27-09-2024 14:55 - Le peuple a toujours le dernier mot/Par Moussa Hormat-Allah, Professeur d’université, Lauréat du Prix Chinguitt

Le peuple a toujours le dernier mot/Par Moussa Hormat-Allah, Professeur d’université, Lauréat du Prix Chinguitt

Le Calame - En marge de l'infamie du drame palestinien qui continue à défrayer la chronique, la quasi-totalité des gouvernants arabes, enfermés dans leur tour d'ivoire, font preuve, au vu et au su de tout le monde, d'une pleutrerie avilissante.

Au-delà de quelques déclarations de circonstance, pour se donner bonne conscience, ils assistent, en témoins impuissants, à l'effroyable boucherie qui se déroule en Palestine occupée.

Sur un ton cotonneux et convenu, ces gouvernants, tétanisés par la peur d'un lendemain politique pour le moins incertain, s'interdisent tout geste ou initiative qui pourrait, in fine, contrarier les sombres desseins d'Israël et des États-Unis dans la sous-région.

Partout ou presque, le leitmotiv semble : “le fauteuil d'abord” avec les immenses privilèges qui vont avec. A cette fin, l'observation stricte de deux règles : Éviter tout impair à l'extérieur et resserrer la poigne de fer sécuritaire sur le plan intérieur.

Une seule obsession : rester au pouvoir

Ces dirigeants donnent l'impression de vivre dans un monde parallèle. Pourtant, ils auraient dû intégrer une donne fondamentale : la pérennité de leurs régimes, à plus ou moins long terme, est conditionnée par leur opinion publique. En effet, les peuples arabes, dans leur écrasante majorité, sont propalestiniens. Il s'agit là d'un paramètre incontournable dans toute équation.

Non seulement ces gouvernants s'abstiennent de tout acte concret pour soutenir la cause palestinienne mais pire encore, ils ne font rien pour empêcher la judaïsation à marche forcée de la mosquée sacrée d’Al Aqsa.

Au-delà d'une rhétorique éculée qui ne convainc plus personne, ils ont sciemment relégué ces questions au second, voire au troisième plan.

Pour eux, une seule obsession : rester au pouvoir, malgré un sous-développement chronique sur fond d'une implacable répression. En dépit de ressources naturelles et financières colossales, leurs pays restent, sur le plan du progrès et de la modernité, à la traîne dans le concert des nations. Là où ils excellent, c'est le maintien sous une chape de plomb de leurs concitoyens pour éviter toute dissidence.

En marge des évènements douloureux de Gaza, donnons un bref et triste aperçu sur ce qui se passe dans la plupart des Etats arabes pour conjurer la peur indicible de la rue.

Barricadés dans des bunkers

Les chefs d’Etat arabes, barricadés dans des bunkers comptent sur l’armée et l’appareil d’Etat pour les protéger et assurer la pérennité de leur pouvoir. Pourtant, l’expérience a montré que ni l’armée ni l’appareil d’Etat ne peuvent constituer un rempart contre les soulèvements populaires. Et pour cause ! Les membres de ces corps d’Etat sont avant tout des citoyens qui sont conscients du fait qu’il y a des limites à ne pas franchir. Certes ils peuvent résister un certain temps mais, in fine, le peuple sort toujours vainqueur de cette épreuve de force.

Les chefs d’Etat arabes ont une propension constante pour conjurer cette issue inéluctable. La fuite en avant. Pourtant, le bon sens et les facultés de discernement les plus élémentaires devraient exclure cette approche suicidaire. Car dans cette partie de bras de fer avec le peuple, le perdant est toujours le chef d’Etat réfractaire. S’il ne fuit pas à l’étranger – ce qui devient de plus en plus difficile – il est soit emprisonné, soit tué. Sa famille et ses proches sont souvent, eux aussi, arrêtés, traduits en justice et leurs biens confisqués. Mais l’entêtement du chef d’Etat – dictateur a aussi deux autres conséquences. La première est personnelle : son honneur et sa dignité sont ternis pour la postérité et, bien entendu, il est dépouillé de tous "ses" biens, lesquels constituent presque toujours le ressort principal de sa fuite en avant en vue de conserver le pouvoir. La deuxième conséquence en cas de coup d’Etat a une portée plus générale et plus dramatique et concerne les nombreuses pertes en vies humaines et les destructions matérielles colossales, notamment au niveau des infrastructures du pays. Quel gâchis ! Pourtant, en se retirant volontairement et à temps, le chef d’Etat-dictateur aurait eu toutes les chances de sauver sa vie, celle des siens et sa fortune avec, probablement, en prime, la reconnaissance de la nation.

