07-05-2025 10:08 - Politologie ou politique ? / PAR SAMBA THIAM

Politologie ou politique ? / PAR SAMBA THIAM

Samba Thiam -- j’ai lu récemment un article paru dans Cridem critiquant sévèrement les’’ lectures raciales des problèmes’’ auxquelles s’adonneraient certains parmi nous. Essayons, en ramassé, de tirer la substance du texte et du raisonnement qui le sous-tend .

« La Mauritanie va mal parceque nous sommes prisonniers d’un prisme racial , par le biais duquel tout se lit ; jusqu’au moindre acte administratif. Nous sommes prisonniers d’un prisme racial aveuglant avec référence systématique et obsessionnelle à la couleur de la peau ou à une supposée communauté’’.

Et les champions d’une telle lecture – "hérauts de la séparation raciale"-nous ont conduits à un repli identitaire, réduisant les ‘’contradictions sociales en une lutte raciale , et tout acte administratif, en une discrimination institutionnelle à responsabilité collective’’.

En raison de cette lecture erronée des choses , ces hérauts campent dans la dénonciation systématique tous azimuts , "faute d’avoir quelque chose à dire sur le reste".

Conclusion partielle : ces hérauts se trompent lourdement et dans leur raisonnement et dans leur attitude , car "tout ne se résume pas à une dimension discriminatoire dans le pays ; du reste", en quoi la cooptation de ministres ou directeurs negro-africains ou haratines contribuerait- elle à régler le problème de pauvreté des masses profondes négro africaines et haratines ? Tout comme "la promotion de généraux bidhanes pour les bidhanes démunis" ?

L’auteur , en clôture de son texte ,appelle les mauritaniens à s’opposer à ces gens porteurs de ce "terrorisme intellectuel", qui cherchent à imposer une et unique lecture : la lecture raciale des choses.

Il faut changer de paradigme nous dit-il et lire les problèmes autrement , sous l’angle de "défis structurels, de dysfonctionnements sectoriels’’. A la place d’une grille de lecture à caractère racial, réorienter les choses sur le plan des "revendications des droits et de promotion d’une citoyenneté fondée sur la loi".

Quelle loi lui dirons –nous, dans une république où seule celle du prince règne ? Et puis la revendication pour l’égalité des droits ou de la citoyenneté s’oppose - t - elle à la dénonciation ? Par ailleurs, est-il sûr que la citoyenneté puisse être disjointe de l’ethnicité ?

Enfin, l’article s’achève sur un appel moral au gouvernement à combler les manquements (sans les souligner, ni déterminer leur nature encore moins les condamner !!!) Derrière cette neutralité de façade de l’auteur, l’on devine aisément quel groupe ou courant de pensée est, en réalité, visé.

Maintenant examinons la thèse de l’auteur qui frise le réquisitoire…

A la lecture du texte il se dégage, en premier, cette impression d’assurance forte dans les "vérités" assénées, sans nuances ,comme des certitudes ancrées . Or j’ai toujours pensé que la force de l’intellectuel c’est aussi la nuance, le doute. Savoir douter, "savoir rire de soi", disait l’autre…Soit dit en passant .

Ce qu’il y a de surprenant dans cet article c’est que l’auteur ne creuse pas et , à aucun moment, ne se pose la question de savoir pourquoi des "lectures raciales" prennent le pas sur les autres? Est-ce que dans la pratique des gouvernements quelque chose y incite et mérite d’être relevé ? Sans rien se demander , il va directement aux effets (lecture raciale ) sans chercher les causes , interroger les pratiques quotidiennes de ceux qui nous gouvernent, teintées de racialisme, d’ethnicisme, d’exclusion, d’oppression ethnique ...

Or mal nommer les choses { pire, ne pas les nommer } c’est rajouter du malheur au monde, nous disait A Camus.

En second lieu, je ne pense pas, pour ma part, que la nature d’une analyse des choses ou d’un phénomène quelconque puisse constituer un mal en soi, pire que le phénomène lui -même ! Nos grilles de lecture ne sauraient générer nos malheurs, en être la cause’’.

