23-06-2016 05:39 - Ne les oublions pas : Youssouf Koita, un homme d’Etat volontairement oublié?
Adrar-Info - Député-maire de Kaedi (sud de la Mauritanie), puis Président de l’Assemblée nationale, pendant plusieurs années, Youssouf Koita fut un homme d’Etat qui compta beaucoup dans la vie politique mauritanienne dès le lendemain de l’indépendance en 1960.
Au cours de l’été 71, lors d’un séjour d’agrément à Las Palmas en Espagne, il mourut brusquement dans sa chambre d’hôtel. Cette disparition qui créa un immense choc dans l’ensemble du pays demeure toujours inexpliquée.
Aux cotés du Président de la République Mokhtar Ould Daddah, du Ministre d’Etat Ba Mamadou Samboly, de Sidi El Moctar N’Diaye et de bien d’autres patriotes mauritaniens, il participa pleinement à la construction de la Mauritanie nouvelle. Il fut un grand amoureux de son pays et de Kaedi, sa ville natale, dont il a fortement contribué au rayonnement dans la sous-région.
Grand bâtisseur, homme politique clairvoyant et respecté, il a en effet fait de Kaedi une ville incontournable dans l’armature urbaine nationale. Il a conforté son inscription dans le réseau des villes africaines de la sous-région.
Tous les chefs d’état qui ont visité la Mauritanie entre 1960 et sa subite disparition y ont séjourné. Les atouts économiques, physiques et humains de la capitale du Gorgol attiraient en outre les experts occidentaux et asiatiques en quête de terrain propice au développement.
D’ailleurs, Youssouf Koita n’avait-il pas fait l’éloge de ces atouts dans un célèbre écrit justement intitulé » les atouts économiques de la vallée du fleuve Sénégal »? Alors que peu d’agronomes et d’économistes de Mauritanie se souciaient à l’époque du devenir économique de cette région, le Député-maire y consacra tous ses efforts, son action et ses réflexions. Cette clairvoyance fait de lui un des hommes politiques le plus en phase avec son temps.
Le développement économique et la création d’emplois faisaient partie de ses priorités. Il les a traduit concrètement par la réalisation d’usines dans la ville. Il y construisit en effet deux importantes et utiles unités de fabrication qui ont employé, au moment de leur apogée, plusieurs centaines d’hommes et de femmes.
Il réalisa des équipements sportifs et réussi à faire installer dans la ville le palais de justice. Il encouragea le développement et la mise en valeur des terres fertiles agricoles, le long du fleuve Sénégal. Il nourrissait pour Kaedi des ambitions louables, jamais démenties, et avait pour unique objectif de la hisser au rang de ville agréable, équilibrée et harmonieuse dans laquelle les habitants s’épanouissent.
Il voulait enfin en faire une ville qui rayonnante. Les projets urbains qu’il y a réalisé attestent de ce profond engagement. Ces interventions respectent les règles strictes de l’urbanisme moderne et demeurent encore aujourd’hui les seuls secteurs d’habitation qui échappent à l’anarchie et à l’improvisation…
Depuis son décès, il y a plus de quarante ans maintenant, la Mauritanie a beaucoup changé. Plusieurs coups d’état se sont succédés. La démocratie y est balbutiante. La situation économique et sociale du pays s’est profondément dégradée. Le communautarisme est presque érigé en mode de gouvernance.
Tous ces processus qui hypothèquent l’avenir sont le contraire de ce qui fut l’essence même du combat politique du Député-maire. Les changements et les comportements politiques survenus dans le pays depuis quelques décennies ont pour conséquence, entre autres, l’effacement de la mémoire politique nationale. L’histoire du pays est réécrite jour après jour. Les gouvernants successifs, encouragés par des groupes sectaires et chauvins, remettent en cause l’unité des mauritaniens…
Parallèlement, la ville de Kaedi régresse. Elle se dégrade et ne fait plus rêver les villageois alentours, ni n’attire les artistes de la sous-région qui venaient jadis y chercher leur succès. Les mauvaises langues disent que les maires et les députés qui s’y succèdent depuis plus de trois décennies œuvrent plus pour leur propre intérêt plutôt que pour celui de la commune. Ils n’ont apparemment rien apporté au développement de la ville qui a perdu son rang dans l’armature urbaine nationale et qui est de plus en méconnaissable.
C’est dans ce double mouvement de dépréciation du pays et de Kaedi qu’il convient de s’interroger sur ce que les dirigeants nationaux et locaux réservent à la mémoire de Youssouf Koita.
Pourquoi l’homme politique qui a consacré toute sa vie pour la réussite de son pays et de sa ville natale ne fait l’objet d’aucun hommage pendant que ses compagnons des lendemains de l’indépendance sont honorés? Pourquoi n’est il jamais cité lorsque l’histoire politique récente de la Mauritanie est évoquée? Pourquoi l’infatigable militant du rapprochement entre les communautés du pays n’a aucune rue, ni place, ni même équipements publics qui portent son nom à l’heure où les gouvernants et leurs alliés magnifient et font vivre la mémoire des hommes qui ont contribué à la construction du jeune État mauritanien?
De la réponse apportée à ses quelques questions dépend en définitive le sens que les pouvoirs successifs mauritaniens donnent à l’histoire politique du pays et aux Hommes et Femmes qui l’ont bâtie.
Source : www.tidianekoita.com