14-05-2025 17:37 - Souveraineté économique et dignité de l’État : rompre avec l’illusion du développement assisté

La Mauritanie ne peut plus se permettre de naviguer à vue, au gré des opportunités extérieures, des financements conditionnés ou des symboles de dépendance transformés en cérémonies d’État. Car au-delà des crédits et des flux financiers, c’est notre rapport à la dignité de l’État qu’il faut rééduquer.
Il y a dans certaines pratiques une humiliation silencieuse. Lorsqu’un ministre préside une cérémonie de remise de dons de dattes ou de véhicules, lorsqu’un maire ou préfet remercie à la télévision pour quelques cartons, c’est l’image même de l’État qui s’effrite. Un État ne quémande pas.
Un État digne concède ce rôle à la société civile, aux ONG, aux réseaux associatifs. Car les institutions, comme les hommes, doivent cultiver le respect de soi. La sobriété n’est pas froideur : c’est une manifestation de la fierté républicaine.
Un pays moderne se définit par sa capacité à hiérarchiser ses besoins, formuler sa stratégie, mobiliser ses ressources humaines et protéger la crédibilité de ses institutions. Or l’endettement, devenu réflexe, affaiblit la souveraineté, aggrave la vulnérabilité financière et désorganise la planification publique. On ne devrait s’endetter que pour financer des infrastructures ou des projets de transformation économique durable — jamais pour satisfaire des injonctions exogènes ou colmater des urgences répétitives.
À cela s’ajoute une dérive structurelle : la circularité de l’aide. Une part significative des fonds retourne, sous forme d’expertise, vers ceux qui les ont accordés. Cabinets affiliés, consultants permanents, réformes standardisées : une partie non négligeable de ces ressources est captée avant même d’atteindre le terrain. Ce modèle d’assistance entretient une dépendance intellectuelle et financière, au détriment d’une ingénierie nationale autonome.
Car l’illusion demeure tenace : croire que la Banque mondiale ou sa filiale, l’International Finance Corporation (IFC), peuvent tenir lieu de boussole stratégique. Or, l’IFC n’est ni une institution de planification ni un organe de souveraineté. C’est une structure orientée vers le marché, qui finance, conseille, et parfois co-construit — mais toujours dans l’intérêt du secteur privé international, non dans la perspective de la souveraineté des nations. Elle ne conçoit pas un destin collectif, ne pense ni la cohésion nationale ni les impératifs sociaux d’un État en développement. Lui déléguer la réflexion stratégique, c’est confondre pilotage macroéconomique et gestion de portefeuille. C’est aussi admettre, implicitement, que l’État n’a plus ni vision propre, ni confiance dans ses capacités d’ingénierie.
Les nouvelles ressources gazières doivent donc être envisagées comme un levier stratégique. Une part importante de leurs revenus devrait être affectée au désendettement extérieur. Ce choix permettrait de rompre avec la spirale de l’endettement conditionné, de restaurer notre crédibilité budgétaire et de reprendre le contrôle de notre trajectoire.
Mais encore faut-il s’y préparer. Cela fait plusieurs années que nous aurions dû former des techniciens et Ingénieurs spécialisés en logistique gazière, des experts juridiques aptes à négocier nos contrats. Ce retard stratégique nous rend vulnérables face aux rapports de force et aux prestataires étrangers.
Rien ne se fera sans vision claire. Gouverner sans cap dans un monde instable revient à se livrer à la contingence. Une vision stratégique ne peut être implicite : elle doit être formulée, débattue, diffusée. Elle doit éclairer chaque niveau de l’action publique. Trop de hauts fonctionnaires improvisent, faute de référentiel commun. Trop de ministres conçoivent isolément leurs stratégies, désarticulant les politiques publiques et dilapidant les ressources.
Le SCAPP ou tout autre plan ne peut se réduire à une adaptation mimétique de matrices étrangères. Il doit naître d’une concertation nationale sérieuse, fondée sur les besoins réels, articulée à nos ressources, tournée vers le long terme. On ne bâtit pas une politique publique pour obtenir un prêt, mais pour affirmer une souveraineté.
Cela implique une réforme en profondeur de la gouvernance administrative. Trop de compétences mauritaniennes, pourtant disponibles, sont écartées. Le favoritisme et le népotisme politique paralysent l’efficacité de l’État. La compétence doit redevenir le critère fondamental. Chaque ministère devrait être doté d’une cellule stratégique de haut niveau, en charge de la planification, du contrôle et du suivi rigoureux des projets. L’exécution ne peut précéder la vision.
L’État doit également s’outiller techniquement. Des plateformes numériques interconnectées par ministère et direction doivent permettre un suivi en temps réel. Le président de la République devrait disposer d’un tableau de bord national synthétique, donnant une visibilité immédiate sur l’état d’avancement des projets et politiques publiques.
Aujourd’hui, l’exécutant agit souvent sans cadre stratégique, contraint d’improviser. Il est parfois remplacé avant même que son projet ne voie le jour. Cette discontinuité fragilise l’action publique, transforme les ministères en îlots isolés, déconnectés les uns des autres. C’est une perte nette de temps, de cohérence et de crédibilité.
Mais aucune réforme ne sera viable sans une volonté ferme de combattre la corruption. Cela implique une chose simple mais radicale : choisir des hommes intègres, punir les fautifs, et garantir à la justice son autonomie. Une justice indépendante et transparente est la condition première de la crédibilité économique.
Enfin, les défis sécuritaires croissants dans la bande sahélo-saharienne rendent indispensable une politique de développement enracinée. L’éducation et la formation des femmes doivent être érigées en priorité nationale. Sans elles, aucun développement durable n’est envisageable. Et sans perspectives ni stabilité, l’exil devient l’horizon, la migration, le symptôme d’un échec plus profond.
La Mauritanie n’est plus une périphérie ignorée. Ses ressources, sa position, son potentiel la placent au cœur des enjeux régionaux. Elle doit construire ses partenariats de manière souveraine, avec des institutions plus proches de ses intérêts : Banque islamique de développement, BADEA, FADES, et la Banque africaine de développement, dont les outils et l’expérience s’accordent mieux à nos réalités.
Car la souveraineté ne se décrète pas : elle se construit, dans la rigueur, l’exemplarité et la confiance en soi. La dignité de l’État n’est pas un luxe rhétorique : c’est la condition première du développement. Et comme le rappelait un philosophe, elle repose sur la fidélité à ce qui mérite d’être transmis. À nous d’en faire un principe, non un slogan.
Mohamed El Mokhtar Sidi Haiba