09-02-2015 12:33 - Souvenirs : revoir Ould Yengé 40 ans après…

Souvenirs : revoir Ould Yengé 40 ans après…

Journal Tahalil - Revenir 40 ans en arrière peut être un exercice intéressant. Dommage qu’il ne soit possible de le faire, que dans la tête… Je l’ai fait en revenant un après-midi de fin de janvier 2015 à Ould Yengé que ma famille a quitté en 1975.

Pour y aller de Nouakchott, nous avons mon frère Aly et moi bifurqué du carrefour d’Aleg vers Boghé puis Kaédi et Selibaby où nous sommes allés nous recueillir au cimetière où repose notre mère Fatimettou Mint Khattri emportée très jeune, en 1974, par la maladie. Une première grande tragédie qui sera -hélas- suivie par d’autres.

Il était prévu que nous revenions de Selibaby à Nouakchott, mais par respect pour la mémoire de notre mère, nous nous sommes dit de revoir Ould Yengé d’où elle avait été évacuée vers Selibay dont le Major du dispensaire était Mohamed Ould Sramagha, un grand ami de notre père.

Quelque chose nous a donc tirés vers Ould Yengé où nous avons fait les premières années de notre enfance. Nous y sommes revenus un après-midi ensoleillé. Le littéraire que je suis s’y est revu à 8 ans, avec des images floues fournies par une mémoire à la recherche de mises à jour.

Il y a peu de bouses de vaches, plus de vaches peulhes blanches aux cornes longues, le béton a remplacé le banco, il n’y a plus de cases, il y a maintenant des poteaux électriques et des pylônes du GSM -me disais je- sans me situer dans un décor que je reconnaissais à peine.

Plus concret, de part sa formation d’ingénieur, mon frère Aly me tire de mes pensées : «Il nous faut un repère, on va chercher le bureau du préfet, car on habitait non loin».

Nous ne tardâmes d’ailleurs pas à déboucher sur un quartier d’où nous apercevons les locaux en ruine de l’ancienne préfecture dont la vue produisit en nous un grand déclic.

Les souvenirs commencent alors à m’assaillir: le boabab , le ksar peulh fondé par les Mody Nalla la fin du XIXème siècle , les cavaliers soninkés qui venaient de Bouly et de Dafort, nos plongeons dans «Tichilit Naya», dans les mares «Ekne» et «Asarsar» de l’oued «Lemsila» un affluent du Karakoro me reviennent à l’esprit. Egalement nos cueillettes des gommiers, des doumiers et des arbres "Dembou" ainsi que nos récoltes des fruits de mares, comme le cous-cous de la fleur «Ndayri» et la betterave sauvage qu’on appelait «Todhba».

Des activités qu’on menait en période d’hivernage et au cours desquelles ils nous arrivait de passer la journée à courir derrière des lapins, des écureuils et des troupeaux de phacochères très prisés par les «N’madis» que l’on rencontrait avec leurs meutes de chiens .

Et pendant que je pensais à tout cela et aux fameux «Fulbe Gieri» que l’on rencontrait également dans les parages et qui jouaient, légèrement vêtus, une formidable musique avec un violon artisanal, une sorte de «Rbab», Aly, me tire encore de mes rêveries : «On va aller voir notre école» me dit-il. Je le regarde sans savoir à quoi il pensait, même s’il m’a paru très ému. «Voici notre école !» lance-t-il avec son air de fonceur.

On reconnait l’école où nous avions fait le CIA ou le CIF, le bureau de poste où officiait à l’époque Moussa Diarra juste derrière le magasin de notre père qui jouxtait le domicile de Youba Sylla l’infirmier de Ould Yengé dont je me rappelle à cause de la circoncision.

Puis on progresse vers les vestiges du camp des gardes qui n’existe plus. On le laisse à notre droite et on vire à gauche vers la maison du trésorier. Nous garons devant la cour qui abritait la maison des Kane Yahya et juste à coté on voit celle de l’émérite vétérinaire Ba Demba Samba que nous surnommions "BDS" , où son fils, le Ministre Ba Ousmane a érigé une maison en béton. Nous nous y arrêtâmes pour notre séjour. Nous étions en fait à coté des ruines de notre maison qui nous a vus grandir. On l’a reconnu avec le puits qu’elle surplombait.

