20-10-2023 07:00 - Entretien avec Dr Sid’Ahmed El Béchir, coordinateur du Coordinateur du Programme national de santé communautaire (PNSCM)

Entretien avec Dr Sid’Ahmed El Béchir, coordinateur du Coordinateur du Programme national de santé communautaire (PNSCM)

Le Calame - Coordinateur du Programme national de santé communautaire (PNSCM), le docteur Sid’Ahmed El Béchir est gynécologue-obstétricien diplômé en santé publique, santé de la reproduction et paludologie.

Au cours de sa carrière, il a occupé les postes de chef d'unité de formation au Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) et de chef du service « Santé scolaire » au ministère de la Santé. Dans cet entretien avec Le Calame, ce praticien des hôpitaux parle du PNSCM, de ses activités, de l’importance de la santé communautaire, de ses perspectives mais aussi de ses contraintes.

Le Calame : Nous remarquons un regain d’intérêt pour la santé communautaire dans notre pays depuis quelques temps après l’avoir oubliée des décennies durant. Comment expliquer cela ?

Sid’Ahmed El Béchir : Vous avez raison, La santé communautaire est une ancienne approche qui revient de nouveau au premier plan. Elle paraît en effet si indispensable qu’elle est comme « revenue au galop », dirait-on. C’est peut-être parce qu’elle est, jusqu’à preuve du contraire, l’approche sanitaire la plus naturelle qu’il soit.

Avec ce retour que vous évoquez, on a en effet le sentiment d’avoir été leurré par le boom de la science et des technologies pendant plusieurs décennies. Certes cela ne veut pas dire que ce boom fut une mauvaise chose. Bien au contraire : il a apporté de bons atouts dans la pratique de la médecine mais celle-ci ne résume pas, à elle seule, tout le concept de la santé. La santé est en réalité beaucoup plus étendue et profonde.

C’est en tous cas la leçon qu’ont voulu nous donner les deux grandes conférences qui ont cadré temporairement ce boom et qui se sont déroulées, hasard de l’Histoire, dans deux grandes capitales de l’ex-Union soviétique : Alma-Ata en 1978 et Astana en 2018.

Aux temps d’Alma-Ata, la seule source de l’information sanitaire était l’agent de santé dans son cabinet ; à ceux d’Astana où le monde connaissait déjà l’ahurissante connectivité dont nous disposons tous aujourd’hui, chaque individu est lui-même une source ambulante d’informations sanitaires très avancées, parfois plus avancées que celles dont dispose l’agent de santé dans son cabinet.

Bien que diamétralement opposées, ces deux situations appellent, quasiment de la même façon et avec la même considération, à l’implication et la responsabilisation de la communauté dans sa propre santé. En effet, si le manque d’informations est une forte raison pour mobiliser des agents de santé communautaire, son excès en constitue une non moins importante.

C’est donc conscient de cela que les chefs d’État du monde entier ont jugé de la plus grande utilité de relancer, en plein boom de l’information, la santé primaire à Astana où ils ont déclaré: « Nous sommes convaincus que le renforcement des soins de santé primaire est l’approche la plus complète, efficace et économiquement rationnelle pour améliorer la santé physique et mentale des populations, ainsi que leur bien-être social. Les soins de santé primaires sont la pierre angulaire d’un système de santé durable dans l’optique de la couverture sanitaire universelle… »

- Que recouvre le vocable « santé communautaire » ? Quels sont ses spécificités et ses facteurs par rapport aux autres types de santé ?

- Ce vocable recouvre plusieurs définitions. C’est une approche dynamique mobilisatrice des communautés qui vivent autour de chacune des structures sanitaires du pays. Comme je l’ai dit plus haut, on était, ces dernières années, sur une voie où nous avions, d’un côté, une tendance facile à réduire toute la santé en une simple action d’offre de soins curatifs aux malades, tandis que notre offre des services de santé préventifs et promotionnels était, d’un autre côté, dictée à nos populations sous forme des solutions prêtes à l’emploi, sans vraiment prendre leurs avis.

Celles-là ne s’y retrouvaient pas et c’est sans nul doute cela qui explique tous les retards accumulés dans la réalisation de plusieurs de nos objectifs sanitaires. Sans une réelle adaptation de notre système aux besoins de nos communautés, dans la manière et la mesure, nul avancement ne pourra être franchement obtenu.

