17-05-2025 18:45 - Le procès de l’Histoire ou l’histoire d’un procès …la guerre de Troie n’aurait pas eu lieu …

Le Rénovateur Quotidien -
Le procès de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz restera, à n’en point douter, un événement majeur de la vie politique mauritanienne. Quinze ans de prison ferme pour enrichissement illicite, blanchiment d’argent et corruption : un verdict lourd, à la hauteur des accusations. Mais derrière la rigueur judiciaire apparente se cache une trame autrement plus complexe, une véritable tragédie politique aux relents de trahison, d’orgueil et de vengeance.
Une amitié de 40 ans brisée par l’ombre du pouvoir
Ce procès n’aurait sans doute jamais existé si Aziz n’avait pas été soupçonné de vouloir revenir dans le jeu politique. Car l’histoire commence bien avant le tribunal. Elle débute dans les coulisses d’un pouvoir partagé entre deux amis de 40 ans : Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Ghazouani.
Compagnons d’armes, partenaires de régimes militaires successifs, l’un a fait de l’autre son successeur en 2019, pensant ainsi garantir sa propre continuité et sa sécurité.
Mais à peine quelques mois après la passation du pouvoir, les signaux changent. Aziz ne digère pas son effacement. Il tente de reprendre la main, multiplie les déclarations, veut restructurer l’Union pour la République (UPR) et marquer son territoire politique. Ghazouani, jusque-là effacé, se mue en chef. Il se libère progressivement de l’ombre tutélaire de son ancien mentor. Le bras de fer commence. Et c’est dans ce climat de rupture que naît ce que l’on appellera plus tard « le procès du siècle ».
La guerre de Troie n’aurait pas eu lieu…
S’il s’était contenté de jouer un rôle d’ancien président discret, Aziz ne serait peut-être jamais inquiété. Mais son ambition, son retour tonitruant, et surtout ses tentatives de garder la main sur certains réseaux de pouvoir ont précipité la rupture. Comme dans la tragédie grecque, c’est l’orgueil des hommes et la peur de l’ombre qui ont allumé l’incendie. La guerre de Troie n’aurait pas eu lieu sans Hélène ; le procès Aziz n’aurait pas eu lieu sans ce retour imprévu sur la scène.
Dès lors, le rouleau compresseur judiciaire se met en marche. Une commission parlementaire est créée. Des soupçons se transforment en accusations. Des comptes bancaires gonflés, des biens mal acquis, des sociétés écrans, des milliards détournés. Autant de faits difficilement contestables qui servent de munitions pour le combat politique en cours. La justice se saisit de l’affaire, ou plutôt, on la pousse à s’en saisir.
Une justice entre symbolisme et instrument politique
Le procès devient alors double : judiciaire dans sa forme, politique dans son essence. Le but n’est pas tant de faire tomber un corrompu – car s’il s’agissait vraiment d’éradiquer la corruption, combien d’autres hauts responsables devraient se retrouver sur le banc des accusés ? – que de neutraliser un homme devenu encombrant. Aziz paye certes ses actes, mais il paie aussi son arrogance et son refus de quitter la scène.
Ce procès fait date. Il fait trembler les élites. Il donne à voir une justice qui ose juger un ancien président. Mais ce procès de l’histoire ne doit pas masquer les autres histoires tues : celles des crimes d’État, des violations des droits humains, des détournements collectifs qui n’ont jamais connu de tribunal.
Et maintenant ?
La Mauritanie a-t-elle franchi une étape ? Peut-être. Mais pour que ce procès devienne une vraie rupture avec l’impunité, il doit faire école. Il ne doit pas rester un cas isolé dicté par la conjoncture politique. Il doit ouvrir une ère où les dirigeants rendent des comptes, où les crimes de sang comme ceux de l’argent trouvent une réponse judiciaire. Il faut que justice cesse d’être une arme aux mains du pouvoir pour devenir un pouvoir en soi, indépendant et crédible.
L’histoire d’un procès peut-elle devenir le procès de l’Histoire ? C’est toute la question.