09-12-2017 18:45 - Les protégés du Prophète/ Ces Compagnons venus d’ailleurs(1)/Par Moussa Hormat-Allah
Le Calame - Dans l’inconscient collectif, quand on évoque les noms de Bilal, Ammar, Salem…, la première chose qui vient à l’esprit, est qu’il s’agit de gens du petit peuple mecquois qui ont été sauvagement torturés par les mécréants Koraïches pour avoir embrassé l’Islam.
De pauvres esclaves démunis, sans soutien tribal ou clanique, auxquels on a fait subir les châtiments les plus cruels pour les forcer à renier leur foi dans le message de l’Islam.
Rarement, on mesure à sa juste valeur le rang éminemment élevé et l’aura que leur a conféré, en pionniers, leur adhésion bénie au message divin de Mohammed.
Rarement, on se souvient des versets coraniques et des hadiths qui ont magnifié ces croyants de la première heure et les ont propulsés au firmament de la spiritualité, de la vertu et de la ferveur religieuse.
Rarement, on se souvient que le Prophète et ses califes leur ont donné la prééminence sur la quasi-totalité des autres Compagnons pourtant à la généalogie prestigieuse et dont certains, de surcroît, sont de proches parents du Messager de Dieu.
On a comme l’impression diffuse que le souvenir de ces monuments de l’Islam s’est quelque peu étiolé au fil du temps et qu’ils sont, c’est le moins qu’on puisse dire, relégués au second plan dans la mémoire collective.
En revanche, le souvenir de leurs compagnons est encore vivace. Est-ce parce qu’ils étaient issus d’une classe prétendument inférieure – ce qui est loin d’être une tare ? Peut-on, doit-on mesurer les mérites des Compagnons du Prophète à l’aune de leurs origines sociales ? Nullement.
Autant du vivant du Prophète, ils étaient respectés, honorés et parfois mêmes vénérés autant, au fil des siècles, les musulmans, consciemment ou non, semblent les confiner – non sans une admiration ambiguë – dans le statut clivant d’anciens esclaves qui ont bravé la mort pour conserver leur foi.
(…) Ces illustres Compagnons doivent retrouver la place qui leur sied dans la mémoire collective. La seule place qui vaille, celle où les ont placés Dieu et Son Prophète.
Le Calame vous propose de découvrir ces éminents Compagnons venus d’ailleurs. Chaque semaine nous proposerons à nos lecteurs de faire plus ample connaissance avec l’un de ces Compagnons à partir d’extraits du livre de M. Moussa Hormat-Allah, intitulé : Les protégés du Prophète ou ces Compagnons venus d’ailleurs. Aujourd’hui Oum Ayman.
Oum Ayman
Au commencement était Ayman. La relation – devenue filiale – entre le Prophète et cette ancienne esclave commence par un spectacle affligeant : un enfant âgé d’à peine six ans – le futur prophète – et une jeune femme, tous deux en pleurs sur une tombe fraîchement comblée.
Amina Bint Wahb qui revenait de Médine après une visite à la tombe de son mari Abdallah Ibn Abdel El Mottalib mourut à Abwa sur la route de La Mecque. Ainsi ce petit enfant qui pleurait sur la tombe d’une mère qu’il venait de perdre deviendra le prophète Mohammed. Il était désormais doublement orphelin : après la mort de son père, c’est maintenant autour de sa mère de décéder.
Le spectacle en plein désert, de ce jeune garçon sur la tombe de sa mère était poignant. Oum Ayman jeta un regard perdu autour d’elle. Aucune âme qui vive. Des montagnes à l’infini. Un paysage grandiose et tourmenté. Elle sécha ses larmes et regarda avec affection l’enfant qui pleurait encore arc-bouté sur la tombe de sa mère. La route n’est pas sûre. Il fallait faire vite pour le ramener à la Mecque, chez son grand père.
Oum Ayman était loin de se douter que cet enfant qu’elle serrait dans ses bras aura un destin qui changera le cours de l’histoire de l’humanité.
Oum Ayman ramena Mohammed à son grand père Abdel El Mottalib à la Mecque. Depuis, elle ne cessera de veiller sur lui avec tendresse.
Cette affection et cette attention d’Oum Ayman pour le Prophète ne prendront fin qu’avec la mort de l’Envoyé de Dieu à l’âge de soixante trois ans.
Oum Ayman suivra le Messager d’Allah partout : chez Abou Taleb, chez son épouse Khadija. Elle le suivra encore dans son exil lors de sa mise au ban dans les ravines inhospitalières d’Abou Taleb aux environs de La Mecque. Elle sera également à ses côtés lors de l’hégire à Médine. Elle participera même avec le prophète à certaines batailles comme celle d’Ouhoud ou de Kheïbar où elle soignait les blessés et donnait à boire aux combattants.
