28-08-2021 13:45 - « La dérogation délivrée au navire Turc … est un acte patriotique et courageux !»

« La dérogation délivrée au navire Turc … est un acte patriotique et courageux !»

Maïmouna Abdallahi SALECK - « Vous savez qu’il est aberrant et honteux pour nous en tant que mauritaniens, de ne pas fournir aux populations vulnérables du poisson dans leurs plats ? … Aujourd’hui, les mauritaniens n’ont plus de poissons dans leurs plats.

Les prix sont devenus exorbitants. Je vous donne un exemple : le mulet qui se vendait à 150 ouguiyas, est aujourd’hui à 700 ouguiyas – la sardine qui se vendait à 100 ouguiyas, est aujourd’hui à 400 UM….

Ça c’est aberrant … le marché à Nouakchott reçoit 15 à 20 tonnes par jour, qui font l’objet d’une spéculation à des prix exorbitants …»


Devinez qui parle ainsi ?

Le Président de la République ? …. Non, non !

Le Ministre des Pêches et de l’Économie Maritime ? …. Non plus !

La Directrice de la Société Nationale de Distribution du Poisson ?? …. Que Nenni !

Le Commissaire à la Sécurité Alimentaire ? … même pas !!

C’est le Secrétaire Général des Usiniers et Exportateurs de Poisson à Nouakchott !

Le porte-parole de ceux qui sont responsables de la fuite de nos Thiofs vers l’étranger et de la flambée du Seugh … le porte-parole de ceux qui n’hésitent pas à rafler tous les Yayboy - en mer, sur terre et même au fond des bassines des mareyeuses aux aguets - pour les réduire en farine, afin de nourrir les poulets et les porcs d’Asie !

Monsieur Abidine Sidaty déclare, dans une interview accordée au site web Le360 (https://cridem.org/C_Info.php?article=748334), que cette décision patriotique et courageuse du Ministère des Pêches va donner « l’opportunité aux mauritaniens de gouter à leur poisson » – car il s’engage à baisser les prix du marché de 60% ! (bien évidemment, puisqu’il est seul maître à bord !)

Retenez bien tous ces chiffres !

Il explique que grâce à la dérogation octroyée par le Ministère, à leur navire (exclusivement dédié à la pêche des pélagiques, d’une capacité de pêche de 150 à 200 tonnes par jour) d’opérer dans une zone riche en poissons, les usiniers vont pouvoir débarquer 160 tonnes environ par jour.

Sur ces 160 tonnes, 50 tonnes alimenteront immédiatement le marché local – «vont dans toutes les maisons des mauritaniens avec des prix très raisonnables (sic)» - le reste sera congelé et «éventuellement » mis à la disposition du marché. Il revient pour dire qu’ils ont même prévu un stock de sécurité: « 10 tonnes seront stockés par jour et au bout de 10 jours on aura un stock de 100 Tonnes de poissons traités et stockés pour les éventuelles pénuries. » dit-il.

« Ainsi, nos usines pourront reprendre leurs activités et nos employés « pères de famille » auront un espoir de garder leurs emplois et ne seront pas licenciés… » conclut Mr Sidaty (avec un brin de menace dans l’air… dirait-on ?)

Avant la prise de parole du Secrétaire Général, le Président des Usiniers et Exportateurs de Poissons déclarait que cette dérogation était vitale et courageuse car la quarantaine d’usines, pratiquement à l’arrêt depuis 2 ans, étaient sur le point de fermer par manque de « production » (production de quoi ?)

Les questions qui me viennent à l’esprit en écoutant ces deux hommes d’affaires, soudainement devenus, philanthropes :

- Dans son élan de patriotisme et d’altruisme, Mr Sidaty n’explique pas tout : sur les 160T pêchés (seulement ? alors qu’il peut faire 200T, hum?) 50T iront sur le marché local, 10T congelés pour la réserve … et le reste … 100T, on en fait quoi ?

- Comment expliquez-vous que la Mauritanie, avec ses côtes, parmi les plus poissonneuses au monde, n’arrive pas à approvisionner un marché local, alors que 50 Tonnes couvrent largement ses besoins ?

Ce n’est certainement pas parce que ces messieurs n’arrivent pas à trouver du poisson en mer !

Le Ministère des Pêches et de l’Économie Maritime déclare sur son site internet que la Mauritanie aurait exporté entre le 1er janvier et le 11 mars 2021 :

- 36.751 tonnes de poissons pour une valeur de 2.739.592.662 MRU – dont 23.587 tonnes de pélagiques, soit 212 tonnes de pélagiques exportés par jour ;

- 36.781 tonnes de nouveaux produits (PP, farines et huiles de poissons) pour une valeur de 1.429.264.297 MRU – dont 26.282 tonnes de farine de poissons (dont la production nécessiterait 130.000 tonnes de produits de pêche, soit 1.180 tonnes chaque jour).

en 2020, les exportations étaient de :

762.156 Tonnes de poissons (dont 32.900T de pélagiques) pour une valeur de 30.591.082.908 MRU et dont 128.472T de farine de poisson (que la production nécessiterait 642.360 Tonnes de produits de poissons) ;

Toujours selon le site du Ministère des Pêches, les pêches artisanales, côtières et piroguières auraient capturé, en 2020, 316.347 tonnes de poissons, dont 93.374 tonnes à Nouakchott.

Et enfin, le Port Autonome de Nouadhibou recense pour l’année 2020, 577.237 tonnes de poissons frais et congelés, débarqués – soit 1.577 tonnes par jour.

