25-04-2025 13:51 - Pour un dépassement des lectures raciales / Par Mohamed El Mounir

Pour un dépassement des lectures raciales / Par Mohamed El Mounir

Le Calame -- Notre pays va mal. Très très mal. Nous sommes plus que jamais prisonniers d’un prisme racial aveuglant, avec une référence systématique et obsessionnelle à la couleur de la peau ou à une supposée "communauté". Une clef de lecture devenue hégémonique, à travers laquelle nous avons tendance à appréhender tous les phénomènes sociaux et politiques.

N’importe quel acte administratif et n’importe quelle décision politique ne peuvent échapper à cette logique réductrice. Une implacable lecture raciale qui parasite le débat et compromet les chances de trouver des solutions viables aux différentes polarisations porteuses d’incertitudes.

Malgré des perspectives prometteuses de développement accéléré, grâce notamment à la croissance économique et l’exploitation des hydrocarbures, nous continuons de traîner des fragilités structurelles qui pourraient, si l’on n’y prend garde, miner la stabilité et la cohésion nationale (chômage massif des jeunes, migration régulière, menaces régionales).

Mais le plus grave demeure tous ces désaccords qui nourrissent des cristallisations identitaires et alimentent régulièrement des crises politiques et sociales, de nature à remettre en cause la stabilité et l’unité nationale.

Fragilités structurelles

Nous avions mis en garde contre le discours décomplexé de surenchère, véhiculé par des hérauts de la séparation raciale, dont la conséquence est aujourd’hui cet enfermement communautaire et ce repli identitaire frileux, avec des grilles d’analyse simplistes et manichéennes qui transforment n’importe quel acte individuel en une discrimination institutionnelle puis en responsabilité collective.

En classant les Mauritaniens en fonction de leur appartenance ethnique, raciale ou de leur couleur de peau, en réduisant les contradictions sociales à une supposée lutte raciale, en faisant la promotion de solidarités mécaniques, au détriment du sentiment d’appartenance nationale, ce discours anti-démocratique alimente le feu de la discorde. Il finit par dresser les Mauritaniens, les uns contre les autres, favorisant ainsi une logique d’affrontement porteuse de luttes fratricides, susceptible de précipiter le pays vers le chaos.

Cette tendance à tout ramener aux discriminations institutionnelles verse largement dans la dimension symbolique, en simplifiant les problèmes, forcément complexes et en les réduisant à des dimensions épidermiques ou d’appartenances ethniques, au lieu d’essayer de comprendre et d’analyser les défis structurels, les dysfonctionnements et les problèmes auxquels sont confrontés tel ou tel secteur pour proposer des solutions.

D’où cette propension à se situer dans la dénonciation systématique, dénuée de nuance et à tout expliquer par le prisme de la discrimination, faute d’avoir quelque chose à dire sur le reste. Comme si aucune rationalité ne pourrait exister en dehors d’une telle posture. Pourtant, tout ne se résume pas dans notre pays à une dimension discriminatoire.

De manière plus prosaïque, en quoi la cooptation de ministres ou de directeurs supplémentaires, issus de la communauté négro-africaine va-t-elle contribuer à régler les problèmes prosaïques des populations pauvres dans la vallée? En quoi la promotion de généraux Maures au sein de l’armée a-t-elle amélioré les conditions de vie des populations bidhanes démunies au fin fond des Hodh ou dans le Trarza ? Et en quoi la désignation de premiers ministres et de plusieurs ministres haratines a comme impact sur la vie des adwabas ?

Un obstacle au dialogue

En réalité, ces lectures dichotomiques qui prolifèrent notamment sur les réseaux sociaux sont un obstacle à tout dialogue constructif. Dans ces conditions, nous devons tous nous opposer à ce terrorisme intellectuel qui voudrait imposer une lecture raciale des problèmes de la Mauritanie. Nous devons inscrire notre action davantage sur un registre de revendication des droits et de promotion d’une citoyenneté fondée sur l’égalité de tous devant la loi et qui renforce l’appartenance à l’Etat, au détriment des communautés.

Quant au gouvernement, il devrait agir avec des politiques ambitieuses, volontaristes et avec l’ampleur requise, en s’en donnant les moyens, pour renforcer l’État de droit, réduire les inégalités sociales et garantir une redistribution plus juste des richesses. Il doit lutter contre la corruption et la pauvreté, combattre l’exclusion, l’injustice, l’arbitraire et les discriminations sous toutes leurs formes…et qui touchent de manière indifférenciée une majorité de Mauritaniens, quelle que soit leur appartenance communautaire.

