26-08-2021 23:15 - Profil de Cas : Evénements de 89. (Première Partie) Les escadrons de la mort. (Extraits de notes)
Chighali Mohamed - Le 9 avril 1989, Diawara, une localité sénégalaise est le théâtre d’un accrochage entre des bergers peulhs mauritaniens et des paysans soninkés sénégalais.
Un accrochage de plus qui, dans des circonstances inexpliquées, avait tourné au drame. L’armée mauritanienne était intervenue. Deux paysans sénégalais ont été tués, plusieurs autres blessés et une dizaine de paysans sénégalais arrêtés par les forces de sécurité mauritaniennes. Cette fois, compte tenu de la tournure prise par les événements, malheureusement, l’incident ne pouvait pas être classé dans une rubrique de faits divers.
A l’élément intervention militaire, nouveau dans ce cas précis, il faut ajouter un certain nombre de raisons politiques qui, à cette époque, avaient mis le Sénégal d’Abdou Diouf et la Mauritanie de Ould Taya à couteaux tirés. Notamment la question des vallées fossiles et le tracé de la ligne de haute tension de Manantali.
Les événements de Diawara se sont déroulés le dimanche 9 avril 1989. Le lundi 10 avril, j’ai été désigné par ma société nationale pour partir en mission dans l’Assaba. Destination Guérou et Barkéol. Le départ en mission pour un fonctionnaire est très souvent un événement heureux. Surtout quand le fonctionnaire se déplace pour plusieurs jours et surtout si ses déplacements sont payés d’avance, ce qui lui permet d’arrondir sa fin de mois même si, depuis l’arrivée des militaires au pouvoir en 1978, cette fin de mois s’entête à changer sa forme de bout pointu à bout arrondi.
Une mission n’est pas seulement une question d’argent même si l’argent est l’élément déterminant. Il y’a par ailleurs l’opportunité qu’elle offre pour un responsable de s’évader et de s’éloigner quelques jours de l’ambiance du domicile conjugal qui étouffe un père de famille par les problèmes de responsabilité qui pèsent sur ses épaules. Mais aussi il y’a dans ces départs en mission ce sentiment de responsabilité que vous avez durant votre déplacement, qui vous permet aussi de rencontrer les autorités locales et des responsables qui vous attendent ou qui attendent quelque chose de votre séjour sur le terrain.
Le 11 avril 1989 à 20 heures, j’étais sur le point de partir en mission. Le chauffeur qui devait venir me prendre était arrivé. Le moment limite que j’attendais pour donner à ma femme une partie de mes frais de mission afin d’éviter les palabres sur l’importance du montant à lui laisser. Je lui ai donc donné ce que j’avais réservé pour elle et j’avais gardé une partie de mes perdiems pour le chapitre des « dépenses imprévues » que pourraient entrainer les moments de « loisir » de mon déplacement à l’intérieur du pays. Ce que font la plupart d’entre vous, ou en tout cas certains que je connais bien et qui vont se reconnaitre à ce profil.
Je finissais de donner les toutes dernières instructions de routine à ma femme et j’étais sur le point de descendre pour aller monter dans le véhicule dont le moteur tournait au ralenti, quand, aux têtes de chapitres du journal de 20 heures de la RTS (Sénégal) qui débutait, le présentateur avait dit : « l’heure est grave. L’armée mauritanienne a, le dimanche, lâchement ouvert le feu sur de paisibles citoyens sénégalais de la localité de Diawara, faisant deux morts, plusieurs blessés graves. Dix de nos citoyens ont été pris en otage par l’armée mauritanienne ».
J’étais déjà au courant de l’incident qui avait opposé des bergers peulhs mauritaniens à des paysans soninkés sénégalais. Je savais par une information diffusée, qu’il y’avait eu deux morts et des blessés. Des incidents de ce genre sont fréquents. En particulier dans le Sud-Est du pays. Chez moi au Hodh El Gharbi par exemple, à Gogui Ezemal dans la Moughataa de Kobeni, des incidents de ce genre ont toujours éclatés de temps en temps depuis 1945 date à partir de laquelle les deux Hodhs ont été rattachés à la Mauritanie.