L’approche communautaire de la santé est donc une vision beaucoup plus globale qu’une pratique limitée aux soins. Même si l’on réduisait toute la santé à cette seule séquence interventionniste, nous ne devrions d’ailleurs jamais perdre de vue et considérer deux points essentiels : le premier en rapport avec les communautés sans lesquelles les retards de recours aux soins vitaux, qui sont incriminés dans nos taux élevés de mortalité précoce, persisteraient indéfiniment… Le deuxième concerne les risques liés à la pratique même de la médecine.

C’est le cas par exemple des méfaits de l’excès de la médicalisation de l’accouchement –l’augmentation du taux des césariennes – sur la santé de la femme. C’est aussi celui des complications iatrogènes : « l’effet Distilbène » (1) demeure encore à ce jour un des plus éloquentes illustrations dans la mémoire collective de la société savante médicale. Et c’est, enfin, celui de l’émergence de résistances aux médicaments qui sont, de nos jours, consommés de façon anarchique.

En plus de sa vision panoramique, la santé communautaire revêt une autre qualité qui lui confère une grande importance. Cette approche est en effet fondée sur les valeurs de justice et de solidarité. Elle entretient également un principe d’équité non moins important qui se résume dans l’anglicisme « no man’s behind ».

Avec ces valeurs et ce principe, elle se révèle alors tout-à-la-fois une indéniable source de paix et de sécurité pour nos États et un réel moteur de développement et d’épanouissement pour nos communautés ; pour chacun d‘entre nous, au final…

- La santé communautaire met donc l’accent sur les communautés. Comment est-elle mise en œuvre sur le terrain? Que fait la coordination que vous dirigez pour les amener à prendre en charge leur propre santé ? Ont-elles pris conscience de leur rôle dans ce dispositif ?

- L’Agent de santé communautaire (ASC) est la pièce fondamentale pour l’implication, la conscientisation et, en gros, l’autonomisation de toute la communauté. Pour que cela se réalise vraiment, nous comptons impliquer un agent pour chaque cinq cent personnes vivant au-delà de cinq kilomètres d’une formation sanitaire.

Ultérieurement nous complèterons ce dispositif par l’installation des ASC en milieu urbain. Le mode de fonctionnement de cette approche diffère d’un pays à l’autre. En certains, c’est la Société civile qui pilote les ASC. En Mauritanie, c’est une petite équipe d’avant-poste composée de deux types d’ASC (ASC et relais communautaire) encadrée et supervisée par l’infirmier chef du poste de santé le plus proche.

Les ASC sont rémunérés. Ils mènent des activités en rapport avec la promotion de la santé, la prévention des maladies, le traitement des diarrhées, du paludisme simple et des infections respiratoires aigües, tout en référant rapidement au système de santé classique. Ils servent également des relais dans leur communauté pour nos programmes prioritaire de lutte contre la maladie.

Ils participent par ailleurs à toutes les activités de masse en tant que « relais administratifs » au sein de leur communauté respective. Par ailleurs nous comptons les impliquer, en collaboration avec la CNASS, dans la vulgarisation de l’assurance-maladie pour tous et leur donner, de ce fait, la deuxième casquette des ODD consistant à réduire le coût de la santé.

Quant aux autres volets de votre question, la politique du programme met un accent particulier sur la valorisation et le soutien des ASC. Nous tenons à ce qu’ils soient bien motivés et bien conscients de leur important rôle dans la nouvelle vision qu’a notre pays pour accélérer sa couverture sanitaire et améliorer ses indicateurs.

- Quelle mission est assignée à la Coordination de la santé communautaire fondée par le ministère de la Santé et que vous avez la charge de piloter ? De quels moyens disposez-vous pour l’accomplir?

- L’implantation du PNSCM suit un mode décentralisé et déconcentré, à l’instar de tous les autres secteurs du développement de notre pays, telles les approches en rapport avec la gestion des collectivités locales.

C’est un peu un mode de « gouvernance raisonnable », à la mode aujourd’hui. Notre programme est concrètement une cellule centrale de coordination qui s’arrête à Nouakchott. Les directions de santé des wilayas, les médecins-chefs des moughataas, les infirmiers chefs de poste de santé, les comités de gestion locale et les agents de santé communautaire rémunérés assurent le branchement et la continuité de notre action pour qu’elle atteigne les communautés de notre pays en leur lieu même de villégiature.

Nous travaillons aussi de concert avec tous nos partenaires techniques et financiers et avec toutes les organisations de la Société civile exerçant dans notre pays dans le domaine de la santé communautaire. Il faudrait aussi à ce niveau vous parler de notre composante hospitalière appelée « hôpital mobile ». Elle vise à assurer une répartition équitable et juste des soins de santé spécialisés dans tout le pays où demeurent de larges pans de déserts médicaux. Cet hôpital jouera un rôle important dans la stabilisation des populations, la réduction des coûts des maladies chroniques et surtout contre la forte mortalité imputée aux maladies non transmissibles.

