “ et l’ai préparé pour en faire un genre de chalumeau géant en débranchant le flexible et plaçant à proximité allumettes et papiers, le tout placé vers la porte d’entrée. Au retour, j’ai aperçu Jeannot Breda qui courrait vers son domicile où il se barricada pour échapper à un caillassage en règle
»

Hélène Laurens: «De chez nous, on ne sentait pas trop le danger. Maman et ma soeur sont parties chez les Borg l’après-midi. Quand je suis sortie pour m’apprêter à les rejoindre, j’ai entendu des tirs d’armes : demi-tour avec les fennecs dans les bras. Ouf, quand elles sont arrivées ! Nous avons basculé la table de la salle à manger contre la porte d’entrée (pas très solide ces portes), et, fermé les volets. Nous avions une carabine – mes parents se trouvaient au Congo français au moment où le Congo belge était en ébullition d’où cette arme – on ne sait jamais… Avec la notice, nous avons remonté l’engin !

Quand le calme a paru être revenu, nous sommes allées dans le jardin. Une maison occupée par le Directeur de l’école mauritanienne nous séparait des
Gabella. Eux aussi étaient dehors. Nous nous sommes parlés et ils nous ont invités chez eux. Ils ont vite compris que le « machin » dont maman leur parlait était le fusil ! M. Le Carrer – voisin – l’a fait glisser sur son mur pour le passer aux Gabella. Le « machin » était enroulé dans du tissu.»

Dominique Perichon
se souvient aussi de Mr Bollon se servant de tout et de rien pour tenter de fabriquer des armes. Ainsi, les Européens se sentent véritablement en danger face à une foule de plus en plus remontée et vociférant. Le risque grandissait. On entendait par moment des tirs d’armes à feu. Apparemment, les forces de l’ordre étaient décidées à employer les grands moyens.

Sidi O. Mouloud
témoigne de ce qu’il a vu: «Quand Viyah et l’armée sont venus. Le sabotage a diminué. Les premiers jours, ils tiraient des balles blanches ou lacrymogènes pour disperser les rassemblements. Certains travailleurs leur lançaient des pierres. Ils ont demandé aux travailleurs de leur dire ce qu’ils voulaient. Les travailleurs ont dit qu’ils veulent le départ des « Toubabs ». Alors Viyah a appelé un certain Moghlett et lui a dit : viens, montre moi un seul « Toubab » que tu peux remplacer, sinon je tire cette balle dans ta tête ». Il le fit asseoir à côté de lui dans la voiture. Mais Moghlett tremblait de tout son corps, au bout d’un moment, Il le libera.»

Certaines familles se retrouvent enfin… c’est le cas chez Renard dont le père de famille rentre à ce moment là de F’dérik où il se trouvait bloqué depuis deux jours, et ce, sans avoir pu rentrer en contact avec sa famille. Les valises sont prêtes car les Renard s’en vont en congé, mais pour cause de grève en France, le DC3 est retardé au mercredi.

WP_8. Sur la route de l’aéroport

Reste que rejoindre l’aéroport ne sera pas une mince affaire. Pour avoir vu un bus de travailleurs pris à partie les jours précédents les candidats pour assurer le déplacement ne sont pas très nombreux. C’est à la demande de Mr Marzin ( chef des ateliers centraux) que Jean Laurans se charge de l’équipée abandonnant pour quelques moments la protection de sa famille.

C’est Josianne Renard qui nous raconte la suite: «… nous sommes prêts, les bagages verrouillés, en tenue de voyage (et oui à cette époque, nous nous habillions pour les voyages en avion…) sans bruit, nous attendions, avec beaucoup d’excitation et de gaieté cette épopée qu’allait être notre départ; mais les visages de nos parents étaient fermés, sévères, pâles et menaçants – chut taisez vous, arrêtez de sauter partout, tenez vous tranquilles etc …. -

Puis vint le moment du départ. Le car qui devait nous emmener au terrain d’aviation devait se coller contre la porte d’entrée afin qu’il n’y ait aucun espace entre lui et nous, nous sommes montés tous les quatre, les enfants et les femmes d’abord, Papa fermait la marche. Il y avait déjà beaucoup de personnes dans ce car, mais je serais incapable de vous dire qui ils étaient.