Gogui Ezemal est une localité dont la position géographique très mal définie est floue. Ce qui fait d’elle une localité à califourchon sur les deux frontières. Divisée en deux un Gogui Zemal mauritanien et un autre malien, ces localités jumelles sont habitées par des communautés maures, peulhs, soninkés et Bambaras dans une parfaite symbiose ce qui n’a jamais empêché des batailles rangées périodiques.
C’est cette singularité qui fait de Gogui Zemal, qu’elle est considérée par les autochtones comme une localité à territorialité imprécise en tous cas dans l’esprit de ses habitants. Depuis 1960, date de l’indépendance de notre pays, cultivateurs et éleveurs des deux pays s’entretuent dans des conflits frontaliers qui ont toujours été contenus et gérés de manière à ce qu’ils ne dégénèrent pas en conflit armé ou diplomatique.
Les conflits frontaliers de Gogui Zemal, entrainés par des batailles rangées entre agriculteurs et éleveurs ne datent pas d’aujourd’hui. Quand j’étais enfant, un descendant d’esclaves, proche de ma famille nous racontait les nuits de veillées d’hiver ses exploits durant des batailles rangées aux quelles il prenait part. Il avançait parfois des chiffres des assaillants qu’il avait tués lui-même au cours de ces conflits interminables qui éclatent surtout les saisons d’hivernage. Bien que perpétuels, ces problèmes de Gogui Zemal comme le dit l’adage hassani « n’ont jamais nécessité d’être soumis à l’avis d’un Cadi ».
Les peulhs et les soninkés allument la mèche, les maures explosent.
Quand donc j’ai entendu les têtes de chapitres des sujets de l’actualité de la RTS, la télévision nationale sénégalaise, je me suis assis et j’ai écouté attentivement le développement de l’information. Comme je ne pouvais pas faire attendre longtemps le chauffeur au volant de la voiture dont le moteur tournait au ralenti, j’étais obligé de partir. Mais avant de sortir j’avais dit à ma femme : « ce que vient de dire ce journaliste sénégalais annonce des événements à venir graves qui risquent de dégénérer entre la Mauritanie et le Sénégal. Je te conseille de ne pas sortir sans raison valable et de n’ouvrir à personne que tu ne connais pas. Je suis obligé de partir, prends soin de toi et si tu as un problème essaies de me contacter par le biais du Croissant Rouge qui doit, en principe, pouvoir entrer en liaison avec moi toutes les 24 heures ».
Ma femme est sérère de père. Un mauritanien natif de Kaédi, décédé. Son père était ancien fonctionnaire des services de douanes formé à l’école nationale d’administration. Elle est peuhle de mère, une femme née d’une alliance mixte peulhs et les Oulad Begnoug de Rosso. Mais malheureusement ma femme est naïve comme d’ailleurs la plus part de tous ces négro-mauritaniens qui ont en commun le Wolof comme langue d’expression. Elle est naïve parce qu’elle a des difficultés à admettre que le Sénégal c’est le Sénégal et la Mauritanie, la Mauritanie. Elle m’a répondu en rétorquant : « Entre la Mauritanie et le Sénégal, il n’y aura jamais de problèmes ».
Comme je la connais bien, je m’attendais évidement à cette réaction de sa part. J’ai toujours traité ma femme de naïve parce que simplement chaque fois que nous parlons elle et moi des relations entre la Mauritanie et le Sénégal, elle expose ses naïvetés. Et c’est vrai. La pauvre. Elle est malheureusement, le profil type de beaucoup de ces negro-mauritaniens qui ont, par alliance des sentiments très forts pour le Sénégal parfois même des sentiments plus forts pour ce pays que pour leur propre pays la Mauritanie. Ce qui fait que beaucoup de ces negro-mauritaniens considèrent le Sénégal leur seconde patrie. Je peux le comprendre pour ma femme. Ses grands parents maternels sont des Oulad Begnoug, cette composante tribale qui, par intérêt et liens consanguins flirte avec le Sénégal, dont la ville d’entrante Rosso Sénégal est jumelle de Rosso Mauritanie.
