22-04-2019 00:30 - Quand Victor Hugo défendait la colonisation de l'Afrique

Quand Victor Hugo défendait la colonisation de l'Afrique

Francetvinfo - L'auteur des "Misérables" ou de "Notre-Dame de Paris" était bien un homme de son siècle.

L'écrivain, né en 1802 et mort en 1885, est contemporain de toutes les aventures coloniales de la France. Le grand humaniste a partagé la vision de la "mission civilisatrice" de la France. Comme le montre ce discours de 1879, connu sous le nom de "discours sur l'Afrique".

Les propos d'Hugo ont été tenus le 18 mai 1879, à l'occasion d'un banquet en l'honneur de l'anniversaire de l'abolition de l'esclavage. Le grand homme, alors âgé de 77 ans, y fait un discours introduit par Victor Schœlcher.

Considéré comme un des pères de l'abolition de l'esclavage en 1848, il lance Hugo avec ces mots :

"La cause des Nègres que nous soutenons, et envers lesquels les nations chrétiennes ont tant à se reprocher, devait avoir votre sympathie ; nous vous sommes reconnaissants de l’attester par votre présence au milieu de nous. Cher Victor Hugo (...), quand vous parlez, votre voix retentit par le monde entier ; de cette étroite enceinte où nous sommes enfermés, elle pénètrera jusqu’au cœur de l’Afrique, sur les routes qu’y fraient incessamment d’intrépides voyageurs, pour porter la lumière à des populations encore dans l’enfance, et leur enseigner la liberté, l’horreur de l’esclavage, avec la conscience réveillée de la dignité humaine."

Hugo remercie alors Schœlcher dans une langue que l'on n'oserait plus prononcer aujourd'hui : "Le vrai président d’une réunion comme celle-ci, un jour comme celui-ci, ce serait l’homme qui a eu l’immense honneur de prendre la parole au nom de la race humaine blanche pour dire à la race humaine noire : 'Tu es libre.' Cet homme, vous le nommez tous, messieurs, c’est Schœlcher".

"L'Afrique n'a pas d'histoire"

Tout à la grandiloquence du moment, Hugo se lance dans une description un brin manichéenne. "La Méditerranée est un lac de civilisation ; ce n’est certes pas pour rien que la Méditerranée a sur l’un de ses bords le vieil univers et sur l’autre l’univers ignoré, c’est-à-dire d’un côté toute la civilisation et de l’autre toute la barbarie."

"Quelle terre que cette Afrique ! L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire ; l’Afrique n’a pas d’histoire. Une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe. Rome l’a touchée, pour la supprimer"
... Des mots qui ont fait dire que Nicolas Sarkozy aurait pu y trouver une partie de l'inspiration de son discours de Dakar.

Pour Hugo, "le flamboiement tropical, en effet, c’est l’Afrique. Il semble que voir l’Afrique, ce soit être aveuglé. Un excès de soleil est un excès de nuit."

"Eh bien, cet effroi va disparaître." Comment ? "Déjà les deux peuples colonisateurs, qui sont deux grands peuples libres, la France et l’Angleterre, ont saisi l’Afrique ; la France la tient par l’ouest et par le nord ; l’Angleterre la tient par l’est et par le midi. Voici que l’Italie accepte sa part de ce travail colossal."

Il est vrai que, selon l'immortel Hugo, l'Afrique a besoin de ces colons, car elle offre un paysage terrifiant : "Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie ; déserte, c’est la sauvagerie ; mais elle ne se dérobe plus ; les lieux réputés inhabitables sont des climats possibles ; on trouve partout des fleuves navigables ; des forêts se dressent, de vastes branchages encombrent çà et là l’horizon ; quelle sera l’attitude de la civilisation devant cette faune et cette flore inconnues ?"

"Au XIXe siècle, le Blanc a fait du Noir un homme; au XXe siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde"

Les possibilités sont immenses selon Hugo. "Des lacs sont aperçus, qui sait ? Peut-être cette mer Nagaïn dont parle la Bible. De gigantesques appareils hydrauliques sont préparés par la nature et attendent l’homme ; on voit les points où germeront des villes ; on devine les communications ; des chaînes de montagnes se dessinent ; des cols, des passages, des détroits sont praticables ; cet univers, qui effrayait les Romains, attire les Français."

