04-02-2016 18:45 - Culture : Histoire de la ville d’Atar
Adrar-Info - En guise d’introduction le conférencier a tenu à présenter les remarques suivantes:- l’absence de véritables sources scientifiques et/ou écrites sur telle ou telle période de la vie de la ville et sur les lacunes de l’oralité véhiculées par la tradition et par les griots. Il reste donc de nombreuses choses que la recherche doit apporter.
Il faut douter de beaucoup Evénements – a-t-il dit , mais un doute objectif qui vise à mieux s’assurer du fait historique et non un doute pour le rejet et le refus de ce qui ne nous plait pas.- Un effort de dépassement de soi s’impose, un recul par rapport aux évènement historiques, leur vision comme des faits qui n’ont plus de réelles incidences sur notre vie mais qui peuvent par contre expliquer une grande partie de notre vécu.
La période coloniale abonde de documents que beaucoup considèrent comme l’histoire de la colonisation en Mauritanie et non l’histoire de la Mauritanie pendant cette période: Les visions divergent sur les contenus de ces documents. Par la suite, le conférencier a défini aussi le plan de son exposé:
- Naissance de la ville.
- Bref aperçu sur les Smacides fondateurs du Ksar
- Atar capitale émirale et grand foyer culturel et commercial
- Atar sous domination coloniale
- Atar après l’indépendance
- Appauvrissement de la ville et dépeuplement.
- Redynamise de ces dernières années.
Aperçu sur le peuplement de l’Adrar
Les préhistoriens sont quasi unanimes que les premiers hommes sont apparus dans l’Adrar et le Dhar Tichitt, il y’a environ 600.000 ans au paléolithique inférieur (age de la pierre taillée). Les traces abondent encore comme à El Beyyed.C’est seulement vers 4.000 ans avant JC qu’une civilisation d’agriculteurs, de pasteurs et de pêcheurs se développe au bord du lac de l’Aouker (asséché aujourd’hui) entre Tichitt et Oualata. Les restes de 127 villages sont identifiés (ex: au site Monod au N-E de Tichitt.
Les cités anciennes existant aujourd’hui ne sont apparues que plus tardivement. 160H pour Abeir, Ouadane Walata et Tichitt. 660 H pour Chinguitti.Quant à Atar il faut attendre le XVII e siècle pour assister à sa fondation par les Smacides venus de Chinguitti
Naissance de la ville d’Atar
Atar est fondée par les Smacides, c’est pourquoi il est utile de faire un aperçu succinct sur leur arrivée en Adrar et les péripéties franchies avant la naissance de leur Ksar dans le Baten de l’Adrar. L’ancêtre des Smacides Yahya El Kebir Alghalghani aurait quitté le Maroc après guerre entre les Idrissides et les Alaouites. Il s’installa provisoirement en Algerie avant d’être attiré par le rayonnement culturel de Chinguitti.
Cette arrivée est située au 7eme siècle. Chems Eddine, ancêtre eponyme des Smacides serait un fils du Cherive Yahya dont l’origine remonte au 4eme Khalife Ali Ibn Abou Taleb (d’après une généalogie avancée par N’Tahah). Un des fils de Chems Eddine était nommé Imam de la mosquée de Chinguitti, ce qui était un grand honneur. Après un conflit entre Laghlal et Idawali, fondateurs de la nouvelle Chinguitti. L’Imama Smacide est remise en cause et paradoxalement, ou après un compromis, c’est un Ghallaoui qui dirigea la mosquée de la ville.
Après un schisme provisoire, les Smacides décidèrent d’explorer la région du Baten et du Dhar et finirent par quitter Chinguitti. Les fils d’Ahmed Ould Chems Eddine s’installent à Atar, ceux de son frère Mohamed Fadel se sont fixés à Aoujeft (80 km au SE d’Atar).
A Atar qui signifie route en langue Azer ou nouvelle ville en Berbère (d’après le chercheur Abdel Weddoud Ould Cheikh). les nouveaux venus s’installèrent sur le plateau situé sur la route d’Azougui avant de choisir une élévation de terrain -afin d’éviter les inondations- pour bâtir leur nouveau Ksar.
(En 1984, lors des inondations catastrophiques qui frappèrent la ville, seul le vieux Ksar est resté intact autour de sa mosquée). De bonnes relations vont unir les Ideichilly anciens habitants de la région et les Smacides.
Construction de la mosquée vers 1085/1674 v (Cette date est la plus reculée sur l’histoire d’Atar).