Mais, je ne peux pas le comprendre pour d’autres comme par exemple Kaw Bilbassi Touré, réfugié quelque part en Europe qui donne l’impression d’avoir renoncé à sa nationalité mauritanienne pour celle du Sénégal. Kaw Bilbassi Touré victime du passif humanitaire, (extrémiste verbal violent), donne l’impression à travers son comportement, de confondre son pays la Mauritanie au Sénégal, un pays voisin. Natif de Djéol, terre d’islam et de culture, terre d’un brassage historique et religieux entre Pulaars et Soninkés, Kaw Bilbassi Touré, donne de lui un profil tout à fait à l’opposé de celui de N’Gaédé Alassane par exemple.
N’Gaédé Alassane, natif lui aussi de Djéol, qui a été ancien conseiller à la présidence de la République et qui a été Directeur Général Adjoint de Radio Mauritanie à l’époque où j’étais. N’Gaédé Alassane, est un très fin politicien et un brillant intellectuel. Il a « sillonné » beaucoup de régimes de ce pays. Mais sous tous les régimes, il n’a jamais eu peur de dire ce qu’il pense, quand il le pense. Il n’a jamais eu peur d’aborder avec les chefs d’Etats de ce pays même les plus puissants les sujets qui fâchent. Mais ce que Ngaédé Alassane fait, il le fait dans un intérêt pluriel, parce que dans l’intérêt général de notre pays.
C’est pourquoi, N’Gaédé Alassane fait partie de cette catégorie de mauritaniens qui ont des aptitudes qui leur permettent de cohabiter avec toutes les composantes ethniques de ce pays. Ngaédé Alassane a toujours su, lorsqu’il le faut, revendiquer des droits. Mais il revendique des droits en préservant sa dignité, en évitant de vendre son âme au diable ou de se verser dans l’extrémisme politique.
Ngaédé Alassane, mon ancien patron à Radio Mauritanie est tout à l’opposé donc de Kaw Bilbassi Touré, qui depuis l’étranger et sans discontinuer crache du venin sur la composante arabo-berbère (maure) et se montre toujours plus préoccupé par les intérêts du Sénégal que ceux de la Mauritanie.
Beaucoup d’entre vous se souviennent de sa dernière sortie maladroite, déplacée et injustifiée quand il avait accordé un entretien à une chaine de télévision sénégalaise pour porter de graves accusations et dénigrer Ahmed Ould Yahya, à l’époque candidat à la présidence de la CAF. Kaw Bilbassi Touré avait malhonnêtement évoqué un sujet « hors jeu » pas d’actualité, proscrit, rien que pour soutenir le candidat sénégalais donc de son pays d’adoption au détriment du candidat mauritanien parce que ce dernier était un maure.
Malheureusement Kaw Bilbassi Touré n’est pas le seul dans son cas. Il y’a cet autre negro-mauritanien, ancien officier (colonel de l’armée mauritanienne refugié en France) qui avait raconté des histoires épouvantes sur son pays, la Mauritanie, pour influencer les fonctionnaires français de l’immigration pour obtenir un statut de refugié. Cet officier supérieur s’est tellement rabaissé qu’il avait fini par accepter un travail de vigile dans une grande surface pour traquer les petits cleptos des banlieues. Il y’a aussi cet autre negro-mauritanien, qui pour obtenir un statut de refugié en Suède, avait raconté aux services de l’immigration suédois que son père et sa mère ont été massacrés de sang froid par des soldats maures. Le père de ce mauritanien qui a raconté que ses parents ont été massacrés est un ami. Il vit et travaille en Mauritanie et sa mère vivante habite dans la périphérie de la Capitale Nouakchott.