Dans ce discours, Hugo oppose des pays à d'autres, une Europe à une autre, celle des Lumières à celle de l'obscurantisme dans laquelle il met l'Allemagne (nous sommes seulement neuf ans après la défaite de 1870). Dans cette vision binaire du monde, il décrit un début d'union européenne dans le sud du continent... Dans laquelle il intègre l'Angleterre ("Déjà les Etats-Unis du Sud s’esquissent ébauche évidente des Etats-Unis d’Europe").

A charge pour cette "Europe" du progrès de le faire couler sur l'Afrique : "Au dix-neuvième siècle, le Blanc a fait du Noir un homme ; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L’Europe le résoudra."

"En face du fait colonial, son universalisme est pris en défaut"

Et ce discours largement applaudi se termine par une ode au colonialisme, seule solution, selon Hugo, pour régler les problèmes de l'Europe (nous sommes huit ans après la Commune de Paris) :

"Allez, Peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui ? A personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient la guerre, apportez la concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l’industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité (applaudissements prolongés). Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites ! Faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez ; et que, sur cette terre, de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l’Esprit divin s’affirme par la paix et l’Esprit humain par la liberté !"

Certes, l'époque se prêtait à ce genre d'envolée sur la "mission civilisatrice" de l'Europe en général, et de la République française en particulier. Et même si l'on ne peut voir les choses avec le regard d'aujourd'hui, déjà certains affichaient des positions anti-colonialistes. On se souvient du duel entre Clémenceau et Ferry (1885) sur le sujet de la colonisation.

Hugo lui même avait critiqué certains aspects militaires de la colonisation de l'Algérie : "Le général Le Flô me disait hier soir, le 16 octobre 1852 : 'Dans les prises d’assaut, dans les razzias, il n’était pas rare de voir les soldats jeter par les fenêtres des enfants que d’autres soldats en bas recevaient sur la pointe de leurs baïonnettes.'"

Comme le dit Gilles Manceron à propos du père de Jean Valjean, "en face du fait colonial, son universalisme est pris en défaut".

Pierre Magnan


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Source : Francetvinfo
Commentaires : 4
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Commentaires (4)

  • Bertrand (H) 22/04/2019 20:54 X

    L’homme est insuffisant. Il se laisse enivrer par le faste et la richesse cumulée. Il est de par sa nature vorace et dominant. Seule la loi d’ALLAH le ramène sans hypicrisie à une nature meilleure en lui apprenant que tous les etres humains sont égaux que la différence reuse dans la droiture et ka piété, comme l’édit le Saint verset. Par ailleurs en Islam toute personne qui aurait un atome de sentiment de grandeur ou de supériorité par rapport aux autres humains ses semblables ne gouttera pas le Paradis. Victor Hugo un génie littéraire, un philosophe...mais l’homme...

  • mystere1 (F) 22/04/2019 15:01 X

    Très d’accord avec toi @elvalli, sur ce proverbe maure, et cela n’est pas étonnant car c’est la nature humaine qui est elle-même ingrate ! cet article de hugo m’a surpris, il est l’un des écrivain les plus humanistes que j’ai lû, mais dès fois la vie nous réserve des surprises sur le genre humain, à propos de sa nature, soit durant son vivant ou après sa mort, et l’on dit que chaque personne a sa propre vraie nature ou facette sombre cachée, soit j’ai pas bien compris l’article et où sont nos vrais littéraires pour nous expliquer ce raisonnement ou vison de hugo à propos de nous africains colonisés, je me demandais soit, « est-il pour la colonisation comme ses semblables occidentaux ou soit contre, en nous défendant, non vraiement la langue de molière est dès fois difficile à décortiquer littérairement !

    si hugo est pour, là je suis d’un côté surpris et déçu de lui, mais après tout il reste un toubib de son temps ou siècle ! dès fois on est surpris de certains personnages comme héros à bon images, pour sortir un peu du sujet, il y a aussi Fedherbe qui tous croient comme un saint colon sauveur, qui a proféré ses jurons maudissant la communauté peulh en disant (qu’il faut qu’eux les colons se regroupent pour diviser cette communauté rebelle et soudée jadis, afin que les autres ethnies africaines se dressent contre eux, et que les peulhs sont difficiles à controler et si on ne les arrête pas, ils balayeront tout sur leur passage), ces propos de louis federbe ont été diffusé sur whattsapp, incroyable mais vrai !

