17-10-2024 17:16 - Explosion mortelle d’un camion-citerne : un drame symbole de la crise du carburant au Nigeria

Explosion mortelle d’un camion-citerne : un drame symbole de la crise du carburant au Nigeria

Libération - Dans la nuit de mardi 15 octobre, 153 Nigérians sont morts dans l’explosion d’un véhicule accidenté. Ils avaient accouru pour récolter l’essence qui s’écoulait de la citerne, alors que les prix à la pompe ont quintuplé depuis la fin des subventions au carburant, il y a dix-huit mois.

Fable macabre du Nigeria. 153 personnes sont mortes dans l’explosion d’un camion-citerne, après un accident, mardi 15 octobre, à Majiya, dans l’Etat de Jigawa, dans le nord du pays. En pleine nuit, une foule de gens s’était agglutinée pour récupérer le carburant qui s’écoulait du réservoir du camion renversé, sur la route et les bas-côtés.

Les policiers qui tentaient de les en empêcher auraient été repoussés par les pilleurs, selon le porte-parole de la police. La déflagration, et le gigantesque incendie qu’elle a provoqué, ont tué une centaine de personnes sur place. Des dizaines de blessés ont succombé à leurs brûlures à l’hôpital, dans les heures qui ont suivi.

Le lendemain, des corps calcinés, collés à la terre noircie, ont été retrouvés sur les lieux de la catastrophe. Les cadavres rigidifiés ont été transportés un à un vers la tombe – la plupart trop détériorés pour être identifiables.

Les victimes ont été inhumées collectivement mercredi. Le président du Nigeria, Bola Ahmed Tinubu, a exprimé ses «profondes condoléances» et dépêché une délégation gouvernementale à Majiya. Les sénateurs réunis en session à Abuja ont observé une minute de silence en mémoire des victimes.

«Bombes volantes»

Les explosions de poids lourd transportant de l’essence sont un fléau récurrent au Nigeria. «Ces accidents sont très fréquents, les camions-citernes suintent de partout, ce sont de véritables bombes volantes, rappelle Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement.

Quant au pillage de produits pétroliers, il existe depuis très longtemps et est au cœur de la redistribution informelle.» Mais les circonstances du drame de Majiya – des centaines de personnes accourant pour glaner quelques litres de précieux carburant – résonnent douloureusement avec la grave crise économique que traverse le Nigeria, sur fond de hausse vertigineuse des prix à la pompe.

«La contrebande, le soutage, le siphonnage et les divers moyens informels d’accéder aux produits bruts ou raffinés jouent un rôle dans la satisfaction de la demande intérieure, notamment en raison de la pénurie qui se fait sentir sur le marché formel, explique Sa’eed Husaini, chargé de recherche au Centre pour la démocratie et le développement à Abuja. C’est un signe de l’échec du marché et du désespoir que la hausse des prix et la crise du coût de la vie ont provoqué.»

L’inflation a atteint 32,7 % en septembre, sous l’effet d’une réforme drastique engagée par le président Tinubu, élu en février 2023 : la fin des subventions étatiques pour les carburants. En conséquence, le prix à la pompe a quintuplé en dix-huit mois, contribuant à la hausse des prix de l’alimentation et du transport et plongeant de nombreux Nigérians dans une grande précarité.

Début août, des manifestations en protestation contre la vie chère ont éclaté dans plusieurs grandes villes du pays. Elles ont été violemment réprimées. Le 1er octobre, Bola Ahmed Tinubu a appelé «une fois de plus» les Nigérians à «faire preuve de patience», le temps que les réformes économiques engagées par le gouvernement portent leurs fruits.

«Système très vicieux»

Paradoxalement, le premier producteur de brut d’Afrique doit importer du pétrole raffiné, acheté sur les marchés internationaux, pour satisfaire sa demande nationale. «L’Etat s’est désengagé des entreprises publiques, et notamment des raffineries, depuis les années 80.

Les raffineries privées n’ont jamais été créées pour répondre à la demande intérieure», rappelle Sa’eed Husaini, spécialiste d’économie politique. Ces raffineries publiques, malmenées par des décennies de corruption, tourneraient aujourd’hui à moins de 10 % de leur capacité.

«Le Nigeria a réussi ce miracle : perdre de l’argent que le prix du baril soit à la hausse ou à la baisse. Quand le pétrole est bas, l’Etat peine à remplir ses caisses. Quand il est haut, il doit compenser par des subventions la différence avec le prix d’achat, sur les marchés internationaux, du pétrole raffiné, ce qui lui coûte encore plus cher.

C’est un système très vicieux», explique Antoine Pérouse de Montclos, auteur de Nigeria, la fabrique de la malédiction du pétrole dans le delta du Niger (éditions de la Sorbonne, 2024). «Aucun président ne s’était risqué à y toucher, de peur d’une explosion de colère populaire, poursuit le chercheur. C’était un peu le contrat social du Nigeria : l’Etat ne fait pas grand-chose pour vous, mais puisque c’est un Etat pétrolier, il s’arrange pour que le carburant soit bon marché.»

«Dépenses fastueuses»

Les subventions étaient devenues un gouffre pour les finances publiques. «Tinubu était acculé, moins par la pression internationale que par la crise du budget de l’Etat», estime Marc Antoine Pérouse de Montclos. «Son administration a fait valoir que les subventions étaient devenues intenables, relève Sa’eed Husaini. Mais ses dépenses fastueuses sur d’autres postes (y compris un nouveau yacht présidentiel) font douter l’opinion publique de sa sincérité et suggèrent le contraire.»

L’espoir des Nigérians repose aujourd’hui sur la méga raffinerie inaugurée l’an dernier par le milliardaire Aliko Dangote, l’homme le plus riche du continent, à Lekki, dans la périphérie de Lagos. Sa capacité, gigantesque, est censée répondre à l’intégralité de la demande nationale en carburants, et faire cesser, en théorie, la dépendance vicieuse du Nigeria aux importations de produits pétroliers raffinés. Elle tarde pourtant à tenir ses promesses.

«Pour cela, il faudrait que la raffinerie Dangote produise une quantité suffisante de carburant à un prix suffisamment bas pour concurrencer le carburant importé. Il faut également que la raffinerie ait accès à un approvisionnement en brut suffisant de la part des producteurs, détaille Sa’eed Husaini.

Or jusqu’à présent, tous les maillons de cette chaîne de valeur ont posé des problèmes. Il n’est pas certain non plus que Dangote puisse ou veuille vendre le pétrole raffiné beaucoup moins cher que le pétrole importé. Tout cela signifie que, jusqu’à présent, sa raffinerie présente un avantage symbolique et non économique pour les Nigérians ordinaires.»

par Célian Macé



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