Pour revenir au problème de Diawara, d’autres négro-mauritaniens, comme ma femme du reste, ont du mal à admettre que le Sénégal est un pays voisin, avec lequel nous avons de très profonds liens historiques et d’amitié, des complicités dans les intérêts religieux, des intérêts économiques et sociaux, mais, malgré tout cela le Sénégal reste un pays étranger comme d’autres pays auxquels certains de nos compatriotes même arabo-berbères sont très attachés ou se « retrouvent » en perdition de nationalité.
C’est pour cette raison que j’avais dis à ma femme en derniers mots et en conclusion avant mon départ : « tu peux penser ce que tu veux du Sénégal. Mais je te repête en connaisseur, et en journaliste analyste, que la rédaction de l’information sur l’incident de Diawara et sa diffusion sur la chaine nationale du Sénégal, donne la couleur de ce qui va suivre. Tu peux ne pas me croire si tu veux mais qui vivra verra. Ce qui va suivre risque de te surprendre. Parce que très grave ».
Elle ne m’avait pas cru évidemment. Et, après avoir versé de l’eau sur les traces de mes pas (comme le font les sérères et les wolofs par tradition), elle est allée se plonger dans le suivi des programmes de la télévision nationale sénégalaise, la RTS qui, cette nuit du mardi 11 avril 1989, avait donné officiellement le coup de gong d’« une guerre fratricide » qui allait déclencher la plus abjecte et la plus grave tuerie de l’histoire des relations entre la Mauritanie et du Sénégal, deux pays pourtant confondus dans une cohabitation pacifique depuis 1850, date à laquelle l'abbé David Boilat, fils d’une riche commerçante Signare métisse (c'est-à -dire une sénégalaise assimilée à une européenne) avait expliqué dans ses Esquisses sénégalaises que « Sénégal » était une déformation de l'expression wolof suñu gaal, c'est-à -dire « notre pirogue ».
Diawara, juste un prétexte pour deux présidents qui ne s’aiment pas vraiment.
J’ai quitté Nouakchott, vers 21 heures. Je ne me souviens plus qui était notre chauffeur mais il était l’un des meilleurs de la société. La route était longue et parce que notre première escale était Barkéol, nous avons roulé presque toute la nuit. Nous avons dormi tard. Le lendemain nous avons repris la route. Depuis que j’avais entendu le développement de l’information sur les événements de Diawara, je n’étais pas à l’aise du tout. Et tout au long du trajet j’étais plongé dans des réflexions profondes pour me demander pourquoi cette violence verbale « provocante » dans le traitement de l’information par la télévision nationale du Sénégal et qu’est ce que cachait ce style journalistique alarmant. J’avais comme un très fort sentiment que malheureusement, la rupture était consommée définitivement entre Abdou Diouf et Ould Taya. Mais mon souci n’était pas seulement celui-là .
Je savais que depuis quelques temps les deux présidents ne conjuguaient plus de verbe au même temps, mais surtout j’étais très inquiet pour la suite des événements et soucieux pour tous ces amis sénégalais qui vivaient en Mauritanie et auxquels j’étais très attaché par amitié ou par mes activités.
Populations sacrifiées pour l’intérêt et l’ambition de deux présidents.
Héritier de Léopold Sédar Senghor, Abdoul Diouf était en 89 très bas dans les sondages. Il était acculé par une très forte opposition téléguidée par Abdoulaye Wade, « l’Ahmed Daddah » du Sénégal, un vieux intellectuel rongé par la politique et fatigué de courir derrière le fauteuil présidentiel de son pays. Finalement exaspéré, Abdoulaye Wade avait décidé de jouer au Général de la Rue à la tête de ses soutiens, de véritables pelotons de casse et de vandalisme, des jeunes pour la plupart murs politiquement mais mineurs civilement.
En 89, le régime d’Abdou Diouf suffoquait à cause des manifestations intempestives des étudiants, soutenus par des délinquants pour la plupart des repris de justice et par des chômeurs qui en avaient ras-le bol de trainer dans les rues de Dakar. Abdou Diouf peut être trouvait donc l’incident de Diawara une occasion rêvée pour faire dévier l’attention des jeunes de la trajectoire Wadiste. L’idée lui était venue à l’esprit de récupérer les masses manifestantes de « Gorgui » pour les lancer dans des violences contre des mauritaniens en signe de représailles.
