13-05-2016 18:00 - Aminata Sow Fall, L'Eldorado sous nos pieds

Aminata Sow Fall, L'Eldorado sous nos pieds

Traversees-Mauritanides - Douceurs du bercail, publié en 1998 aux NEI, est un roman d’une rare lucidité signé par la Sénégalaise Aminata Sow FALL. Le sujet portant sur la migration recentre bien des jugements : "voir les gens et leur diversité pour comprendre le monde".

Il renseigne aussi que "L'Eldorado n'est pas au bout de l'exode mais dans les entrailles de notre terre". Le texte, de celle qui a reçu en juin 2015 Le Grand Prix de la Francophonie de l'Académie française, demeure un écho à l’actualité cruelle des drames que l’on observe au quotidien. Ndey Codou Fall revient pour nous sur ce livre à relire.

Asta Diop, femme sénégalaise, envoyée par son ONG en mission en France, a tous les documents nécessaires pour son voyage. Pourtant, durant les trois contrôles au débarquement, elle subit toutes sortes de tracasseries et d'humiliations à l'aéroport "parce qu'ils voient en chacun un futur immigré".

Asta fait profil bas, et laisse les services du contrôle faire leur travail. Pour elle, il ne fallait pas empirer les choses. Mais le fait de pousser les actes jusqu'à la fouille corporelle intime avait quelque chose d’irrespectueux. Cela la met hors d’elle-même et la pousse à "une rage bestiale". Aminata Sow Fall, auteure de ce récit, dira même qu'elle a l'impression d'être violée avec "des mains gantées qui remontent le long de sa cuisse".

Excédée, pas un mot ne pouvant traverser sa gorge, Asta s'agrippe au cou de la douanière qui poussa un strident cri. Sa vocifération fera ameuter ses collègues. Et voilà Asta emmenée au "Dépôt", que d’autres appellent "L'Escale". C’est le début d'une extrême souffrance. Elle vit la douleur de l'exil. Ce qui s’oppose aux Douceurs du bercail.

Anne, l'amie française d'Asta rencontrée pour la première fois sur le territoire fascinant d'une maternité, avec qui elle tisse les liens d'une amitié indéfectible, s'inquiète du fait de ne pas trouver celle qu’elle est venue attendre à l'aéroport. Anne est d’autant plus inquiète qu'elle sait Asta toujours ponctuelle à ses rendez-vous.

Au Dépôt (espace rectangulaire où s'entassent hommes, femmes et enfants), il n'y a ni nuit ni jour, tellement l’éclairage y est permanent. La seule mesure du temps s’articule autour des repas servis : gobelets = matin, sandwich = midi, bol de soupe = soir. Voilà un mécanisme pour compter les jours qui passent.

Comme c'est effarant de constater que "ces Toubabs ne nous supportent plus", murmure Asta. Puis les interrogations qui se succèdent dans sa tête : Est-ce qu'être différents empêche de vivre ensemble ? Est-ce que l'essentiel n'est pas la culture, la terre et le patrimoine immatériel, tout ce qui rend l'Homme meilleur? N'est- il pas possible de rester soi, tout en s'ouvrant à l'Autre?

Après ce drame, "Asta la sénégalaise qui a failli tuer une douanière pour un simple contrôle de routine" (selon la rumeur) est perçue comme un monstre. Et même l'Ambassade du Sénégal en France qui est censé la représenter, et lui venir en aide, l'abandonne à son sort.

Seule Anne lui voue fidèle amitié. Et le mystère de "l'horreur", elle le découvrira plus tard dans un journal. Elle décide alors, avec son mari Didier, d'aller demander assistance pour Asta auprès de son Ambassade. Là, à leur grande déception, ils ne reconnaissent plus les gens à qui ils "portaient des colis".

Ils ignoraient que ces derniers faisaient partie de ceux-là mêmes qui négociaient tout le temps des plans de carrière et des honneurs par le truchement de compromissions avec les autorités françaises. Pour leur ego? Certainement, puisque l'ambition et le confort priment...

Alors qu’au même moment, ailleurs au bercail, la simplicité des relations, la chaleur dans les sourires, la douceur dans le regard, la solidarité dans la pauvreté font loi. Mais au bercail aussi l'injustice, la corruption, les rêves brisés assombrissent le décor comme le montre le cas de Yakham.

Yakham est né dans une famille indigente. Et on a l'impression que c'est un enfant béni, tellement tout lui réussit. Sa grande pauvreté ne l'empêche pas d'émerger du lot jusqu'à l'obtention d'une bourse après le bac. Il ira poursuivre des études à l'étranger.

Malheureusement, sa bourse "vendue", il plonge dans un désespoir sans fin qui l'incite à vouloir "partir". Au Dépôt, contraste des Douceurs du bercail, il rencontre l'héroïne Asta. Mais aussi Babou, expulsé lui aussi, malgré ses papiers parfaitement en règle, Séga, Dianor et Codé (qui après un viol au Dépôt décèdera dès son retour au pays).

De retour au pays, parmi les siens, Asta découvre que la terre regorge de richesses au delà de toute espérance. Elle achète un terrain de dix hectares et tente l'aventure de l’agriculture avec son fils Paapi, son ami Labba, et ses compagnons d’infortune Séga, Dianor, et Babou.

Par le truchement du destin, le dernier deviendra son époux, elle qui avait juré après son divorce d’avec Diouldé qui lui avait fait vivre l'enfer, qu'elle ne se marierait plus. Elle se plie alors au proverbe qui renseigne "tant que va la vie" tout peut arriver ! Et c’est tant mieux.

Portés par leur foi et l'espérance (la conviction que la terre ne ment pas), les nouveaux compagnons d’infortune réussissent. Un revirement de médaille ! La fête de la première moisson des Waa Reewu Takh a eu lieu après neuf ans de travail, d'endurance et de courage.

Le succès est brillant qui prouve qu’il est possible de réussir chez soi. La récompense est Douceurs du bercail qui donne le titre au livre. Et à en juger par l'actualité dramatique de l'immigration, qui s’invite de nouveau dans nos quotidiens, ce livre publié il y a près d’une vingtaine d'années, n'a pas pris une ride. L’inspiration d’Aminata Sow Fall, juste alors !



Ndèye Codou FALL
Douceurs du bercail, Aminata Sow Fall, NEI,224 P, 1998
Autres œuvres de la romancière
Le revenant, Nouvelles Editions Africaines, 1976
L'appel des arènes, Nouvelles Editions Africaines, 1982
La grève des Bàttu, Nouvelles Editions Africaines, 1979
Le festin de la détresse, Ed d'En bas, 2005
Le jujubier du patriarche, Ed Khoudia, 1993
Sur l'auteure
Aminata Sow Fall, Oralité et société dans l’œuvre romanesque par Médoune Guèye, L’Harmattan , 2005
Revue Interculturel Francophonies, N°27 / 2015 : Aminata Sow Fall : itinéraire d'une pionnière



Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


Commentaires : 0
Lus : 3292

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (0)