Sept hommes accomplirent un pèlerinage en 1085, parmi eux Mohamed Elmajdoule, ils apportèrent une pierre de la Mecque qu’ils mettent à la fondation de la mosquée (pour apporter la Baraka). Je pense que le vieux Ksar actuel n’a été construit qu’après la construction de la mosquée (3 raisons
Sa position au centre du Ksar
« Où priaient les habitants avant sa construction. « L’Imama d’une mosquée était à l’origine du départ de Chinguitti. L’architecture d’Atar est quasi identique à celle de Chinguitti à l’exception de la mosquée qui n’a pas de minaret. Les sources avancent les noms de 12 Imams qui se sont succédés à la tête de la mosquée qui joue divers rôles comme cela a toujours été dans l’histoire musulmane.
Le premier Imam aurait été dans un ravissement mystique et serait à l’origine de l’identification de la tombe de l’Imam Alhadrami, mort à Azougui lors de la période Almoravides au XIeme siécle.
Atar capitale de l’Emirat de l’Adrar
L’émirat de l’Adrar est né vers 1145/1732.Il est le dernier à voir le jour des 4 émirats de Beni Hassan fondés à la fin du XVII eme siècle et début du XVIIIeme. Sa capitale – nomadisme oblige- était mobile la Hella (campement émiral) qui comptait généralement plus de 50 tentes. L’Emir a toujours été de la fraction d’Ehel Ethmane. Les derniers Emirs sont tous des Ehel Aida.
De 1745 à 1932 quatorze émirs ont régné sur l’Adrar. L’ossature de l’armée émirale est formée de tribus guerrières. En été l’Emir vient passer la Guetna (cueillette des dattes) à Amacine sise à Kanaoual quartier sud d’Atar.
L’importance économique de la ville apportait de gros revenus à l’émirat qui prélevait des taxes sur les caravanes venues du Maroc, d’Algérie, du Soudan ( Mali) et de N’dar (Saint Louis). Les Smacides avaient une autonomie dans le choix du cadi et l’Imam de la mosquée. Le développement économique d’Atar va progressivement ralentir les échanges commerciaux avec ses deux grandes sœurs Chingutti et Ouadane. Avec la colonisation la décadence latente de ces deux cités va davantage s’accélérer.
Atar sous domination coloniale
L’Adrar de façon générale, était source d’inquiétude pour les autorités coloniales de Saint Louis. Son occupation et sa pacification constituent donc une priorité à leurs yeux. » Notre espoir dans toute l’Afrique de l’Ouest restera irréalisable tant que l’Adrar n’est pas occupé » disait un ancien ministre Français des colonies.
Coppolani était conscient de cette réalité. La nuit de sa mort le 12 Mai 1905, il dénonça les lenteurs administratives qui l’empêchaient de réaliser son rêve. Il disait, cité par le capitaine Frerejean qui l’accompagnait »
Ah! Ces lenteurs, nous devrions être dans l’Adrar, ces contretemps sont néfastes à ma politique, vous le savez, il est nécessaire de surprendre les Maures qui délibèrent longtemps avant d’arrêter une décision, est –on arrivé au but avant que la décision soit prise, ils hésitent ne songent plus qu’à négocier et à réserver des avantages personnels, les voici dés lors devenus ennemis les uns les autres ».
Apres la mort de Coppolani, le colonel Gouraud quitta Moudjeria le 06 décembre 1908 à la tête d’une gigantesque colonne pour occuper le Nord du pays et surtout l’Adrar. Cette colonne, une véritable armada à l’époque, comptait plus de 1200 combattants (dont 800 tirailleurs Sénégalais et 300 Maures) 1500 chameaux dont 300 de boucherie et un important matériel militaire.
Entre Moudjeria et Atar la colonne fut attaquée à plusieurs reprises.14 combats au moins selon Frerejean dont les plus acharnés se sont déroulés à Amatil (40 km au Sud d’Atar) et à Hamdoune dans le Oued Seguelil.
Le 9 janvier 1909 Gouraud pénètre Atar où de nombreux habitants se sont réfugiés dans les montagnes voisines, les autres ont levé des drapeaux blancs sur leurs maisons. Le cadi Mohamed Sidina Ould Berrou remettra une lettre de paix au colonel qui à son tour tient un discours rassurant devant la Djemaa d’Atar: » Je ne suis pas venu bouleverser le pays, ni attenter à votre religion, à vos femmes, à vos biens, à vos coutumes » disait – il, cité par C. Laigret. L’occupation d’Atar va profondément changer le visage de la ville.
Constructions et pistes.