Immédiatement, le bus a démarré, des détonations sont entendus : vite, tous à plat ventre, les hommes tenaient les bagages (valises, sacs) contre les vitres qui volaient en millions de morceaux de verre sous les impacts de pierres, le bus accélère, passage devant le Mif Hotel, du bruit, des cris, des hurlements, de la fumée, il fait chaud, tout à coup ça n’a plus l’air d’être drôle ce voyage; nous avons peur , il faut que cela s’arrête
….

Le DC3 , vite , il y a des hommes en tenue militaire, nous devons courir, vite monter la passerelle, des camions empanachés de fumée arrivent sur la piste, des hommes courent et hurlent, les fusils à la main; attachons nos ceintures, impossible de suivre le cap habituel pour le décollage, des cris, encore et encore, des larmes, du sang sur les mains, les visages, les jambes, oh rien de grave, des éclats de verres seulement.»

A noter que le voyage de la famille Renard prit un tour inattendu puisque à cause des événements de mai en France, l’avion se posa à Bruxelles, qu’ils furent rapatriés en car sur Paris, puis après une nuit d’hôtel, ils prirent la direction de Marseille toujours en autobus…. Nous venions de vivre les heures les plus chaudes de ces événements de mai 1968 à Zouérate en ce qui concerne les Européens. Des renforts de l’armée étaient encore arrivés sur place et la séparation entre les deux communautés était mieux assurée, la foule contenue. Parallèlement les « Télécoms » étaient de nouveaux opérationnels ainsi que le terrain d’aviation et la route qui y menait sécurisée.

Par contre jour et nuit, la foule venait face aux soldats, les insultait et leur lançait des pierres. Des incidents néanmoins sont encore à signaler comme cette petite fille qui allait se faire caillasser par deux petits Mauritaniens de son âge et rentrée in extremis par sa mère ou encore cette tête de chat punaisée sur une porte….

10. Le drame

Alors qu’on abordait la troisième semaine de grève, un drame éclate, l’armée tire à balles réelles en direction de la foule… Voici quelques témoignages d’instants qui nous paraissent encore confus aujourd’hui, faute de témoins et de précisions. Aussi c’est avec toutes les précautions nécessaires et au conditionnel que nous vous les livrons « bruts de fonderie ».

A suivre…/

Articles précédents : Articles précédents : http://cridem.org/C_Info.php?article=656649 - http://cridem.org/C_Info.php?article=656672



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Commentaires (4)

  • historien9 (H) 27/05/2014 19:40 X

    « Evitons toutefois d’être donneurs de leçons et rappelons-nous qu’en 1962, soit seulement six ans plus tôt qu’a Zouérate, sous la charge de la police française, une manifestation fut réprimée dans le sang. Le bilan fut de neuf morts et de plusieurs centaines de blessés. Il fallut attendre quarante-cinq ans pour que le carrefour devant la station de métro Charonne soit baptisé « place du 8 février 1962“. Les responsables furent amnistiés…. et des journalistes ayant rapporté l’évènement, condamnés pour diffamation. »

    Voir l'épisode 1.

    Ne craignez-vous pas que vos jeunes lecteurs, nés bien après 1968, ne comprennent rien dans ce paragraphe?

  • historien9 (H) 27/05/2014 19:24 X

    « A Zouérate, l’exploitation de la Kedia est engagée depuis 1960, la construction de la cité qui se veut idéale démarre la même année, le premier train minéralier part de F’derick en 1963. Les attentes sont vastes du côté Mauritanien… L’indépendance date de la même année après 90 années d’occupation française. »

    Voir la première partie du récit : http://cridem.org/C_Info.php?article=656649

    Je salue cette bonne d’initiative d’écrire l’histoire mais j’invite ceux la prenne à faire un effort pour ne pas la déformer. La colonisation a commencé par l’arrivée de Xavier Copolani sur la rive droite du Fleuve en 1905. (1960 – 1905) = combien ?

  • abatcha (H) 27/05/2014 16:53 X

    Etrangés vous nous dites ' expatriés ' un francais n'est jamais etrangé ????

  • labeid (H) 27/05/2014 15:40 X

    POUR COMPRENDRE CES EVENEMENTS IL FAUDRAIT EXPLIQUER AUX LECTEURS LA DIFFICILE COHABITATION ENTRE TOUBABS ET LOCAUX