En face, il y a le terrain qui abritait la maison de Thierno Abdallahi Dia de la première promotion des rédacteurs d’administration du pays chargée de l’état civil , à coté du bureau du cadi Ould Hamma Khattar et juste devant, l’espace où les garnements que nous étions jouaient le soir au «Gew» (lutte traditionnelle) , un rythme endiablé qu’on obtenait en utilisant des ustensiles avec lesquels on tapait avec des bâtonnets et sur lequel on dansait en défiant un adversaire pour la lutte. J’étais l’un des petits maures au milieu des nombreux enfants Pular dont je parlais d’ailleurs bien la langue.

Je me rappelle que sans me décourager je me faisais aplatir chaque soir étant maigrichon à l’époque comme Cheikh Tijane Dia (directeur du Journal «Le Rénovateur» ) qui était plus batteur de «Guew» que lutteur, contrairement à son grand frère l’ancien Lieutenant Dia Abderrahmane. C’était une époque où je ne savais pas encore, que j’étais maure et que Dia était pular .

C’est vrai, que j’entendais des expressions comme «chapato wona nedo» ou «lekwar mgaçir a’amar», mais je pense avec le recul, que c’était sans quelconque méchanceté, juste une façon de parler, car nous étions des vrais amis et surtout des frères. Nos pères et mères se fréquentaient, se concertaient, s’aidaient et se respectaient.

Une image est restée à jamais gravée dans ma mémoire quand Feue Aissata Sall la mère de Cheikh Tijane Dia pleurait à chaudes larmes me serrant avec mes frères dans ses bras à la mort de mère.

Aujourd’hui encore, je revois l’image de cette femme Torobé, majestueuse et sublime qui portait toujours un foulard sur la tète, de grandes boucles d’or aux oreilles et des robes amples et qui était assidue à la petite la mosquée que son très pieux mari a érigé dans sa cour.

Quand j’ai appris en 1987 que son fils Abderrahmane a été arrêté dans une tentative de putsch racial menée par des militaires Halpulaareen, je me suis dit que le fils de Thierno Abdellahi Dia ne peut, en aucun cas, être raciste. Je l’ai rencontré après sa libération et il m’a raconté son enfer à Walata . Son récit a fait couler mes larmes.

Je revois également l’image de la mère de Ba Ousmane Aissata Kane, qui était tellement blanche sans que je ne trouve cela curieux ainsi la Grande Royale Mame Penda Wane la mère de Samba, Abdoul et l’intrépide Birama . Par la force du destin, j’ai été appelé par la suite, à vivre des moments, avant mon baccalauréat dans plusieurs villes de Mauritanie (Tidjikja, Kobeni, Aioun, Tintane), et après celui-ci, à Timbedra, Akjoujt et Kiffa. Je ne suis pas parvenu à garder de ces lieux, des souvenirs aussi marquants que ceux laissés par Ould Yengé….

A suivre…
Isselmou Ould Salihi (IOMS)



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Commentaires (8)

  • beydutam (H) 10/02/2015 00:05 X

    Merci Bouleiba, comme on dit il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas. Je serai très heureux que le webmaster me transmette tes coordonnées (COURRIEL ET TÉL.) pour une correspondance fraternelle et amicale dans le cadre du mieux vivre-ensemble pour le bonheur de TOUS! À bientôt!

  • rahalas (H) 09/02/2015 21:16 X

    Isselmou et moi qui me demandais souvent, d'où tu avais puisé cette grande aisance à t'accommoder à toutes les composantes...et puis ton attirance pour les pheuls...merci de nous rappeler que même sans maintenir tous les repères, nous pouvons quand même essayer de retrouver le chemin tracé par nos prédécesseurs...si l'on veut!!!