Atar est devenue une grande base militaire, un camp y est construit ainsi que d’imposants bâtiments administratifs. Les pistes menant à la ville sont améliorées ou tracées; Un aérodrome est construit, ce qui permit d’accueillira à Atar – le premier convoi motorisé le 2 Mai 1925 et les premiers petits avions en 1926.
Economiquement, Atar va beaucoup profiter de la colonisation, car les échanges Nord- Sud (Maghreb Afrique subsaharienne) étaient quasiment centralisés à Atar. Les caravanes furent remplacées par de gros camions (6×6 T46) et les convois motorisés. Les nombreux soldats constituaient une masse salariale importante. Atar comptait une population de 17808 habitants.
L’agriculture et l’élevage furent développables. De nouvelles techniques culturales sont introduites (maraîchage, arbres fruitiers). Les richesses dattiers se montaient à 134.000 palmiers en 1932 qui produisaient 4.000 tonnes de dattes. Au plan social, l’achat des Hormas (tributs) entamé en 1940 par les autorités coloniales va libérer des énergies et offrir une certaine égalité entre guerriers, marabouts et tributaires, même si les colons ne traitent qu’avec les « fils de grandes tentes ».
Deux tribus, les Teknas et Oulad Bisbaa contrôlaient une grande partie du commerce de produits en provenance du sud du Maroc et du Sénégal. Au plan spirituel et moral la colonisation par, par l’obligation de l’enseignement dans ses écoles va jeter la ville dans un relâchement des mœurs perceptibles par des écarts de conduite.
Ce qui est bizarre pourtant, c’est le retard accusé dans l’ouverture des écoles Françaises à Atar alors qu’ailleurs, l’enseignement colonial a commencé très tôt ( 1905 à Boghé, 1914 à Boutilimit). La première Medersa d’Atar ouvrit ses portes à Kanaoual en 1936. Les Atarois à l’instar des autres Mauritaniens étaient réfractaires à cet enseignement.
On remarque néanmoins que par » la politique de séduction « l’effectif des élèves n’ a cessé de s’accroître , passant de 39 élèves en 1936 à 138 en 1945 ( 74% de cet effectif sont d’origine maraboutique). En 1946 Gasselin , commandant de cercle de l’Adrar constatait l’échec de la Medersa d’Atar. » On a pu constater une fois l’ingratitude foncière de ceux qui ont été nourris, habillés et instruits par le Makhzen. Ce sont nos adversaires les plus acharnés » (il citait en exemple le moniteur Ismail ould Abeidna).
Gasselin parle du « retournement » des Atarois qui ont voté Ould Horma contre Yvon Razac, candidat de l’administration coloniale et des « vieux turbans », lors des législatives de 1946 pour l’élection d’un député Mauritanien à l’Assemblée française.
Ces élections ont intéressé particulièrement les Atarois et la ville constituait la plaque tournante de l’action et de l’effervescence politique dans le pays. Atar était le cœur de la Mauritanie selon P. Messmer un autre commandant de cercle de l’Adrar.1950-1952 et gouverneur de la Mauritanie 1952-1954.
En 1949 la ville comptait 2644 électeurs (plus du quart des électeurs Mauritanien de 1946). A la veille de l’indépendance l’inimitié qui a longtemps caractérisé les relations des Atarois à leur administration coloniale se transforme en amitié profonde (voir document interview P. Messmer en 1988, lors de son passage à Atar avec le président Chirac). En 1958 Atar est avancée pour être capitale de la Mauritanie.
Seul son enclavement était la cause du désistement des autorités d’antan. Maître Moctar Ould Daddah, premier président de la république a choisi Atar pour lancer son discours en sa qualité de premier ministre. Il disait » Au milieu de vous tous à qui je dois la place que j’occupe maintenant. Je tiens à vous remercier. Et disait plus loin. » Ce Ksar est par excellence un foyer de brassage d’idées d’affaire, un foyer de rayonnement commercial et intellectuels ».
Après l’indépendance, après la naissance de Nouakchott, après la mise en exploitation des minerais de fer de Zouerate, après les terribles sécheresses, Atar va perdre son poids économique et politique. La ville s’est donc appauvrie et vidée d’une grande partie de sa population.
Ces dernières années,grâce aux communications établies, au tourisme et au génie entreprenant de ses populations, Atar abandonne la cure de perfusion et la convalescence pour retrouver petit à petit son dynamisme et la place de choix qu’elle avait longtemps gardée.
(Conférence présentée par Monsieur Adnan Beyrouk, Directeur de la culture et des arts au MCJS, lors du lancement le 22 Décembre 2008, des activités de l’Association « At-art Culture » à Atar)
Ely Salem Khayar