30-07-2022 13:51 - Désiré Letroher Moukhteiry : « Les artistes urbains mauritaniens sont créatifs, dynamiques mais guère reconnus »
Kassataya - Désiré Letroher Moukhteiry, Mauritanien, producteur, artiste, fait partie des précurseurs du mouvement hip hop en Mauritanie. Actif dans la production, Dezy Dez (son nom d’artiste), est propriétaire d’un label indépendant de musique et d’un radio web.
Il a offert à son pays l’occasion de plusieurs qualifications à des compétitions internationales de rap, de dj et participe à la promotion du hip hop mauritanien et des arts urbains en général.
« Ces artistes urbains, en Mauritanie, malgré leur créativité, leur dynamisme… souffrent d’un déficit de reconnaissance » constate Dezy Dez. Entretien.
Initiatives News : Quand on dit « les arts urbains », de quoi parle-t-on exactement ?
Dezy Dez : Les arts urbains renferment différents arts nés avec l’urbanisation. Ce sont les graffitis ou fresques murales, le break dance et le smurf, le beat-box, le djing et enfin le rap qui représente principalement le mouvement hip hop. Ces arts sont, depuis plus de 40 ans, ceux qui intéressent le plus la jeunesse du monde entier. Et, dans des pays comme la Mauritanie ou les jeunes représentent la majorité de la population, on imagine l’engouement pour ces arts.
Initiatives News : Mais les acteurs mauritaniens de ces arts urbains souffrent d’un déficit de reconnaissance…
Dezy Dez : Les artistes de ce mouvement culturel urbain ne sont pas du tout valorisés en Mauritanie parce qu’il y a, d’abord, une véritable méconnaissance de ce qu’ils font, de leur apport. Ensuite, ils sont les parents pauvres des responsables du ministère de la culture.
Pourtant, il y a un lien solide entre ces artistes urbains et les autres dits traditionnels. En effet, il y a eu des échanges à travers des chansons enregistrées ensemble en duo et celles-ci ont permis à la fois aux musiciens traditionnels de se faire connaître et aimer du public que constitue la nouvelle génération et vice-versa. C’est une sorte de pont entre les générations qui doit être encouragée.
Initiatives News : Le gros morceau de ces arts urbains, c’est le rap….
Dezy Dez : Le rap qui occupe effectivement une place importante dans la culture urbaine est né, a grandi et se développe en Mauritanie sans guère de soutien de l’Etat à travers son ministère de la culture. Les artistes rappeurs se battent quotidiennement pour travailler et développer leur art avec leurs propres moyens.
Initiatives News : Il s’agit donc de moyens du bord, de la débrouille…
Dezy Dez : Il est difficile aux artistes du mouvement hip hop d’adhérer à l’association des musiciens mauritaniens. Les critères d’adhésion à cette association les excluent. Le nom « rappeur », différent de chanteur, ou encore les appellations « Dj ou beatmaker » ne se trouvent point sur la fiche d’adhésion. Conséquence : aucun Dj, rappeur etc. ne possède de carte d’artiste musicien alors qu’ils sont musiciens, triste constat.
Malgré cette marginalisation, les rappeurs ont la plus grande et meilleure qualité de production audio et visuelle (clips) en Mauritanie. Ils n’ont jamais attendu l’aide de l’Etat pour progresser jusqu’à se produire à l’extérieur du pays en rapportant même des trophées du Sénégal, du Maroc… Ils se qualifient à des compétitions internationales … Ils ont conquis le public de l’intérieur du pays ( Kiffa, Boghé, Kaédi, Nouadhibou, Rosso…). Le mouvement hip hop qui associe la culture mauritanienne (à travers les langues nationales, le mode vestimentaire national et les sonorités traditionnelles) au développement technologique moderne (beats machines et platines) représente l’implication de la Mauritanie dans la mondialisation, l’exemple typique de l’évolution de la musique mauritanienne.
Le pays regorge de talentueux jeunes garçons et filles, capables de faire valoir la musique mauritanienne dans le monde. Le mouvement hip hop offre à la jeunesse mauritanienne du travail, de la main-d’œuvre pour ainsi dire des milliers d’artistes et centaines de studios d’enregistrement audio-visuels.
Initiatives News : Comment l’Etat, à travers notamment le ministère de la culture, peut aider les arts urbains en Mauritanie ?
Dezy Dez : L’aide dont a besoin les arts urbains mauritaniens de la part de l’Etat doit, d’abord, se matérialiser par la ratification des conventions internet qui permettront aux artistes d’être rémunérés par youtube, Tik-tok ainsi que toutes autres plateformes digitales. Il faut ensuite faciliter les autorisations des concerts, aménager des espaces de loisirs (salles de spectacles, centres culturels…), intégrer les artistes au sein de l’association des musiciens afin qu’ils puissent recevoir les subventions de l’Etat. L’Etat doit revoir sa politique culturelle afin que brille la Mauritanie dans le monde et nous en sommes capables parce que, je répète, nous l’avons déjà fait nous artistes, musiciens urbains.
La culture mauritanienne peut et doit rayonner dans les années à venir dans le concert des cultures universelles. Je prends l’exemple pour terminer de l’équipe nationale de football qui, après avoir reçu un dirigeant dévoué corps et âme, a pu progresser. L’Etat doit s’impliquer davantage dans la culture car notre pays regorge de talentueux artistes.
Propos recueillis par BS
Source : Initiatives News