Oum Ayman ne vivait que pour le Prophète. Un amour et un dévouement sans limite. Le Messager d’Allah lui rendait bien cet amour et cet attachement quasi filial. Oum Ayman, disait-il : « C’est la dernière survivante de ma maison ». Ou encore : « Oum Ayman, c’est ma mère après ma mère ».
Pour rester toujours disponible au service du Prophète, Oum Ayman n’a jamais songé à se marier. C’est seulement après que l’Envoyé de Dieu eut épousé Khadija, qu’elle décida, à son tour, de fonder un foyer. Elle épousa Oubeïd Ibn Zaïd Ibn El Khazraj. De ce mariage naîtra son premier fils, Ayman.
Oubeïd tombera, en martyr, lors de la bataille de Khaïbar. Oum Ayman perdra également par la suite son fils Ayman lors de l’expédition de Houneïn.
Pour conjurer le sort qui semblait s’acharner sur Oum Ayman et pour que celle-ci puisse, à nouveau, retrouver le bonheur de la vie conjugale, le Prophète dit un jour à ses Compagnons : « Celui qui désire se marier avec une femme qui sera au nombre des femmes du Paradis, qu’il se marie donc à Oum Ayman ».
En entendant ces mots, Zaïd Ibn Haritha, s’empressa d’exécuter ce vœu du Messager d’Allah. Le Prophète bénit ce mariage qui unissait deux êtres chers à son cœur. De cette union naîtra Oussama, l’un des sabres les plus redoutés de l’Islam.
Zaïd, le père d’Oussama, tombera, lui aussi, en martyr lors de la bataille de Mouta entre Musulmans et Romains. Oum Ayman fut, naturellement, profondément affectée par la perte de son mari.
Mais quelque douloureuse que soit cette épreuve et celles qui l’ont précédé, l’irréparable, pour Oum Ayman, n’a pas été fait tant que le Prophète est encore vivant. Car sa vie est presque exclusivement consacrée au service du Messager d’Allah.
Cette relation quasi fusionnelle sur fond d’une grande piété et une générosité sans égale a conféré à Oum Ayman une baraka qui relève, parfois, du miracle. Un exemple. « Dans un jour de grande chaleur, Oum Ayman émigra vers Médine alors qu’elle était à jeun.
Elle sortit alors sans nourriture et sans aucune boisson ; Elle sentit la chaleur l’accabler de plus en plus, et la soif la prit, si bien que lorsqu’elle arriva à Al Rawha – ville située entre La Mecque et Médine –, elle finit par tomber par terre et s’évanouit autant elle était éreintée. Durant son sommeil, un verseau dégringola du ciel attaché par une corde blanche jusqu’à sa bouche. Elle but et apaisa sa soif.
Oum Ayman raconta aux gens ce qui s’est passé en leur disant : « Après cet événement, je n’ai plus senti la soif, même dans les jours de jeûne, jamais je n’ai soif [1]».
Oum Ayman fit ce long et pénible voyage à travers le désert et un terrain montagneux à pied. La chaleur était accablante et les tempêtes de sable lui cachaient la route mais elle persista, portée par son amour profond et son attachement pour le Prophète. Lorsqu’elle arriva à Médine, ses pieds étaient endoloris et enflés et son visage était couvert de sable et de poussière.
« Ya Oum Ayman! Ya Oummi! (Ô Oum Ayman! Ô ma mère !) Il y a pour toi une place au Paradis ! » S’exclama le Prophète lorsqu’il la vit. Il essuya son visage et ses yeux, lui massa les pieds et lui frictionna les épaules de ses nobles mains ». (1)
L’amour et le dévouement d’Oum Ayman pour le Prophète étaient sans limite. A La Mecque, dans l’adversité, elle accomplira pour l’Envoyé de Dieu des missions particulièrement dangereuses. Un exemple. « Une nuit, les mécréants bloquèrent les routes conduisant à la maison de al-Arqam où le Prophète rassemblait ses Compagnons régulièrement pour leur apprendre les enseignements de l’Islam.
Oum Ayman qui portait encore le nom de Barakah fut chargée de transmettre au Prophète une information urgente de la part de Khadija. Elle risqua sa vie en essayant d’atteindre la maison d’al-Arquam. Lorsqu’elle arriva et transmit le message au Prophète ; il sourit et lui dit : « Tu es bénie, Oum Ayman ».
Le Prophète aimait souvent plaisanter avec Oum Ayman. Un jour, celle-ci vint trouver l’Envoyé de Dieu pour lui demander une faveur : « Depuis longtemps, elle ressentait le besoin de posséder un chameau qui lui appartenait en propre ; aussi alla-t-elle trouver le Prophète pour lui demander de lui trouver une monture. La regardant d’un air grave, il dit : « Je te ferai monter sur l’enfant d’une chamelle.
