11-10-2023 13:12 - Lo Gourmo : L’objet d’un hors-sujet. Par Pr ELY Mustapha

Lo Gourmo : L’objet d’un hors-sujet. Par Pr ELY Mustapha

« Si vos cœurs n’étaient pas absorbés par les paroles et que vous n’en raffoliez, vous entendriez ce que j’entends. » (Hadith du Prophète Mohamed que la paix soit sur lui)

Faudrait-il répondre à un collègue et un ami lorsque tant sur la forme que sur le fond, il se trompe ? Certes, même si singulièrement, il utilise la troisième personne du singulier, comme s’il voulait prendre à témoin, un lecteur sophiste, au lieu d’user de la première personne du même singulier pour m’interpeller dans un dialogue constructif.

Il argumente donc, non comme un universitaire mais comme une institution publique et c’est dans ces termes que cette réponse lui est adressée. Mais une réponse que je ne considère pas comme une joute, tombant dans le piège du système en place de voir deux universitaires « s’étriper » pour son bonheur, mais une mise au point pour montrer que dans la forme, pour parler objectivement d’un sujet (l’Etat commanditaire), il ne faut pas en être l’objet (avocat, commandité) et que dans le fond pour détruire un argumentaire il faut que l’objet (le commandité) ne soit pas mu par son complément circonstanciel (le jugement de valeur).

En somme que sa rhétorique ne soit point viciée, en la forme, par son statut de commandité (objet d’un sujet) et erronée, au fond, par référence à un concept controuvé (la mettant hors-sujet). Sur la forme : Pour parler de morale…. Ne point être l’objet.

Je m’attendais à ce que 59 avocats, payés aux frais du contribuable puissent se joindre à leur 60ème collègue, Lo Gourmo, pour encore représenter l’Etat en tant que partie civile mais cette fois pas contre Aziz mais contre… la morale du droit. Tout le barreau s’il le faut, et d’ailleurs et ce qui en reste, quand 60 avocats sont recrutés et payés sur les deniers publics pour jouer le rôle d’un ministère public qui lui-même l’est aussi au frais du pauvre contribuable.

Mon frère et ami Lo Gourmo, en commentant mon article commet une grande erreur de parallaxe, la pensée libre, la mienne et la pensée serve, la sienne.

Lo Gourmo faisant partie d’un collectif d’avocats injustifié en nombre et en moyens ne fait-il pas partie d’un système qui le rémunère ? Or celui qui dépend financièrement n’existe pas. N’est-il pas à propos de cette affaire à la fois, avocat, juge et partie ?

D’autre part, Lo Gourmo pactisant avec un régime, qui voue le prévenu Aziz aux gémonies a-t-il une autonomie de pensée qui doit caractériser l’intellectuel indépendant qui peut évaluer en toute circonstance la réalité des faits judiciaires et les circonstances politiques de leur survenance ? Lo Gourmo, oublie-t-il que, que « le pire ennemi de l’avocat est son client », et son client est …l’Etat. Pas Aziz.

Financièrement dépendant, politiquement dépendant d’un régime en place, Lo Gourmo peut-il se targuer d’objectivité ?

L’irrecevabilité en la forme est donc une raison de rejeter son argumentaire. En droit, et surtout pénal, la procédure est un élément substantiel.

Sur le fond : Pour parler de morale… ne point être hors-sujet.

Se référant à Kant, Lo Gourmo fait, hélas ! une regrettable confusion entre la morale kantienne et la morale musulmane.

« Le devoir, écrit Kant est la nécessité d'accomplir une action par respect pour la loi. » Cette rationalité de la morale, contredit la morale prenant sa source dans la spiritualité musulmane et qui fonde le droit mauritanien.

Nous ne parlons pas donc de la même morale. Nous parlons de la morale musulmane qui fonde les valeurs de société et qui moule son droit, qui en est le reflet, à chaque étape de son développement historique.

Cette morale qui est l’essence du droit musulman et que Ibn Khaldoun appelle dans son fameux ouvrage Shifa’, la « loi morale musulmane » (fiqh al-bâtin).

La loi morale dans la loi islamique, une loi générale, absolue pour tous, autorise des exceptions et prend en compte la nature humaine et ses capacités. Parce qu'elle repose sur un principe moral authentique, qui est « l'intérêt » de la communauté musulmane, et que le but de la législation est d'atteindre un bénéfice public objectif, contrairement à la loi morale de Kant, qui est une loi stricte, transcendante, coupée de la réalité humaine, et qui ne n'autorise aucune exception, et n'approuve aucune inclination, quelles que soient les circonstances.