C’est absurde ! Je récuse cette façon de voir, et pense plutôt que c’est en réaction à des politiques hégémoniques identitaires de nos gouvernements –sur lesquelles du reste l’auteur reste muet -. que se sont développés et bâtis des discours de dénonciation, des lectures raciales, identitaires.

Par ailleurs, les problèmes n’existent pas non plus par "dysfonctionnement, et ne se situent pas au niveau sectoriel, comme il le laisse entendre , tentant de nous y orienter , mais relèvent ou résultent d’un Système qui englobe tous les secteurs, et non un secteur particulier ; par Système il faut entendre cet ensemble de mécanismes dont les effets conjugués concourent ou conduisent au même résultat : l’exclusion de franges entières de populations ,de communautés , l’oppression ethnique et raciale.

C’est cela qui occasionne ces réactions identitaires, légitimes , des victimes qu’il stigmatise. L’auteur ferme les yeux sur l’anarchie générale, grave, qui conduit à un Etat failli.

Lorsque l’auteur accuse ces "hérauts de réduire des contradictions sociales en une supposée lutte raciale", il ignore ce que retient l’histoire à ce sujet : "les conquérants ont souvent abusé des différences d’ordre physique ou culturel pour asseoir leur domination sur des bases ethniques", nous dit Cheikh Anta dans "races et classes sociales’’, en rappel à la loi du phénotype . S’y ajoute, historiquement, que "la lutte des classes a d’abord une origine ethnique" ( Sparte, Rome etc )

En second lieu, la loi de proximité en sociologie indique à son tour que dans la vie en commun "tout groupe humain s’organise {…} pour assimiler l’ autre". L’auteur se devrait donc de nuancer ses certitudes lorsqu’il affirme que nous ne sommes pas dans un problème de races . La question de races est bel est bien au cœur du problème ; elle ne peut être évacuée du débat pour constituer une partie du problème, si ce n’est le problème . Exactement la situation qui nous occupe présentement sous l’ère Ghazouani. Les "lectures raciales" seront donc forcément convoquées …

Ne pas se défendre face au projet d’exclusion totale, d’assimilation, voilà ce à quoi l’auteur nous invite à mots couverts.

Enfin, l’auteur nous conseille, en filigrane , de ne pas regarder du côté "des nominations de généraux bidhans, ou de la promotion de haratines ou de négro africains qui n’ont aucune incidence sur la vie des mauritaniens noirs des profondeurs" ...

Mais là encore , Il perd de vue la charge et la dimension symboliques de ces nominations, dans leur effet miroir. A Tocqueville écrit, à ce sujet, que "les hommes préfèrent vivre en liberté dans l’égalité . Mais que s’ils n’obtenaient pas la liberté, ils seraient prêts à mourir pour l’égalité même dans l’injustice". Tel est le ressort humain duquel nous sommes pétris…

Mon dernier problème avec cet auteur enfin, c’est qu’il avance cagoulé, au lieu de s’assumer… L’adage populaire nous dit bien que "l’ami de mon ami est mon ami"… M D I repenti ?

Par des artifices – écran de fumée - il cherche à donner l’air de "penser la politique sans penser politique". Qui est dupe ?

Mais par delà cette sortie du Professeur, dirais-je en guise de conclusion, il y a ce côté affligeant par-dessus tout de notre situation ; la posture d’un grand nombre de cadres intellectuels victimes du Système qui, pour la plupart, semblent avoir baissé les bras, rasent les murs, esquivent les débats au lieu d’oser croiser le fer…

A l’attention des intellectuels honnêtes et patriotes sincères ,soucieux du devenir de notre pays, dans l’anarchie totale, je rappellerai ces mots de J Jaures : "le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant …."

Pour ma part, je ne céderai pas à l’intimidation recherchée par la cabale orchestrée en cours, je ne me coucherai pas…

Samba Thiam



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Source : Samba Thiam
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Commentaires (1)

  • ouldsidialy (H) 07/05/2025 14:13 X

    Ça bouge en Afrique et cela se rapproche de la reconstruction mentale, après tant de déconstructions.Le " vieux" combattant politique infatigable, en vient à poser les bonnes questions.