La colère divine

Mais, poussé par la mégalomanie, il a choisi de tout perdre. A moins que cet entêtement ne soit l’expression de la colère divine ! Si seulement, les chefs d’Etat arabes, pouvaient méditer ces versets !

23. "Que de jardins, de fontaines avaient-ils laissés derrière eux,

26. de champs et de belles résidences :

27. un luxe dont ils savouraient la jouissance !

28. C’est ainsi que Nous avons légué ces richesses à d’autres gens.

29. Ni les cieux, ni la terre, n’ont versé de larmes sur eux, pas plus qu’un délai ne leur a été accordé".[1]

Voilà, la fin pathétique et inéluctable de tout gouvernant véreux.

Voilà, les conséquences funestes de la gestion calamiteuse des affaires publiques sur fond d’arbitraire, de corruption et de gabegie.

Voilà, le triste résultat du pillage des ressources naturelles des pays arabes par l’Occident. Des richesses qui continuent, comme par le passé, à être transférées vers les anciennes métropoles avec, au passage, une ponction opérée par les féaux locaux. Les conséquences, au plan intérieur, d’une telle situation sont dramatiques : paupérisation, misère…

Avec un chômage endémique, la baisse du pouvoir d’achat et la flambée des prix conjugués avec un sentiment de frustration et d’humiliation, la rue arabe est en ébullition. Autant d’ingrédients qui font le lit de l’intégrisme religieux et entretiennent le cycle de la violence.

Comment donc peut-on expliquer que des chefs d'Etat responsables d'un chaos généralisé, se maintiennent au pouvoir des décennies durant?

Une parodie de démocratie

Pas de méprise. Au-delà des mots, force est de reconnaître qu'aucun observateur, quelque complaisant qu'il soit, ne pourrait accoler aux régimes politiques arabes l'étiquette de "démocratiques". Car les régimes arabes sont à mille lieues de la démocratie. Ils en sont même la négation.

Un régime démocratique dans la véritable acception de ce vocable suppose, entre autres, des élections libres, une presse libre et, surtout, une alternance au pouvoir entre une majorité et une opposition. C'est cette alternance qui permet de prévenir la confiscation du pouvoir.

Ainsi, dans les démocraties occidentales, la Constitution fixe, généralement, pour les chefs d'Etat ou de gouvernement élus, la durée de leurs mandats.

Aux États-Unis, par exemple, le président ne peut rester au pouvoir que pendant un mandat de 4 ans, renouvelable une fois. Si tant est qu'il soit réélu, ce qui est loin d'être automatique.

Dans les régimes arabes, il en va, tout autrement. La durée du mandat du chef d'Etat – si elle existe – est purement formelle. Car la Constitution est faite pour la consommation extérieure. Elle n'est pas respectée. Loin s'en faut. En réalité, la Constitution est un gadget derrière lequel on s'abrite pour s'adonner à tous les abus. Car celui qui est censé l'appliquer et la respecter est au centre de tout.

Il tient d'une main de fer le peuple, la classe politique, la justice, les hommes d'affaires, la police, l'armée… tout le monde ou presque doit lui faire allégeance. Car il a la haute main sur tout. Les nominations, c'est lui. L'attribution des marchés publics, c'est lui. La promotion des militaires et des juges, c'est encore lui. La prison, c'est lui. Le devant de la scène, les honneurs, l'argent, c'est toujours lui. L'administration du territoire, c'est encore et toujours lui. La politique extérieure, c'est encore lui, etc.

Cette obsession du pouvoir a poussé, naturellement, le chef d'Etat à modifier, explicitement ou implicitement, les règles du jeu fixées par la Constitution sur fond d'une propension bien réelle pour occuper son poste à vie. En cas d'incident de parcours, le fils, le frère ou un proche sont toujours là pour prendre la relève. Les républiques deviennent alors dans leur mode de dévolution du pouvoir de véritables monarchies.

On voit bien qu'au lieu d'une séparation des pouvoirs censée limiter ceux du chef d'Etat, on a affaire, au contraire, à une chape de plomb qui écrase tout le monde. L'historien Abdallah Laroui résume bien cet état des choses: "Si l'Etat arabe a peu d'esprit, il dispose de beaucoup de muscles".[2]

[1]. Sourate la Fumée (Addoukhan), Versets 23 à 29. Traduction du Dr. Mohamed El Moktar O. Bah. Dans le verset 28, nous avons remplacé le mot "peuples" par celui de "gens" qui nous a semblé plus approprié pour le contexte.

[2]. Abdallah Laroui, Le concept d'Etat, Editions Dar Farabi, Casablanca, 1984, page 124.





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