Comme l’écrit si justement Muhammad Abdel Moez Batawi, dans son ouvrage, la philosophie de la morale dans le droit islamique : « Contrairement à la doctrine du bien public, qui repose sur l’intérêt personnel et les caprices personnels ; La moralité dans la charia repose sur la préservation des valeurs objectives générales et de ce qui les complète, à savoir : la religion, l'âme, l'esprit, l'argent et la progéniture. Contrairement à la doctrine des sociaux-positivistes, qui considèrent la coutume comme une source de moralité ; Car la logique de la charia dans la coutume dirigeante ne signifie pas justifier et décrire ce qui existe dans la société tel qu’il est, comme le disent les positivistes, mais plutôt accepter ce qui est bénéfique et rejeter ce qui est nuisible. » (Muhammad Abdel Moez Batawi, « La philosophie de la morale dans le droit islamique : une étude sur la science des règles de la jurisprudence. » Publié par l'Institut supérieur de la pensée islamique 2018)

Cette morale c’est celle pour laquelle le droit en lui-même n’est pas une finalité (volontarisme kantien) mais celle du prophète Mohamed (PSL) qui place la communauté musulmane, comme finalité de son droit et non l’inverse, appelant les musulmans à être eux-mêmes par leurs comportements le reflet et les acteurs du droit (« ô croyants commandez le bien et interdisez le mal »). Et ce verset indiquant clairement que toute reconnaissance de droit et d’autorité passe par l’assentiment du musulman à sa moralité, c’est-à dire à la conviction personnelle de son intérêt et accepter donc sa soumission :

« Non, par ton Seigneur, ils ne croiront pas tant qu'ils ne t'auront pas fait juger de ce qui se dispute entre eux, puis ne trouveront en eux-mêmes aucun embarras de ce que vous avez décidé et se soumettront avec une complète soumission. »

Et ce hadith, par lequel le prophète Mohamed (PSL) reconnait qu’il tient sa reconnaissance de la conviction personnelle que le musulman aura de son message, condition de son adhésion : « Par Celui qui tient mon âme dans la main, aucun de vous ne croira jusqu’à ce que ses désirs soient conformes à ce que j’ai apporté. »

La morale de Kant, quant à elle, réduit l’individu à un sujet, dont la volonté doit se confondre avec celle du Léviathan (au sens de Hobbes), faisant de lui, contrairement à ce que l’Islam veut, un objet de pouvoir.

N’est-ce point Kant, qui écrivit dans la 2e section de son opuscule Théorie et Pratique, « même si le pouvoir ou son agent, le chef de l’État, ont violé jusqu’au contrat originaire et se sont par-là destitués, aux yeux du sujet, de leur droit à être législateur, puisqu’ils ont donné licence au gouvernement de procéder de manière tout à fait violente (tyrannique), il n’en demeure pas moins qu’il n’est absolument pas permis au sujet de résister en opposant la violence à la violence » (Théorie et Pratique (1793), II. « Du rapport de la théorie et de la pratique dans le droit politique (Contre Hobbes) », Ak VIII 299/300, Pl. p. 282 ; trad. L. Guillermet, Paris, Vrin, 1977, p. 42.)

Face à l’omnipotence et à la dictature, que le droit peut servir, le prophète Mohamed (PSL) recommande l’approche morale, mettant au centre du droit, la volonté et le désir du musulman, brique d’une communauté solidaire pour la résistance à l’arbitraire et au droit du tyran.

On comprend donc, comme l’a dit notre prophète Mohamed dans cette admirable parabole universelle : "l’obéissance n’est obéissance qu’au juste”.

Enfin, en invoquant Kelsen, Gourmo se ligote lui-même dans son raisonnement, puisque la Constitution mauritanienne, en droit interne, est au sommet de la hiérarchie des normes, et qu’elle prescrit que l’unique source du droit mauritanien est la Sharia islamique. Ce qui a été à plusieurs reprises confirmé par le Conseil constitutionnel mauritanien.