    1)La difficulté des africains à trouver des solutions politiques vient de leurs affaiblissements identitaire. Les constructions impérialistes ont désorganisé les ethnicités africaines qui sont la trame fondamentale des constructions psycho-anthropologique humaines. Les africains ont fini le travail eux-mêmes, après les indépendances, en disqualifiant les identités locales en tant que substrat de la pensée conceptuelle ou de la modernisation social, économique ou politique.

    On remarquera qu'en Europe, maitresse d'elle-même et de sa pensée, les représentations tribalo ethniques ont servies idéalement de point d'appui et d'inspiration pour les propositions modernes. Les situations contraires ont été des propositions rapidement jugées tyranniques ou ont échouées. Le progrès n'est pas proposé sur la base de l' abondant de l'identité ethnique des peuples, de leur langue, coutumes ou mentalités .Bien au contraire.

    2)La génération des indépendances, avec beaucoup d'excuses, n'a pas voulu envisager une refondation moderne autour du tribalisme et des ethnies. Elle a disqualifié dangereusement une trame de la personnalité légitime africaine. La génération lisait beaucoup les socialistes ainsi que Mao et avait pour amis en occident des chrétiens empathiques ou des gens de la gauche généreuse démocratique et coloniale. Les communistes donnaient à croire que l'on pouvait poser en premier l'Etat et que le pacte sociale se ferait mécaniquement autour. La génération ne séjournait pas assez longtemps en URSS ! De toutes façon, les jeunes des indépendances n'avait pas assez de pouvoirs internes, contrairement aux chinois, pour instaurer des dictatures véritables. Lesquelles sont en effet, une des possibilités pour faire réussir des aberrations anthropologiques.

    La nuance apporté par les occidentaux est que l'on pouvait faire des Etats "par des conventions", sans disposer de prises importantes sur les fondamentaux tels la langue, la société, l'économie ou la sécurité globale. Les amis occidentaux précisaient que L'Etat se construira dans longtemps . Ce qui dans l'oreille d'un jeune s'entend comme l'équivalent de 30 ans et perpétuité par leurs amis. Les jeunes signaient en effet des baux perpétuels linguistiques et des traités de défense. Comme on les comprend respectueusement.

    3) Les démocratisations avant l'heure auront eu le mérite de donner droit de cité plus évident à certaines logiques tribalo ethniques. Mais l'efficacité de l'intelligence ethnique reste handicapée par son affectation à la clandestinité et l'autocensure de sa créativité. Cela donne des organisations qui ne sont pas plus menteuses à elles-mêmes qu'avant la démocratisation. L'usage que font les ethnies des institutions et outils de gouvernement, est au fond, le meilleurs rendu possible pour une organisation schizophrène qui ne s'attelle pas à coller les morceaux de ses vérités humaines.

    4) Ici, une personne non citée, aurait fait thèse autour d'une évidence mauritanienne : l'approche par considérations ethniques. Lui et tous les mauritaniens, préfèrent finalement appelé "raciale" , ce qui est ethnique. Ça c'est un trait sémantique de déconstruction mentale en Afrique. Les africains se surprennent et sont fréquemment surpris en raisonnements racialistes alors qu'ils abhorrent le racisme. L'explication est simple: les éléments de langage racialistes leur sont plus acceptables ( en dépit de leur détestation) que " la très dangereuse", " la forcément très arriérée" prise en charge conceptuelle de la réalité ethnique. La génération des années 60 et la génération intermédiaire qui a suivi, ont réussi leur "attentat" à la vérité anthropologique africaine . Mais derrière, on tourne en rond !!

    5) Dans cette intervention du combattant infatigable , il existe une opportunité d'accroche pour l'esprit critique des adultes plus jeunes. Le vieux combattant pose la bonne question "est-il sûr que la citoyenneté puisse être disjointe de l’ethnicité ?" puis il se "perd", comme tout combattant, à poursuivre son adversaire alors qu'il aurait pu s'arrêter à sa question et y répondre. A chaque génération suffit sa peine! Lui , produit du prisme des années 60, a été capable de poser une question fondamentale hors de la logique de sa génération. Au plus jeune de se bouger les neurones !!