20-05-2025 14:30 - Chroniques d'un officier subalterne ( 4ème épisode) / Par Ely Krombele

Au cours de l'été de l'année 1981, les lieutenants Ely Fall Ould El khal, Sarr Amadou, Mohamed Ould Abdel Aziz et Ahmedou Ould Ghazwani ont été convoqués pour des stages en Algérie. Ils ont été remplacés par les sous-lieutenants Mohamed Nagi Ould Menaba, Thiam Moktar et Aly Ould Messaoud....Ahhh Mboud !!!.
La vie de Aly Ould Messaoud est pleine d'enseignements et nous interpelle en tant que sociétés mauritaniennes, certes diverses, mais toutes esclavagistes. Un descendant d'esclaves qui a vu en la république le seul tremplin à l'amélioration de toutes les conditions de vie de ceux qui n'ont pas encore été débarrassés de cette abomination.
Le sous-lieutenant Aly Ould Messaoud était cet officier avec qui on aimerait passer du temps, assez de temps, sans jamais s'ennuyer. Jovial, peu regardant sur son passé lointain, il était le prototype même de la reconnaissance et la compréhension des sentiments et des émotions qu'on peut avoir à l'égard d'un descendant d'esclave.
Pour moi, Aly Ould Messaoud est l'incarnation d'un autre esclave américain, l'Oncle Tom, immortalisé par un roman paru en 1852, et dont l'histoire mondialement connue, est une des causes lointaines de la guerre de sécession entre le Nord et le Sud esclavagiste, de 1861 à 1865.. C'est le roman, "La Case de l'Oncle Tom", qui a éveillé la conscience des Américains sur les conditions inhumaines de l'esclavage, et depuis le regard des Américains a changé quant à la perception de ce fléau.
En Mauritanie les séquelles de l'esclavage sont encore visibles, aussi bien chez les Soninké, les Peuls, les Ouolofs que les Beidanes. Chez les Beidanes, la notion de domination était notoirement visible, puisque le maître est souvent blanc et l'esclave, noir. Chez les mauritaniens d'origine négro-africaine, la condition de l'esclave est pernicieuse, comme une maladie maligne, car le concept épidermique agissant en trompe-l'oeil est comme l'arbre qui cache la forêt.
En somme au visible compliqué, on oppose l'invisible simple à décortiquer, comme en science expérimentale. Si la notion d'esclavage transcende toutes les composantes de la société mauritanienne, parce antérieure et vieille comme le monde, la stratification du tissu social, elle, est une "invention" endogène récente qui date du 12ème siècle. En effet les Beidanes l'ont héritée des négro-mauritaniens, eux qui ont subi l'influence des peuples mandings, sans même s'en apercevoir, ou feignant de l'être.. Ce qu'il y a d'incompréhensible, est que les Beidanes et les Noirs sont "assis côte à côte", des siècles durant, ils s'assimilent mutuellement, mais demeurent réticents à l'égard de ce métissage de voisinage.
Ainsi le concept de griot ou de forgeron est une invention des peuples mandings, avant la naissance même de l'empire du Mali. C'est avec l'émergence de l'empire du Mali au milieu du 13ème siècle chez les Konaté, qui donneront aussitôt le patronyme de Keita à Soundjata, fils Naré Famaghan Konaté et de Sogolondjata, que le concept de "forgeron" sera méprisé jusqu'à nos jours dans toutes les sociétés oust-africaines qui ont subi l'influence de l'empire du Mali. C'est alors que les émirs Beni Hassane des Oulad MBarek des deux Hodhs, voisins du Mali, et pour pérenniser leur épopée par le "Ezawane", étoffer leur armurerie, enrichir leur héraldique, ont eux aussi eu besoin de griots, et de forgerons.
Cependant la notion de forgeron a été dévoyée de son acception première par les vainqueurs, qui écrivent l'histoire toujours à leur avantage: "malheur aux vaincus". Soumaoro Djarisso, un noble bambara, avant qu'on lui attribut le patronyme de Kanté, était le roi de la province du Sosso. Il était savant avant l'heure, comme Prométhée, dans la mythologie grecque, "qui a volé le feu", à l'origine de la science moderne. Soumaoro, le roi encore invincible maîtrisait le feu, construisait des outils (houe, daba, charrue) pour l'agriculture; des flèches, des sabres, des couteaux etc, pour la défense de son territoire.
C'était un roi visionnaire, puissant, il était contre l'esclavage, pour l'unité de tous les royaumes de son époque. Il était craint, mais âgé de 90 ans et après avoir été trahi par son neveu Fakoly Kourouma, qui a reproché à son oncle l'inceste ou le fait d'avoir pris sa femme comme épouse. Fakoly s'est rallié aux princes du Manding et Soumaoro a perdu la bataille de Kirina en 1235. Ainsi Djata Konaté a été intronisé comme roi du nouvel empire, le Mali, sous le nom Soundjata Keita. Depuis ce jour, on a diabolisé les descendants de Soumaoré Kanté, les taxant de sorciers, les avilissant, les méprisant. Même les Beidanes, sous influence en sont désormais de la partie.