De son côté, Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, très exaspéré par la manière dont il était traité par Abdou Diouf, se sentait très offensé. Depuis que Ould Taya a gagné la bataille juridique sur le problème des vallées fossiles et sur le transport de l’énergie de Manantali Abdou Diouf avait peu de considération pour notre président.
De son côté, le président mauritanien Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, qui, à cette époque avait du pain sur la planche à cause des halpulars, qui tapaient du point sur la table parce qu’ils supportaient de plus en plus mal les injustices, les inégalités dont ils sont victimes, le racisme voilé pratiqué à leur égard, et surtout la conséquence désastreuse de cette arabisation à outrance née de mauvaises réformes, ne voyait pas d’un mauvais œil un conflit qui pourrait lui servir de prétexte pour régler ses comptes avec les négro-mauritaniens.
C’est probablement toutes ces raisons réunies qui ont joué en faveur de l’entrée dans ce conflit qui n’était d’aucun intérêt ni pour l’un ni pour l’autre des pays. Un conflit qui allait plutôt occasionner une déchirure profonde entre des parents divisés par leurs nationalités différentes et séparés par une frontière naturelle qui ne l’était pas à leurs yeux en réalité. Je pense personnellement comme d’autres d’ailleurs, que les deux chefs d’états, Ould Taya et Abdou Diouf embourbés dans leurs propres problèmes politiques pour lesquels ils ne trouvaient pas de solutions, n’ont pas véritablement cherché à mener des négociations d’apaisement. Et c’est peut être pourquoi, ni l’un ni l’autre n’avait accepté que des « pompiers » disposés à éteindre le feu qui allait se propager au-delà des deux frontières interviennent ce qui était dans l’intérêt des populations.
Quand Radio France incitât à la violence et jette de l’huile sur le feu.
Je suis arrivé à Barkéol le 12 avril 89 dans l’après midi. Nous étions logés chez le représentant local de notre Société nationale. Tout au long du trajet nous n’avions pas eu des nouvelles de la suite des événements. On n’avait pas de radio à bord du véhicule et non plus dans les bagages. C’est donc chez notre hôte de Barkéol que nous avons eus les premières nouvelles. Diffusées par Radio France internationale, ces nouvelles n’étaient pas bonnes et elles avaient plutôt tendance à inciter à la violence contre les mauritaniens vivants au Sénégal. Ce qui peut se comprendre d’ailleurs. Les français se prostituent aux sénégalais depuis le 1er novembre 1677 date de leur arrivée sur l’ile de Gorée reconnue officiellement en 1978 par l’Organisation des Nations unies (ONU), « île-mémoire ». Et depuis cette date, et l’envoi des premiers esclaves de la Gambie, du Bénin et Ghana par la porte de non retour les français avaient comme toujours plus d’intérêts avec les sénégalais qu’avec les mauritaniens.
A Barkéol, c’était Radio France qui nous avait appris que les violences avaient commencées et que rien qu’au premier jour, les morts sénégalais se comptaient par dizaines du côté de Nouakchott. RFI rapportait que des scènes de violences meurtrières inouïes étaient perpétrées par des escadrons de la mort au su et au vu des autorités du pouvoir de Nouakchott. A l’époque il n’y avait pas de cellulaires. C’était donc, Radio France internationale qui faisait le plus et le beau temps en diffusant des informations qui étaient malheureusement plus incitantes à la violence qu’à l’apaisement.
Comme Radio France internationale était et est encore, la radio de référence et de préférence des auditeurs négro-africains, aussi bien ceux de la Mauritanie que ceux du Sénégal, on avait comme l’impression qu’elle jouait au lance-flammes en donnant toutes les heures des nouvelles très alarmantes qui faisaient sur ses ondes courtes et moyennes un décompte macabre insistant particulièrement et plus sur les statistiques des tueries du côté de Nouakchott.