    ça c’est le vrai visage du colon, ainsi à chaque jour on entend des propos sauvages sur nous, mais réveillons nous afin que les autres nous respecte, il est temps que mama africa se libère de ses chaines de jougs ! et comme l’avait dit le président rawandais kagamé (« les africains n’ont pas besoin de baby-sittings de ces occidentaux, il est temps qu’ils se sevrent eux même et s’assument afin que l’afrique grandisse ») !

    et pour mentionner cette célèbre poésie de l’écrivain poète et métis (sénégalo-camérounais/David Diop) qui avait chanté sa célèbre poésie sur le tableau si beau et sombre de l’afrique et ses enfants : (« "Afrique mon Afrique"

    Afrique
    A ma mère
    Afrique mon Afrique
    Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales
    Afrique que chante ma grand-mère
    Au bord de son fleuve lointain
    Je ne t`ai jamais connue
    Mais mon regard est plein de ton sang
    Ton beau sang noir à travers les champs répandu
    Le sang de ta sueur
    La sueur de ton travail
    Le travail de l'esclavage
    L`esclavage de tes enfants
    Afrique dis-moi Afrique
    Est-ce donc toi ce dos qui se courbe
    Et se couche sous le poids de l'humilité
    Ce dos tremblant à zébrures rouges
    Qui dit oui au fouet sur les routes de midi
    Alors gravement une voix me répondit
    Fils impétueux cet arbre robuste et jeune
    Cet arbre là-bas
    Splendidement seul au milieu des fleurs
    Blanches et fanées
    C`est L'Afrique ton Afrique qui repousse
    Qui repousse patiemment obstinément
    Et dont les fruits ont peu à peu
    L’amère saveur de la liberté. »)

    Voilà le tableau de notre Afrique ! avec l’espoir qu’un temps viendra où nos descendants prendront la relève.

  • ELVALLI (H) 22/04/2019 11:47 X

    Ne vous laissez pas émouvoir par la prétendue «mission civilisatrice de l’Europe». Pauvre Hugo, dans ce discours, il n’est plus qu’un homme blanc qui s’exprime devant des blancs des siècles passés. C’était l’air du temps. Il fallait justifier l’horreur du colonialisme par une entreprise morale. Hugo n’était pas prophète. Même aujourd’hui, les grands hommes de culture, les chefs d’Etat d’Europe (Sarko et autres imbécros) tiennent le même discours sinon plus corsé. Le comble c’est que les hommes de sciences, normalement issus des siècles de lumière, refusent d’admettre que Toutankhamon, objet cette semaine d’une exposition à Paris, est un pharaon négro africain malgré toutes les preuves scientifiques (sitôt dénies). Les Egyptiens négro-africains ont inventé la plus ancienne brillante civilisation au monde. Ils ont inventé les maths, les sciences médicales, le génie-civil qu’ils ont transmis aux Européens de la Grèce antique et aux asiatiques. En fait, honnêtement, c’est l’Afrique qui a civilisé l’Europe. «Enseigne et instruit un ignorant, il sera ton rival et ton ennemi». Proverbe Maure.

  • tarhilgazra@yahoo.com (H) 22/04/2019 08:26 X

    La France n a pas d histoire. Les Romains civilisait les villes et chassaient les Gaulois au loin. Et quand les Musulmans ont occupé une grande partie du pays ,ils luttaient contre leurs chefs de hordes dont Martel,pendant que les Mourabitounes (les nôtres) occupaient l Espagne et le Portugal.