  • bouleibabs (H) 09/02/2015 19:44 X

    Mon Cher Beydutam Oui Mon Cher ami, c'est moi ton ami du lycée de Rosso. Je n'ai pas change mes idées sur notre destin commun millenaire,seulement j'ai bcp de cheveux blancs a cause de ce que je vois. Je pense que nous devons malgré notre âge constituer un front contre toutes les derives,un vrai rempart contre ceux qui tentent de détruire ce qui est notre acquis le plus cher: notre unité nationale. Affectueusement a toi. J'autorise le webmaster a te donner mes coordonnees:email et tel.Je serais heureux d'avoir de tes nouvelles Brahim Salem ould Bouleiba

  • beydutam (H) 09/02/2015 17:47 X

    OUI! Nous les générations des années 60, 70, 80, Nous retrouvons dans les textes de Cheikhna (Kaédi) de Isselmou (Ould yengé): c'était ça la MAURITANIE. Mais hélas maintenant les enfants se regardent en chiens de faïence en se disant (l'autre est raciste, l'autre n'est du pays, etc, etc...). À Bouleiba (je me rappelle lorsqu'on était à l'école primaire et que nos grands frères du Lycée de Rosso étaient en grève, nous séchions les cours pour aller voir un certain Bouleiba qui haranguait ses camarades pour aller en grève. Est-ce bien ce Bouleiba. Il y avait un autre qu'on surnommait "Larousse" tellement il maÎtrisait la langue de Molière. En ce temps-là on ne disait pas que celui qui dirigeait la grève est pro-tel ou pro-tel autre. Mais des mauritaniens qui défendaient les intérêts des mauritaniens sans distinction.

  • loppet (H) 09/02/2015 17:23 X

    Isselmou c'est une excellence contribution pour révisiter cette page glorieuse de cette Mauritanie qui faisait jadis la fierté de tous les fils de ce pays et que des mains assassines ont détruites. En te lissant je sens des frissons tant ce que tu retrace est notre vécu à nous tous. Je sens grouiller dans ma tête d'adulte des souvenirs très forts de l'enfant que je fus habitant à côté de toi et où à la tombée de la nuit ou au retour de l'école on s'amusait tous les enfants du quartier ensemble dans l'innocence et l'insouciance. Nos familles étaient unies par des liens très forts faits de respect et de considération mutuelle. Ould yengé a été fortement sécouée par la suite par la folie des années de braise. Heureusement qu'il y a encore des gens dans cette Mauritanie qui oeuvrent au retour de la confiance et de la sérénité . Merci isselmou une fois de plus de nousa avoir fait voyager dans cet univers du passé pour alimenter notre présent . Quele belle plume d'un homme qui a vécu sans complexe dans cet espace qu'était Ould yengé qui constitue un parfaite illustration de cette Mauritanie plurielle

  • emancipation (H) 09/02/2015 17:03 X

    Excellent, emouvant et bienvenu ce temoignage de Mr Isselmou Salihi. Apres avoir lu avec passion et interet l'ecrit, je me suis regalé à nouveau avec celui de Isselmou. Chers compatriotes, on a besoin de multiplier ce genre d'ecrits,ceux qui ont eu la chance d'avoir vecu une partie de de leur enfance dans une partie de la Mauritanie autre que celles de leurs parents doivent apporter leurs temoignages pour que nos generations futures sachent que nous sommes, contre vents et marees, une nation arc en ciel,continuez , je vous en prie.

  • bouleibabs (H) 09/02/2015 17:02 X

    Merci A Isselmou ould Salihi et Cheikhna ould guewad qui nous ont offert cette immersion a ould Yenge et Kaédi qui nous fait revivre notre belle unité d'antan sincère non simulée et venant du tréfonds de notre pluralité culturelle et civilisation elle vieille de plusieurs siecles.GRAND MERCI POUR CETTE BOUFFEE DE PATRIOTISME VRAI BS.BOULEIBA

  • hamewarga (H) 09/02/2015 17:02 X

    Merci mon ami Isselmou de ce rappel historique qui en dit long sur la Mauritanie d'antan, dans laquelle les communautés et mêmes les fonctionnaires s'appréciaient et se respectaient mutuellement, avant que ce beau pays ne soit envahi par des groupuscules sans repères ni histoires et qui sont à la solde d'idéologies racistes , Yogui cette terre , qui n'a pas encore trouvé son véritable nom; j'attends avec impatience la partie qui va réserver à Kiffa, Mrdrrrrr