Lorsque l’unique source du droit mauritanien est la Sharia islamique, il n’y a donc plus à se référer à une autre morale que la musulmane, résiduel de son fiqh, évacuant ainsi toute référence à tout autre système philosophique, kantien fut-il . Et c’est là où le raisonnement de fond de Gourmo s’effondre. Il est, comme dirait le commun des mortels, ni professeur, ni avocat : Hors-sujet.

Et si Lo Gourmo a écrit : « Mais une chose est sûre, les défenseurs de Oud Abdel Aziz trouveront dans ses démonstrations, une sorte de planche de salut pour tenter d’éviter le pire dans un procès pénal, à savoir, la convergence du Droit et de la Morale dans la condamnation des faits d’une cause. », c’est qu’il sait pertinemment, que ma démonstration porte en elle-même une essence de vérité.

Les mots ont leur poids et mes réflexions, laissées au libre arbitre du lecteur sont devenues, dans la perception de Gourmo, des assertions soit des propositions que l'on avance et que l'on soutient comme vraies. Ce qui, encore, est un jugement de valeur qui définit, à lui-seul, la portée limitée d’un raisonnement juridique stérilisé par une présomption de vérité, que je ne confère jamais à mes écrits, non seulement par humilité mais aussi par l’espace de liberté de pensée que je laisse à mes lecteurs.

La vie et la liberté des êtres, en procès, ne se discutent pas en commandite simple. Qu’il s’agisse d’Aziz, ou de tout être en procès ou privé de liberté, la morale musulmane impose la compassion ; une compassion qui manque cruellement aujourd’hui dans une société mauritanienne moulant ainsi les règles de son droit sur la cruauté de son environnement institutionnel.

Mais combien écoutent… Cœurs endurcis, sevrés de paroles serves ? Ils passent à côté de l’essentiel. Et dans cette cacophonie d’une société musulmane mise sous tension par l’animosité contenue de ses gouvernants, et le zèle de ceux qui les servent, combien de ceux qui rendent justice pourront entendre… ce qu’entend notre Prophète (PSL)?

« Si vos cœurs n’étaient pas absorbés par les paroles et que vous n’en raffoliez, vous entendriez ce que j’entends. » (Hadith du Prophète Mohamed que la paix soit sur lui)

Pr ELY Mustapha





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Commentaires (11)

  • Farica (H) 12/10/2023 17:37 X

    Comme l'a dit quelqu'un plus haut, c'est "une question de prix". Reste à savoir combien Mr. Lo a encaissé pour se mettre dans cette position de "prostitution intellectuelle".

  • moboco (H) 12/10/2023 10:05 X

    Le Professeur Ely, qui, à travers ses écrits sur différents sujets, ne semble pas être quelqu'un de complaisant et n'a fait à mon humble avis qu'exprimer haut ce que pensent tout bas beaucoup de gens dans ce pays... En effet , sans être ni pour ni contre l'ancien président Aziz, beaucoup de citoyens pensent que l'une des meilleures issues de ce procès serait que le tribunal actuel se déclare incompétent dans le cas d'espèce en application de l'article 93 de la Constitution pour que la haute Cour , si besoin en était, puisse se saisir de ce dossier car il en va de la crédibilité de nos institutions.. De toutes les manières et quelque soit les décisions à venir , le résultat recherché par la médiatisation de l'actuel procès est largement dans la mesure où la crédibilité politique et morale des principaux prévenus a été sérieusement entachée pour l'avenir et il n y a pas plus grande sanction dans la vie...

  • kaykouta (H) 12/10/2023 10:05 X

    Le professeur ELY a bien "noyé" Lo Gourmo dans son article. Lo Gourmo, s'est trompé sur la ligne.il a fait des confusions que un juriste ne fait pas. Aucune comparaison à faire entre la force intellectuel d'un professeur libre d'esprit et un avocat au service du gouvernement. Le professeur ELY est d'une moralité, que Gourmo a perdu. Et c'est important pour donner de la crédibilité et respecter le lecteur.