L'on constate en Mauritanie que cette "caste" de forgerons est soit destinée au proxénétisme, soit à chanter les louanges de qualité, soit à poser le henné pour les femmes. Ce sont les Maures, les Peuls et les Soninké de Mauritanie qui méprisent et vouent aux gémonies le forgeron, plus que les Malinké et les Bambara du Mali, là où est né le concept de forgeron, de griot, de tisserand, de pêcheur, d'esclave affranchi etc...Tout ce mépris crée la frustration chez le forgeron puisque lobotomisé par des pratiques "importées" du Mali voisin. Un forgeron ministre, avocat, ou même général de division aura toujours ce complexe inné, qu'il voudra bien transformer en un complexe de supériorité à l'égard de ses administrés.
Ce qui cause problème le plus souvent, puisque n'étant pas juste. Les castes disparaîtront un jour, si la société est passée par là , c'est que c'était une nécessité qui aboutira à une période salvatrice, plus tolérante. Qui se rappelle de la mécréance de l'Egypte pharaonique? Le temps d'Allah n'est pas le temps des mortels.
Si pour l'instant, on ne peut rien contre les lois de la génétique, il n'est pas rare de voir des individus d'origine esclave ou forgeron, vouloir se venger de la société, en lui reprochant les tares subies. D'autres au contraire se fichent totalement de ses considérations bancales et vivent leur vie dans la sérénité en citoyens normaux. C'est ce comportement horizontal, débarrassé de toute velléité qui m'a plu chez le sous-lieutenant Aly Ould Messaoud en 1981 à Kaédi, et surtout son penchant pour la "justice pour tous" . C'est le même constat chez le sous-lieutenant Sy Aboubocar Djaltabé, un homme franc, pourvu d'une sincérité qui frise la naïveté.
Cependant c'est au début des années "80" que certains officiers, voyant les Haratines constituer un pôle important de la société, commencèrent à leur faire une "cour épidermique", surtout au niveau de l'Armée. Les officiers pionniers Poulars tels Yall Abdoulaye, Athié Hamath, Dia Elhaj et même leur jeune Niang Harouna, qui connaissent comment pensent les Beidanes, à travers leurs astuces, leurs ruses...tissaient petit à petit leur stratégie de conquête du pouvoir, sans attirer l'attention de qui que ce soit.
Pour Yall Abdoulaye chef d'Etat-Major National, il fallait un cota, même tacite, aux négro-mauritaniens, en matières de stage, de concours, de formations etc...Du temps de Yall Abdoulaye, à la Direction des Transmissions 99% des militaires étaient originaires de la Vallée; à la Direction du matériel, du 1er au 5ème échelon, seuls deux "petits maures", à savoir le lieutenant Mohamed Ould Aziz et l'adjudant- chef Mohamed Ould Gueled, sans oublier l'autre "petit" métis Georges Denand. A la Santé, c'était pareil...Tout ça était normal, personne n'en parlait, puisque personne n'en soupçonnait. Les Peuls sont des Mauritaniens et il est légitime, même de nos jours, qu'ils occupent tous les postes ou toutes les fonctions pourvus par la république. Mais l'Histoire militaire mauritanienne en a voulu autrement.
L'Année 1982 à Kaédi était synonyme d'ambiance sportive, surtout lors des rencontres entre les équipes de basket-ball, ou de foot-ball du Sak avec les autres équipes des différents quartiers et du lycée de Kaédi. Niang Harouna qui était incapable de courir 200mètres, m'a demandé de venir le réveiller chaque matin à 6 heures, en ma qualité d'officier des sports.
Au bout d'un mois seulement, il était en mesure de participer à tous les cross organisés par le secteur, et de jouer un match de basket. L'été 1982, Sy Abou Djaltabé et moi sommes admis au concours Orsa et nous voilà partis pour 9 mois de stage à l'Emia d'Atar; une belle occasion de rencontrer certains de mes collègues de la 4ème promotion, en plus d'autres officiers non des moindres qui ont occupé ou qui aurons à occuper des places prépondérantes au sein de l'échiquier régalien mauritanien.
2/ Django tire le 1er...
Le colonel feu Mohamed Ould Balla dit Papa Diallo, commandant de l'Emia en 1983, était plus fier qu'un Peul Bororo devant son troupeau de bovins. Il était secondé de feu le commandant Né Ould Abdelmalik. Et le commandant de la brigade Orsa 1982-83 était feu le capitaine Ndiaye Ndiawar, décédé à Paris en 2024. Allah yarhamhoum.
ELY SIDAHMED KROMBELE, FRANCE
( A suivre 5ème épisode Inch'Allah)
Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.