Cette situation mettait finalement dans l’embarras aussi bien les autorités mauritaniennes que les autorités sénégalaises parce qu’à un moment, même dans les coins les plus reculés des deux pays, les nouvelles de RFI circulaient de bouche à oreilles colportant les informations sur les violences. Ce qui faisait que, dans certaines contrées des zones enclavées au Sénégal, la situation était devenue incontrôlable. Et les mauritaniens coincés dans ces zones ont été massacrés dans l’anonymat et l’indifférence totale de la communauté internationale.
Ce qui faisait aussi par ailleurs que beaucoup de négro-mauritaniens vivants tout au long du bord du fleuve, paniqués par les informations alarmantes de Radio France internationale, avaient de leur propre gré traversé le fleuve pour aller se réfugier de l’autre côté avant même que les autorités mauritaniennes ne se lancent dans cette campagne épouvantable et inhumaine d’expulsions massives et ciblées des negro-mauritaniens.
Au troisième jour des événements, les violences meurtrières lancées par des escadrons de la mort en Mauritanie ont été contenues et arrêtées. Stoppées nettes, parce que les mauritaniens coincés au Sénégal avaient commencé à payer le prix du déchainement de la violence perpétrée contre les sénégalais résidents en Mauritanie. A cause des informations diffusées par Radio France internationale, la situation du côté du Sénégal échappait complètement au contrôle des autorités et la violence s’est poursuivie de manière étendue et inhumaine sur tout le territoire du Sénégal. Au 3eme jour de la violence au Sénégal, des centaines de mauritaniens qui étaient coincés dans des contrées lointaines reculées du Sénégal, -des descendants d’esclaves pour la plupart-, avaient été massacrés en réaction à la violence des escadrons de la mort qui se sont déchainés en Mauritanie les deux premiers jours.
Cette montée de la violence meurtrière était la conséquence de la diffusion d’informations de RFI, (le plus souvent infondées d’ailleurs) sur des atrocités qui auraient été commises sur des ressortissants sénégalais dans la capitale économique Nouadhibou. Ce qui faisait que même, 78 heures après la fin de la folie meurtrière de Nouakchott et Nouadhibou, le massacre des mauritaniens coincés dans les zones isolées au Sénégal se poursuivait dans l’indifférence totale des autorités de Dakar.
Barkéol, localité isolée, enclavée, avec un préfet mi-noir, mi blanc qui se ronge les ongles.
Le jour de notre arrivée à Barkéol, nous n’avons pas vu le préfet. On avait réservé notre visite de prise de contact au lendemain. Le lendemain nous nous sommes rendus à son Domicile. Le préfet était à ma grande surprise Diakité, un ami et même plus, un frère. Toujours propre, toujours élégant et toujours souriant, il nous avait accueillis à bras ouverts. C’était tôt dans la matinée. Il prenait son thé matinal et son petit déjeuner standard dans toute la zone, un bout de pain et quelques arachides. Patit déjeuner loin en tout cas du menu du self service de l’hôtel Téranga de Dakar, devenu le King Fahd Palace Hôtel. Le préfet était content de me voir et moi aussi. Il avait son transistor collé à l’oreille et il suivait à la minute l’évolution politique et sécuritaire de la situation.
Mon ami Diakité administrateur civil, était je crois, à son premier poste de commandement. Les habitants de Barkéol descendants d’esclaves sont des gens honnêtes qui sont versés dans la vente de la viande grillée dans les localités de Nouakchott, Rosso, Kaédi et Nouadhibou. Ils quittent le terroir pour travailler toute l’année à l’intérieur du pays et ne reviennent que la saison d’hivernage pour les cultures sous pluies. A notre arrivée dans la localité en 89, il n’y avait ni eau, ni électricité, ni téléphone. Le centre de gravité du triangle de la misère et de la pauvreté, Barkéol était plus pour un préfet, un lieu de « détention » qu’un lieu de travail parce que les problèmes administratifs à résoudre dans cet arrondissement ne créaient jamais d’embouteillages. Mon ami Diakité, le Roi de la Sape, s’ennuyait beaucoup parce qu’il n’avait pour compagnon qu’un poste radio qui ne diffusait que des nouvelles de plus en plus mauvaises.