– Ô Envoyé de Dieu, s’exclama-t-elle, pensant qu’il voulait parler d’un jeune chameau, cela ne serait pas convenable pour moi. Je n’en veux point.
– Je ne te ferai monter, reprit-il que sur l’enfant d’une chamelle ». Et la discussion se poursuit jusqu’à ce qu’un sourire apparu sur le visage du Prophète fît comprendre à la femme qu’il était en train de la taquiner, puisque chaque chameau est nécessairement l’enfant d’une chamelle[2] ».
Le Prophète en plaisantant ne dit jamais que la vérité. Soit dit en passant, il eut une discussion similaire avec une vieille femme. Celle-ci lui demanda d’implorer pour elle Dieu pour qu’il la fasse entrer au Paradis. Le Prophète lui répondit que les vieilles n’entrent pas au Paradis.
La vieille dame fut fort attristée par cette réponse. Mais le Messager d’Allah la rassura rapidement en lui expliquant que les habitants du Paradis sont tous jeunes ce qui leur permet de jouir pleinement de tous ses délices. Cette anecdote de la vieille et du Paradis ou celle d’Oum Ayman avec le chameau montrent que le Prophète est toujours à l’écoute des gens avec humilité, simplicité et générosité.
Oum Ayman qui a côtoyé, au quotidien, le Prophète pendant plus de soixante ans en fut un témoin privilégié. Elle a, du reste, toujours observé la vie politique à Médine avec beaucoup de sagesse et de perspicacité.
Le jour de la mort d’Omar, Oum Ayman dira : « Aujourd’hui l’Islam est tombé ! » On ne pouvait mieux résumer la situation. La nation musulmane, en effet, entrera dans une zone de turbulences dont elle ne sortira plus.
Déjà à la mort du Prophète, Oum Ayman avait résumé le sentiment général. Des propos qui sont passés à la prospérité : « La douleur fut profonde dans le « Ville lumineuse », comme on appelait désormais Médine. Les Compagnons se reprochaient l’un à l’autre de pleurer, mais ils pleuraient eux-mêmes.
« Ce n’est pas pour lui que je pleure, répondit Oum Ayman à quelqu’un qui lui demandait la raison de ses larmes. Ne sais-je pas qu’il est allé vers ce qui est meilleur pour lui que ce monde ? Mais je pleure pour les nouvelles du Ciel qui ne nous parviendront plus. » C’était en effet comme si un grand portail venait de se refermer.
On se souvenait cependant qu’il avait dit : « Qu’ai-je à faire dans ce monde ? Moi et ce monde nous sommes comme un cavalier et un arbre sous lequel il s’abrite. Le cavalier repart ensuite et laisse l’arbre derrière lui. »(3)
Oum Ayman qui à la fin de sa vie ne sortait plus de chez elle recevait souvent la visite du Prophète. A l’Envoyé de Dieu qui lui disait à chaque visite : « Ô Mère, comment vas-tu ? » Elle répondait toujours : « Je vais bien, Ô Messager de Dieu aussi longtemps que l’Islam se porte bien ».
Oum Ayman mourra à un âge avancé sous le califat d’Othman Ibn Affan. Elle fut un modèle de piété et de dévouement. Sa proximité avec le Prophète lui a toujours valu respect et considération.
« Le respect qu’inspirait Oum Ayman se perpétua chez les fils des Compagnons. Ibn Sâad rapporte qu’à l’époque d’Omar Ibn Abdelaziz, le Cadi de Médine fit donner soixante dix coups de fouets à Ibn al-Furat qui au cours d’un dispute avec un descendant d’Oum Ayman y a rabaissé sa grand-mère.
En prononçant sa sentence, le juge rappela la place d’Oum Ayman tant dans l’Islam qu’auprès du Prophète qui s’adressait toujours à elle en l’appelant mère. Ceci eut lieu soixante seize ans après la mort d’Oum Ayman »(4)
Que Dieu agrée Oum Ayman.
Oum Ayman était une esclave qui appartenait à Abdallah, le père de Mohammed. Dès qu’il fut en mesure de le faire, le Prophète s’empressera de l’affranchir. Il en fera de même, plus tard, avec Zaïd Ibn Haritha, un esclave que lui offrit son épouse Khadija.
(A suivre : Zaïd Ibn Haritha)
[1] M.A. Baydoun, Des Compagnes du Prophète promises au Paradis. [1]
2 Martin Lings, Le Prophète Muhammed, Sa vie d’après les sources les plus anciennes, Editions du Seuil, Paris, 2002.
3 Martin Lings, op. cit, p.563.
4 Amina Yagi.