  • bagaby (H) 12/10/2023 08:42 X

    La trahison n'est qu'une question de prix

  • Ahmedabdallah (H) 11/10/2023 23:33 X

    Dans ce débat d'intellos en démonstration de leur finesse en Droit, le profane que je suis pense que la pomme de discorde est la suivante: Le professeur Ely Mustapha qui pense pouvoir neutraliser son "ami et frère" Lô Gourmo, en concentrant son argumentaire sur l'aspect "islamique" notamment (se disant sans doute que son cursus scolaire et universitaire à lui, lui donne une longueur d'avance en ce domaine), par rapport à son vis-à-vis (Lô Gourmo, lequel ne serait pas assez outillé pour lui apporter la réplique dans le domaine de la "Morale Islamique" précisément)! A Lô Gourmo de prouver, dans sa prochaine réponse à son "ami" Ely Mustapha qu'il n'en est rien; que lui aussi est bien armé de références sur le Droit musulman, de la charia à la "mauritanienne"(c'est-à-dire hypocrite)! Le résumé est: Le professeur Ely Mustapha pense qu'il faut soit juger Aziz et toute la bande qui serait impliquée dans les affaires de détournements et de malversations, soit avoir de la "compassion" pour l'ancien dictateur Aziz et le laisser se refaire une nouvelle virginité...! Quant au professeur Lô Gourmo, son argument est que l'ancien dictateur Aziz doit être jugé, et puni pour les chefs d'accusation incalculables dont il est accablé! Qui a tort? Qui a raison?

  • Buwuelm (H) 11/10/2023 21:15 X

    Professeur ELY Mustapha, une fois encore, a prouvé qu’il n’est plus élève, et que si quelqu’un décide de l’attaquer dans son domaine, il doit s’armer d’arguments valables. L’avocat Lô Gourmo ne s’attendait certainement pas, à recevoir ce coup de massue. Il n’avait pas pensé à : « Méfiez-vous de l’eau qui dort ». Il a joué avec les mots, jonglant par-ci par-là, sans se soucier des rafales qui l’attendaient, vu la situation du terrain glissant pour lui, sur lequel il a évolué ; malheureusement, il a trébuché par méconnaissance du sujet et ainsi, devrait se retrouver dans une situation pénible. Gourmo aurait dû remuer le doigt sept fois avant d’écrire son texte bidon, que même un étudiant en droit, refuserait de prendre comme exemple, dans ses cours. Personnellement, le droit n’est pas mon domaine de prédilection, mais la documentation que je possède, me permet de faire la différence entre le vrai et le faux. Cet article me rassure, dans la mesure où je découvre que des personnes éprises de justice sont encore parmi nous et prêtes à intervenir pour ajuster les balances. Merci au Professeur pour son courage et son sens du devoir. Vive la vraie justice.

  • bndiaye (H) 11/10/2023 21:05 X

    Personne ne devrait s’essayer à défendre Me Lo Gourmo Abdoul. Le monsieur est un excellent avocat, au point d’avoir pu défendre, en son temps, un Ould Taya ! Mais que le bon prof. Ely Moustapha nous explique, lui, qu’est qui a bien pu changer la Sharia, les hadiths, ou la morale islamique, la nature du système, etc entre son dernier docte, pédantesque, argumentaire pour soutenir son virage 360 degrés en ce qui concerne Aziz, et l’article ci-dessous du très érudit professeur. J’attends ! http://haut-et-fort.blogspot.com/2016/05/plaidoirie-aziz-ne-quittez-pas-le.html

  • yawonni (H) 11/10/2023 20:53 X

    L'affaire de Aziz nous rappelle du procès de Nuremberg. Au moins durant cet historique jugement tous les inculpés y compris même les barmans ont été jugés à la hauteur de leurs faits. Quant à Aziz ''qui disait de son compagnon de 40 ans''...si on m'oblige je parlerai...''. Pas beau d'entendre ces paroles d'un ''president des pauvres''. Le Figaro l'a listé parmi les 30 hommes les plus riches de l'Afrique subsaharienne. Alors qu'il soit ''libere tout de suite !! Merci Lo

  • YAWARE (F) 11/10/2023 18:08 X

    Merci Professeur de remettre ce petit avocat à la recherche du senucure et complice du système à sa place d'intellos commandité par ses acolytes

  • kaykouta (H) 11/10/2023 18:07 X

    Je l'ais dit, il ne faut pas que le profeseur Ely voit ce que a écrit maître Gourmo..trop tard !!! Une réponse terrible et plein de leçons. De savoir et de la classe. On a tous besoin de sa morale dans ce pays.

  • maham68 (H) 11/10/2023 13:54 X

    Un hors-sujet monumental, la référence à Hans Kelsen en Mauritanie est une hérésie.