Depuis 48 heures que nous sommes à Barkéol, mon moral était au plus bas à cause de cette situation qui dégénérait. J’étais inquiet pour ma femme et pour mes amis sénégalais et j’avais hâte de quitter mon ami Diakité qui, le pauvre, par décision du conseil de ministres avait coincé dans ce coin perdu.
Après Barkéol, je me suis rendu à Guérou seconde étape de mon périple de mission. Nous étions à 50 kilomètres de Kiffa, d’où nous pouvions communiquer avec Nouakchott. Nous avons passé la nuit à Guérou et le lendemain nous sommes partis pour Kiffa afin de profiter de la liaison radio RAC de la matinée. On nous avait appris qu’à Nouakchott la situation sur le plan humanitaire était explosive. Les services d’assistance du Croissant-Rouge mauritanien, en charge de l’aspect logistique et humanitaire des camps d’hébergement, des sénégalais (à la mosquée Ibn Abass et à la foire) et des mauritaniens de retour du Sénégal (au stade olympique) sont débordés. On m’avait informé, et c’était essentiel pour moi, que le Croissant Rouge avait établi le contact avec ma femme et que tout allait bien.
Le préfet menacé de mort est extirpé de son domicile et évacué de nuit par mesure de sécurité.
Nous retournons à Guérou où nous passons la nuit. Le lendemain nous nous rendons au domicile du préfet pour les contacts préliminaires de notre mission. Arrivés sur place nous sommes surpris. La maison du préfet, sécurisée par un peloton de la garde Nationale dépêché depuis Kiffa est encerclée par des manifestants qui explosent leur colère en criant des slogans hostiles à l’endroit du préfet.
Je demande à l’un des manifestants qu’est ce qui se passe. Il me dit « qu’ils attendent la sortie du préfet pour le lyncher ». Je lui demande pourquoi ? Il me dit parce que « le préfet est un sénégalais qui a séquestré une sénégalaise pour la protéger de la colère de la foule ».
En fait il parlait de Mohamed El Hadj Macina, un mauritanien de pure souche natif de Boghé que je connaissais très bien. Un grand frère, un vrai commis de l’Etat, un mauritanien politiquement modéré, ce qui lui permet de progresser avec toutes les variantes des pouvoirs en Mauritanie.
J’ai traversé la ligne des manifestants en ébullition qui criaient leur colère et leur haine et je suis allé demander au garde qui était à la porte, l’arme au point, si je pouvais voir le préfet. Il m’a demandé de décliner mon identité ce que j’ai fais et je lui ai dis que le préfet était averti de l’arrivée de la mission.
Puisque c’était moi, il m’a sifflé à l’oreille que le préfet n’était pas chez lui. Il m’a expliqué que le Préfet avait été, par mesure de sécurité, extirpé de son domicile par un peloton de la garde venu de Kiffa et qu’il avait quitté pour Nouakchott probablement. Je lui ai demandé qu’est-ce que les manifestants attendaient encore. Il m’a répondu qu’ils ne savent pas que le préfet avait quitté les lieux.
Je me suis rendu compte à quel point la situation était devenue compliquée et difficile. Difficile surtout pour ces pauvres sénégalais qui étaient à Néma ou à Aioun, donc pratiquement à plus de 1000 kilomètres de chez eux. Nous avons donc quitté Guérou directement pour Kiffa afin d’informer notre direction que notre mission allait être écourtée par cet élément nouveau qui faisait que le préfet de Guérou n’était pas en place. Notre contact radio tombait bien. Notre siège nous avait ordonnés de rentrer immédiatement à Nouakchott pour renforcer les effectifs débordés.
