12-11-2024 01:30 - Vers un nouveau modèle de commercialisation du poisson en Mauritanie/Par Hassena OULD ELY (ancien ministre)

Vers un nouveau modèle de commercialisation du poisson en Mauritanie/Par Hassena OULD ELY (ancien ministre)

Le Calame - Avec une production annuelle de près d'un million de tonnes de poissons et produits marins, la Mauritanie dispose d'un potentiel exceptionnel pour être parmi les leaders mondiaux de la pêche durable.

Cependant, son modèle actuel de commercialisation, fondé sur une centralisation autour de la Société Mauritanienne de Commercialisation du Poisson (SMCP), rencontre des défis importants et semble avoir atteint ses limites. Pour rester compétitif dans un marché mondialisé tout en répondant aux exigences environnementales et sociales, il devient essentiel de repenser ce modèle.

Cet article propose une revue des pratiques internationales exemplaires et un cadre stratégique pour un modèle modernisé, diversifié, et durable de la commercialisation des produits de la pêche en Mauritanie.

Un modèle actuel en fin de cycle

La commercialisation des ressources halieutiques mauritaniennes est confiée en totalité à la SMCP, une société d’État qui collecte les taxes, perçoit les redevances, et assure le rapatriement des devises. Bien que cette approche ait contribué à structurer le secteur, elle est aujourd’hui un frein à la compétitivité et à l’adaptation face aux dynamiques mondiales :

• Rigidité bureaucratique : Le monopole de la SMCP limite la flexibilité et la capacité d’innovation, tout en réduisant la réactivité face aux fluctuations du marché international.

• Absence de valeur ajoutée locale : Le modèle actuel est axé sur l'exportation de produits bruts (poisson non transformé), limitant ainsi les opportunités de création d'emplois et de retenue de la valeur ajoutée sur place.

• Dépendance à un petit nombre de marchés : La majorité des exportations est concentrée vers quelques pays, rendant le secteur vulnérable aux variations de la demande et des prix.

• Insuffisances dans la durabilité : La gestion des ressources halieutiques doit intégrer de nouvelles pratiques pour répondre aux attentes environnementales croissantes et aux standards internationaux.

Objectifs d’un nouveau modèle de commercialisation

Un modèle modernisé doit répondre à des objectifs spécifiques que sont :

1. Création de valeur ajoutée locale : Développer des industries de transformation et des infrastructures pour le conditionnement afin de réduire l'exportation de produits bruts.

2. Décentralisation et ouverture au secteur privé : Assouplir la centralisation pour stimuler la participation et les investissements privés.

3. Diversification des marchés internationaux : Étendre les débouchés commerciaux pour réduire la dépendance aux acheteurs actuels.

4. Optimisation des revenus fiscaux et simplification des processus : Garantir des recettes fiscales optimisées tout en simplifiant les démarches pour les entreprises locales et internationales.

5. Gestion durable et traçabilité : Assurer une exploitation durable des ressources marines tout en répondant aux exigences de traçabilité pour un meilleur accès aux marchés mondiaux.

S'inspirer des modèles réussis à l’international ?

La Norvège : Promotion de l’exportation et gestion durable

La Norvège est l’un des plus grands exportateurs de produits de la mer. Son succès repose sur une collaboration public-privé par l'intermédiaire du Norwegian Seafood Council, qui promeut la marque de qualité norvégienne dans le monde entier. Ce modèle est axé sur la durabilité, la traçabilité, et l'innovation dans les produits.

• Leçon pour la Mauritanie : Développer une marque nationale mauritanienne pour les produits de la mer, soutenue par des certifications de qualité et de traçabilité, permettrait de garantir une meilleure attractivité sur les marchés internationaux.

Islande : Quotas transférables et partenariats

L’Islande se distingue par son système de quotas individuels transférables (QIT), qui encourage une gestion responsable des ressources tout en permettant aux acteurs économiques de commercialiser leurs quotas sur un marché national.

• Leçon pour la Mauritanie : Mettre en place un système de quotas transférables pourrait favoriser une utilisation optimale des ressources tout en créant un marché pour les droits de pêche. Cela encouragerait également des partenariats entre pêcheurs et transformateurs pour maximiser la valeur ajoutée.

Maroc : Stratégie de valorisation des produits halieutiques

Le plan Halieutis du Maroc est une stratégie nationale visant à renforcer les infrastructures, la transformation locale et l’exportation de produits de qualité, tout en mettant en avant la durabilité des pratiques de pêche.

• Leçon pour la Mauritanie : Encourager l’investissement dans des unités de transformation locales, et établir des zones franches avec des incitations fiscales pour attirer des investisseurs étrangers, permettrait de diversifier les produits d’exportation et d’augmenter la valeur ajoutée.

Propositions pour un nouveau modèle de commercialisation en Mauritanie

1. Libéralisation progressive et décentralisation du secteur

Permettre aux entreprises privées d’exporter directement sous certaines conditions pourrait renforcer la compétitivité de l’industrie mauritanienne. En parallèle, la SMCP pourrait être redéfinie en organisme régulateur et facilitateur, garantissant la transparence et la qualité des produits exportés.

• Création d’un marché d’enchères électronique : Cela permettrait de fixer des prix en temps réel, favorisant la transparence et stimulant l’attraction d’acheteurs internationaux.