Enfin, le dialogue qui s’annonce pourrait aider au dépassement des lectures raciales, non par leur négation mais par des solutions créatives et consensuelles. Il pourrait permettre de traiter les causes immédiates et structurelles des désaccords, afin d’identifier des propositions de réforme permettant d’y répondre.

Il pourrait aider à normaliser la vie politique nationale, en favorisant un consensus national sur les règles du jeu politique et les moyens de résoudre les contentieux pendants (tels que le passif humanitaire, l’esclavage…). L’objectif n’est pas forcément de résoudre tous les défis dans l’immédiat mais de mettre en place des mécanismes pour les traiter, dans le cadre d’une approche consensuelle favorisant la réconciliation nationale.

Mohamed El Mounir
Docteur en science politique
Expert international en développement
Ancien fonctionnaire des Nations Unies





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Commentaires (7)

  • bndiaye (H) 25/04/2025 17:20 X

    Une analyse proto-marxisante de plus, qui n’a même pas le mérite de mettre « race » entre guillemets. Si la « Question Nationale » en souffrance depuis au moins 1966, ne peut certainement pas expliquer tous les problèmes qui minent la Mauritanie, elle ne saurait être évacuée par tout analyste politique qui se respecte. A l’évidence, et l’actualité ne cesse de le rappeler, elle « infect » tout. L’exploitation (au sens le plus large) éhontée et à de degrés divers des blancs pauvres du Sud des USA ou des laissés pour compte des communautés rurales d’Afrique du Sud du siècle dernier, pour aspect tangible de Jim Crow et de l’Apartheid respectivement qu’elle ait été, n’a pas été jugée être ce qui explique l’un et l’autre, systèmes basés sur une idéologie parfaitement identifiable. Une idéologie dominante comparable existe bien en Mauritanie, et elle explique beaucoup trop. L’ignorer n’est pas un début de solution, c’est rendre hommage à la politique de l’autruche ! L’auteur de cet article, Joe Slovo n’est pas !

  • Visage Mauritanie (H) 25/04/2025 17:14 X

    Dr Mounir, votre analyse perspicace de la situation politique, économique et sociale du pays est indéniable. Cependant, il est crucial d'examiner les racines historiques de la discrimination actuelle et son évolution sous différents régimes.

  • Visage Mauritanie (H) 25/04/2025 17:14 X

    Les Mauritaniens ont enduré des épreuves considérables, et les architectes initiaux de cette situation complexe ont pour la plupart disparu. Leurs descendants, héritiers de ce système, semblent avoir des priorités divergentes des intérêts nationaux. Les considérations politiques, régionales, familiales et tribales prennent souvent le pas sur le bien commun, et ce, au vu et au su de tous.

  • Visage Mauritanie (H) 25/04/2025 17:13 X

    Il est frappant de constater que peu semblent se préoccuper véritablement du pays dans son ensemble. Au contraire, individus et groupes sont principalement focalisés sur leur propre survie et leur ascension, cherchant à s'imposer avant les autres dans un climat de compétition permanente. Cette dynamique soulève des questions cruciales sur l'avenir de notre nation et la nécessité d'un changement de paradigme pour un développement plus équitable et inclusif.

  • Visage Mauritanie (H) 25/04/2025 17:13 X

    Les maures de Mauritanie se sont réunis en conclave dans certaines zones, sur les conseils de soi-disant guides religieux, dans le but d'empêcher les autres, notamment les populations noires, d'accéder à davantage que la simple subsistance. Ils ont ainsi oublié Dieu dans cette position communautariste, qui n'a pas favorisé le pays. Leur objectif était d'occuper tous les postes de travail, même sans les qualifications requises.

  • Visage Mauritanie (H) 25/04/2025 17:13 X

    Les événements de 1989 ont été une occasion pour les nasséristes de chasser et de tuer des personnes noires ou qui leur ressemblaient, d'occuper tous les postes et de renvoyer tout le monde, de blanchir l'armée, la gendarmerie, la garde nationale et la police. Aujourd'hui, les Noirs ne peuvent même pas envisager la douane, qui est le privilège des hommes d'affaires, ni la police pour la sécurité intérieure, ni la gendarmerie pour les fils de chefs de tribu. Voilà à quoi ressemble la Mauritanie. Si le pays était attaqué demain, aucun Noir qui s'en souviendrait ne participerait à sa défense

  • Visage Mauritanie (H) 25/04/2025 17:13 X

    Dans ce pays qu'est la Mauritanie, il n'y a aucun homme d'affaires noir, aucun homme noir importateur de quoi que ce soit. Ils sont confinés aux ports et aux aéroports, chaque article étant destiné à une tribu qui en est responsable, pourvu qu'elle ne soit pas noire. Si je cite cela, on fera trois jours de calcul et de vérification.