Affecté à la foire en charge de nourrir et d’assurer l’évacuation des sénégalais dans leur pays.
Quand je suis rentré à Nouakchott, le lendemain matin, je suis allé directement au bureau où m’attendait le président. J’ai reçu les instructions de me rendre immédiatement à la foire pour assurer la relève de mon Secrétaire Général qui coordonnait les activités des équipes des volontaires sur place. Un ordre qui me mettait devant une très lourde responsabilité. Je devais coordonner les activités logistiques et humanitaires des équipes de volontaires du Croissant Rouge de la foire. Ce qui signifiait concrètement que j’avais la gestion d’un camp où étaient hébergés 3574 sénégalais, tous à rapatrier dans leur pays. J’étais en liaison radio permanente avec la logistique de la représentation du PNUD, avec pleins pouvoirs de commander sur une simple demande verbale audio les besoins pour la nourriture des sénégalais que j’avais en charge. J’avais la responsabilité d’organiser, de sélectionner, d’enregistrer et d’envoyer les sénégalais de la foire à l’aéroport pour leur évacuation par le pont aérien marocain.
J’avais un stock permanent en vivres suffisant et renouvelable pour 4.000 personnes, pour 7 jours et « complétable » sur ma demande. J’avais la compétence de commander par appel radio talkie Walkie jusqu’à 6.000 miches de pains par jour et jusqu’à 12.000 boites de sardines par jour, parce que la plupart des sénégalais privilégiaient les sardines, parce que certains d’entre eux avaient laissé entendre que les autres produits, riz, sucre et huile pouvaient être intoxiqués volontairement par les mauritaniens pour nuire à leur santé.
Tout allait bien. J’avais mis de la discipline et de l’ordre dans mon site. En moins de 24 heures, j’avais redonné confiance à tous les sénégalais hébergés dans mon camp qui étaient pour la plupart traumatisés par les violences aux quelles ils avaient échappés. Tout allait bien jusqu’au jour où on m’a envoyé dans mon camp les blessés évacués de Nouadhibou. Radio France internationale avait diffusé une information selon laquelle ces blessés graves acheminés de Nouadhibou ont été retenus dans un camp à la foire de Nouakchott.
Les blessés qui pensaient qu’ils s’attendaient à un vol sans escale à destination de leur pays avaient lancé un mouvement de grève de la faim s’estimant « séquestrés ». L’information de RFI avait relancé la violence de plus belle au Sénégal où, des mauritaniens propriétaires de dibiteries originaires de Barkéol pour la plupart ont été grillés dans leurs fours. D’après des témoignages que j’avais recueillis moi-même plus tard à Maghama auprès de mauritaniens de retour après de longues marches de nuit dans les forêts et les savanes pour échapper aux escadrons de la mort sénégalais, des femmes enceintes ont été éventrées, des enfants écrasés contre des murs, des harratines brulés vifs ou grillés dans leurs fours pour protester contre la retenue des blessés sénégalais à Nouakchott.
Les autorités sénégalaises par chantage et pressions sur Nouakchott, avaient arrêté de renvoyer les mauritaniens par le pont aérien exigeant que les blessés sénégalais dont radio France internationale faisait allusion soient évacués en premiers. J’avais du vrai pain sur la planche, je dirais plus tard pourquoi.
Pendant les 48 heures durant lesquelles le pont aérien marocain avait été suspendu, (sur la pression des sénégalais) qui retenaient en otage les mauritaniens regroupés à Dakar exigeants le rapatriement de leurs blessés, je me promenais dans le camp du site dont j’avais la responsabilité pour rehausser le moral des sénégalais qui criaient leur ras-le-bol afin d’être acheminés dans leur pays. Au cours de ces visites, j’avais rencontré des cas dont je n’avais jamais voulu en parler par une obligation de réserve que je m’étais imposée, mais sur lesquels je reviendrais avec mal au cœur 32 ans après ces douloureux événements qui ont fait couler beaucoup de sang et de larmes. (A suivre).
Mohamed Chighali