2. Industries de transformation et de zones économiques spéciales

Il est essentiel de transformer les produits localement pour capter la valeur ajoutée et créer des emplois. La création de zones économiques spéciales dédiées aux industries de la mer pourrait offrir des incitations fiscales aux investisseurs locaux et étrangers.

• Prioriser le conditionnement et la transformation: Mettre en place des unités de traitement pour produire des filets, des conserves, et des produits surgelés à plus forte valeur ajoutée.

• Développer la chaîne du froid et les infrastructures portuaires : Garantir une logistique de qualité pour maximiser la fraîcheur des produits jusqu’à leur destination finale.

3. Mise en valeur de l’origine et de la qualité Mauritaniennes

Une marque de qualité mauritanienne, accompagnée de labels de traçabilité et de durabilité, pourrait aider notre pays à se démarquer. Cette valorisation donnerait une image positive et rassurante aux marchés étrangers, notamment européens et nord-américains.

• Label national de qualité : Un label reconnaissant les produits de la mer mauritaniens pour leur qualité et leur origine responsable.

• Promotion sur les marchés internationaux : Des campagnes de promotion sur les marchés cibles pourraient renforcer la reconnaissance de la Mauritanie comme fournisseur de produits de qualité.

4. Introduction de quotas individuels transférables

En adoptant un système de quotas transférables, la Mauritanie pourrait réguler de manière plus flexible et efficace la gestion de ses ressources maritimes, en permettant aux entreprises locales de planifier et d’optimiser leur production.

• Revenus fiscaux optimisés : Le produit de la vente de quotas pourrait être investi dans des infrastructures et des initiatives de durabilité pour le secteur halieutique.

5. Digitalisation et traçabilité

La digitalisation permettrait de mieux gérer les flux et les processus, tout en assurant la traçabilité complète des produits. L’usage de la blockchain pourrait renforcer la transparence, rendant les produits mauritaniens plus attractifs pour des marchés exigeant des garanties de durabilité.

Construire un secteur halieutique mauritanien moderne et durable

En adoptant des pratiques inspirées de modèles internationaux de succès, et en s'appuyant sur une stratégie de décentralisation et de valorisation locale, la Mauritanie pourrait devenir un acteur majeur de l’industrie halieutique durable. Un tel modèle génèrerait des opportunités économiques significatives, assurerait une gestion écologique des ressources, et contribuerait à l’essor social du pays grâce à la création d'emplois locaux.

Cette transformation nécessite une volonté politique forte, une collaboration entre le secteur public et privé, et une vision à long terme pour placer la Mauritanie sur la carte mondiale des exportateurs de produits de la mer de qualité.





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Commentaires (4)

  • ouldsidialy (H) 12/11/2024 18:10 X

    @ kadimapur Si ce genre d'écrit reflète le niveau "des techniciens du métier compétents, expérimentés" en Mauritanie; il y a hélas du chemin pour les capacités de la ressource humaine dirigeante.

  • hachmi (H) 12/11/2024 16:16 X

    @ kadimapur, vivement que ce ne soit une opération d’auto promotion, sinon, pourquoi au magistère, son Excellence n’y ait pas pensé ?

  • nabuchodonosor (H) 12/11/2024 15:17 X

    Cette analyse assez pertinente a l’avantage de mettre l’accent sur un domaine essentiel la commercialisation des produits de pêche. La SMCP a été une idée géniale qui a permis de créer des opérateurs nationaux dans ce métier qui était méconnu de la plupart. Le point faible de cette structure a toujours été le syndrome de la gabegie et de l’enrichissement illicite des principaux responsables de la SMCP (notamment les Directeurs généraux et les directeurs commerciaux) qui s’enrichissent en vendant un produit qui ne leur appartient pas et en recevant des commissions exorbitantes de la part de courtiers nationaux connus de tous. Cette position « privilégiée » a toujours suscité la colère des armateurs qui se sentent floués par ces courtiers et leurs complices à la SMCP. Malheureusement ces armateurs sont généralement plus connus pour leurs investissements aux canaries et leurs transferts d’argent vers les paradis fiscaux en alimentant au passage le réseau du marché noir des devises à Nouakchott. Cependant comparer la Mauritanie à des pays gros producteurs comme la Norvège, l’Islande ou le Maroc serait prétentieux. Nous n’avons ni l’expérience, ni les moyens financiers, humains et logistiques de ces pays. Par contre utiliser la blockchain pour une meilleure traçabilité des produits et encourager les investissements apportant de la valeur ajoutée aux produits de pêche serait fort utile. Pour le reste, il faudrait conserver la SMCP et surtout veiller à y nommer des cadres intègres.

  • kadimapur (H) 12/11/2024 11:16 X

    l'auteur de l'article sait de quoi il parle car il fut ministre des pèches mm si, comme la plupart de ses collègues ayant certaines compétences, l'on ne lui a pas laissé nécessaire pour appliquer les bonnes idées qu il a énumérées...C'est d'ailleurs le cas pour la SMCP qui, à chaque que des cadres technocrates(venus en majorité de la Banque Centrale) ont redressé sa situation financière et commencé à la mettre sur les rails de la bonne gestion, ils ont été remplacés par des hommes politiques qui l'ont remise à sac...Par conséquent le secteur de la pèche ,comme tous les autres secteurs techniques devraient être confiés à des techniciens du métier compétents, expérimentés et intègres avec des mandats de gestion et des obligations de résultats par an suivi par un système de contrôle de gestion efficient...Et toutes nos institutions regorgent de ces types de profil si l on veut bien prendre le temps de les rechercher...