- Notre pays dispose-t-il des bons atouts pour réussir sa politique de santé communautaire ?

- Oui bien sûr. Notre pays dispose d’une grande expérience en ce sens. Le PSSR et l’initiative de Bamako qui entretient une importante composante communautaire ont connu chez nous un grand essor dans les années 80 et nous disposons par ailleurs de bons cadres humains, experts en approche de santé communautaire.

- Quelle est votre évaluation des structures sanitaires mauritaniennes ? Comment contribuent-elles au développement de la santé communautaire?

- Les structures sanitaires de notre pays accomplissent une excellente œuvre, malgré leur grande charge de travail, l’insuffisance des ressources humaines et leur mauvaise répartition à l’échelle nationale.

Ces structures sont la charpente de notre système de santé. Si elles exerçaient auparavant une activité verticale en fonction de ressources disponibles, elles sont aujourd’hui conscientes que la meilleure approche est celle de développer une activité horizontale impliquant la communauté pour atteindre leurs objectifs. La santé communautaire comme approche leur appartient.

À notre niveau par exemple, nous sommes juste une cellule de coordination centrale délégant ses activités dans les régions aux autorités régionales. Notre programme est donc décentralisé. Ainsi chaque structure sanitaire de notre pays est une cellule de coordination de la santé communautaire sur son aire.

Cela va du cabinet ministériel auquel nous sommes rattachés jusqu’au plus lointain des postes de santé de notre pays. Nous sommes tous des structures mobilisatrices de ce processus prometteur. Vous le voyez donc : c’est un engagement de haut niveau pour améliorer la santé de nos populations isolées et démunies. Et ce n’est pas le seul champ de bataille pour leur soutien : d’autres politiques sociales du même ordre battent le plein partout.

-Quelle place occupe la santé communautaire dans ce qu’on appelle les ODD ?

- L’approche communautaire est la plus appropriée pour assurer l’équité des soins. Elle est la seule à pouvoir atteindre les parties les plus inaccessibles du pays et les couches sociales les plus vulnérables. Ceci est d’autant plus important que ce « territoire » jusque-là délaissé est en réalité le vrai lieu où « se nourrissent » tous nos alarmants indicateurs de santé. Pour bien illustrer cela, notre pays qui compte environ dix mille localités n’en a équipé que huit cents de formations sanitaires. Certes les très nombreuses autres sont en réalité chacune d’un poids démographique trop faible pour justifier l’installation d’une structure sanitaire très chère.

Mais nous pouvons, avec l’approche communautaire relativement peu onéreuse, arriver à résoudre le problème de plus de 80% de nos maladies courantes et réduire considérablement la malnutrition chez nos populations infantiles. Vous voyez donc que cette stratégie entre en droite ligne du processus visant à atteindre une bonne couverture sanitaire universelle. En Afrique, les pays, majoritairement anglophones, qui nous ont précédé à l’utiliser se sont d’ailleurs approchés beaucoup plus vite que les autres de l’objectif assigné par Communauté internationale dans les ODD en matière de couverture sanitaire.

En résumé l’approche communautaire est, pour la couverture sanitaire universelle (ODD 3.8.1), ce qu’est l’assurance médicale pour tous, au service de la réduction des coûts de la santé (ODD 3.8.2) etje crois vous avoir donné assez d’arguments pour mesurer son importance dans un bon système de santé efficient.

- Les efforts dans la lutte contre la pandémie COVID 19, en termes d’infrastructures et de formations, ont-ils contribué à booster la santé communautaire ?

- La pandémie du COVID 19 a mis en évidence beaucoup de dysfonctionnements dans notre système de santé qu’il a fallu rapidement corriger. Certains – et non des moindres – de ces dysfonctionnements étaient dus à la faible implication de la communauté dans la santé. Pour y remédier, une des premières mesures fut de recruter et d’impliquer un grand nombre d’ASC afin de contrôler au mieux l’épidémie en facilitant la détection des cas et leur circonscription rapide. Cet arsenal communautaire est maintenant une partie considérable des ressources humaines dont dispose le PNSCM pour mener à bien ses activités.

Propos recueillis par Dalay Lam


NOTE

(1) : Après de nombreuses années de silence, il est aujourd'hui clairement établi que l'exposition in utero au distilbène peut provoquer des atteintes à l'appareil génital chez les enfants nées de mère ayant pris cet œstrogène de synthèse longtemps prescrit aux femmes enceintes pour prévenir les fausses-couches.



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