Maintenant, messieurs, expliquez-nous votre incapacité (et celle du gouvernement mauritanien) – après tous ces chiffres - à trouver, les misérables 50 tonnes de poissons nécessaires pour alimenter le marché local des mauritaniens ?

Ou est-ce uniquement un « bon prétexte » pour accéder à cette zone A, tant convoitée, qui va renflouer vos 42 usines (qui ne remplissent, suffisamment pas à votre goût, vos congélateurs et vos comptes en banques) ? Et vos autres 40 usines – que vous ne citez pas - elles sont « bien remplies » ?

Comment pouvez-vous nous menacer avec le licenciement des employés de vos 42 usines - alors que vous allez priver 33.387 pères de familles (source IMROP) de leurs maigres ressources, déjà largement impactées par les pêches illégales et non réglementées, la surpêche, les changements climatiques, les pollutions, les engins et filets fantômes en plus des manœuvres des pétroliers, gaziers, transporteurs, … ?

Messieurs, sachez que cette petite zone que vous convoitez avec une si forte et émouvante énergie, est vitale (Oh OUI !) pour l’avenir de cette ressource que vous avez surexploité avec un si grand appétit ! Cette zone très riche (vous l’avez bien dit) abrite des espèces vitales pour la chaîne alimentaire de la biodiversité qui existe en mer.

Mais tout cela vous le savez ! et le Ministère des Pêches le sait aussi !

Et vous savez aussi que si jamais votre senneur - avec ses 40m de longueur, ses 930 tonnes, ses 4.260 chevaux et sa vitesse de 14,5 miles – « par accident ou par négligence », venait à franchir la frontière interdite du Parc National du Banc d’Arguin – on pourra dire Adieu à notre dernière et exceptionnelle ressource naturelle renouvelable et durable !

J’imagine aisément que vous avez négocié sur la table au Ministère, non pas au nom de ces mauritaniens affamés par votre appétit, mais bien au titre des retenues sur vos exportations pour l’année 2020 : 3.074.293.400 d’Ouguiyas (trois milliards soixante-quatorze millions deux cent quatre-vingt-treize mille quatre cent ouguiyas) !

On comprend mieux que vous ayez plus d’écoute que 5 fédérations de Pêche Artisanales réunies.

A eux, on retire l’accès légitime de cette zone, et à vous, on donne une dérogation spéciale de pêche, « opérant dans le cadre d’une pêche expérimentale, ayant pour but d’améliorer et de renforcer l’accès des populations aux produits halieutiques à des prix raisonnables et destinés uniquement à la consommation humaine » (message n°00095 du 19 Août 2021 du MPEM).

Et tant pis pour l’avenir de la pêche, de la biodiversité marine, du poisson, de la sécurité alimentaire, … on oublie tout cela, car bientôt on va remplacer nos bateaux par des pipelines pour pomper tout le gaz et le pétrole que vont sortir nos autres « amis philanthropes » de BP, Total, Exxon mobil, Kosmoss, Eiffage… les poissons, les tortues, les oiseaux iront chercher ailleurs pour se reproduire, et les mauritaniens pourront à ce moment mettre, directement, dans leurs assiettes du mercure, du plomb, cadmium, sélénium et du polystyrène !

Maïmouna Abdallahi SALECK




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Commentaires (4)

  • hayerim (H) 02/09/2021 14:20 X

    Bravo et bien dit, Madame! La durabilité du poisson est en effet, en jeu avec ce genre de décision prise en contre courant des conclusions scientifiques tant au niveau local qu'au niveau de la FAO et autres institutions spécialisées. Renforcer la surveillance et la recherche scientifique mais aussi la vigilance de la société civile sont nécessaires pour barrer la route à tous les dangers induits inévitablement par le exploitations offshore du gaz et pétrole et des changements globaux mais aussi par les cupides industriels minotières de farine de poissons et leurs intermédiaires, opérateurs nationaux. L'exploitation des ressources halieutiques doit impérativement se conformer aux recommandations de nos institutions scientifiques nationales pour en assurer la durabilité et pour permettre une réelle intégration, tant recherchée depuis des décennies, du secteur des pêches à l'économie nationale. Continuons à défendre nos ressources halieutiques et leur environnement faces aux innombrables défis issus du contexte surtout de nouveaux usages tels que les exploitations offshore de gaz & pétrole, souvent porteurs de malheurs, d'ailleurs!

  • mauritanievive (H) 28/08/2021 23:27 X

    Quelle honte et quel gachis ! les espoirs de la survie de ce pays s'amoindrissent de jour en jour par la cupidite et l'ingratitude de ses enfants tout cela facilité par la passivite de nous tous.

  • lelion (H) 28/08/2021 18:59 X

    Merci Mme pour le courage et la clairvoyance. Bon vent!

  • mdmdlemine (H) 28/08/2021 14:06 X

    Maimouna Mint Saleck a sa place dans le gouvernement Elle peut mettre de l'ordre dans le secteur de la pêche, lequel, doit être hissé dés lors où il contribue considérablement à l'autossuffisance partielle et dont à réduire les importations alimentaires, soit de quoi faire d'importantes réserves en dévises en plus des revenus occasionnés par ce secteur toujours objet d'un pillage systématique Le secteur de la pêche a besoin de faire l'objet d'Etats généraux et d'avoir une bonne place dans le dialogue politique en perspective C'est paradoxe pour un peuple de disposer de la nourriture naturelle et d'en être privée, pire de la racheter aprés avoir transité par les canaux des véreux et sans scrupules hommes d'affaires