26-05-2025 13:51 - De comportement isolé à mode de vie : la corruption comme philosophie de gouvernance !

De comportement isolé à mode de vie : la corruption comme philosophie de gouvernance !

Le problème de la corruption en Mauritanie, c’est qu’elle n’est plus un simple comportement isolé au sein des institutions administratives. Elle est devenue une mentalité, un mode de vie et un phénomène social accepté par tous : le lettré la soutient par sa plume, l’ignorant par son zèle. Les élites se divisent en deux camps : ceux qui jubilent de leur butin et ceux qui endurent patiemment dans l’espoir d’obtenir un jour leur part.

La corruption est désormais, en plus de tout cela, une politique officielle de l’État. Ses praticiens sont récompensés par des nominations, des candidatures électorales et des marchés publics. L’État ferme les yeux sur le pillage quotidien de dizaines de milliards, suspend les missions d’inspection, interdit la publication des rapports de l’Inspection générale d’État et de la Cour des comptes, et dissimule les noms des personnes impliquées.

Plus encore, la politique officielle de l’État consiste aussi à combattre quiconque paraît être au-dessus de la corruption, car il menace le fonctionnement du système corrompu.

Ce qui est encore plus grave, c’est que les institutions éducatives produisent désormais des individus corrompus, et les diplômes ne sont plus que des tickets d’entrée au club de la corruption. Il n’est donc plus honteux de les obtenir de manière frauduleuse. Mohamed Ould Abdel Aziz a interrompu une enquête sur l’authenticité des diplômes de tous les fonctionnaires lorsqu’il a découvert qu’elle risquait de faire tomber plus de la moitié du gouvernement, des directeurs généraux d’institutions publiques et des dizaines de “personnalités influentes”.

Personne n’a relevé le silence funèbre des syndicats de l’enseignement supérieur lorsqu’ils ont tenté une grève et qu’Ould Abdel Aziz leur a lancé : “Ou bien vous arrêtez la grève et retirez vos revendications, ou bien je publie pour le peuple mauritanien les résultats de l’enquête sur vos diplômes !”

Encore plus étonnant : les diplômés des institutions religieuses (mahâdhir et instituts) sont allés jusqu’au bout du crime, se livrant au trafic de drogues, au blanchiment d’argent… Et tout cela parce que les structures sociales tribales, pourries par l’argent public et le blanchiment, sont devenues la référence morale et éthique des enseignants dans ces établissements – qu’ils soient modernes ou traditionnels, scientifiques ou religieux.

La corruption est devenue une véritable industrie dans le pays. C’est d’ailleurs la seule industrie que les régimes autoritaires et corrompus ont réussi à implanter et à enraciner, en la transformant en doctrine, en mentalité et en pratique quotidienne. Ces régimes veulent que tout le monde soit corrompu afin de ne pas être gênés par leur propre slogan de lutte contre la corruption, qu’ils brandissent à chaque changement de façade, après chaque coup d’État militaire ou chaque élection. Et c’est ce qu’ont réussi tous les régimes corrompus qui se sont succédé depuis la « démocratisation » de la vie politique.

Ce constat est confirmé par la réalité du terrain, mais aussi par les propos du président actuel, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, qui aurait répondu à un député l’interrogeant sur son laxisme face à la corruption : “Quand tous les cadres sont corrompus et que la société elle-même est corrompue, que puis-je faire… si ce n’est composer avec leurs corrupteurs et leur corruption ?”

Le discours politique traditionnel et sa classe politique sont devenus une partie du problème, un partenaire actif des régimes autoritaires corrompus. Certains d’entre eux sont même devenus leur bras civil “opposant”. Ce discours ne porte donc plus les solutions efficaces aux maux de la corruption dans nos mentalités et nos comportements, car la classe politique, dans sa majorité, est corrompue. Et la minorité qui refuse de s’y mêler est incapable de produire des idées révolutionnaires inspirantes et des solutions radicales, pour de nombreuses raisons qu’il serait trop long d’énumérer ici.

Le discours politique actuel est un discours du passé, jamais mis à jour depuis des décennies, ressassé à chaque occasion jusqu’à devenir une nuisance, une dissonance, une parole sans crédibilité, même pour celui qui la prononce, encore moins pour celui qui l’écoute.

C’est un discours adapté à une époque où la corruption n’était que politique et administrative. Aujourd’hui, elle est devenue un phénomène social enraciné dans la psyché individuelle et collective. C’est là que les crises nationales se sont complexifiées, que l’inspiration des élites s’est tarie, que les solutions radicales ont disparu, que l’horizon s’est obscurci, que l’espoir s’est éteint, que l’encre de la pensée a séché et que les plumes nationales se sont brisées par amour de l’argent et face à la dureté des chemins de la lutte.

Le pays a donc besoin aujourd’hui d’intellectuels et de penseurs libres, révoltés contre la société, affranchis de ses mentalités et de toutes ses appartenances – prêts à payer le prix de leurs idées et de leurs positions, non à en toucher le prix, comme certains de leurs prédécesseurs – pour réfléchir à comment sauver le navire national du naufrage face aux vagues puissantes de la corruption omniprésente.

La réalité est que notre pays a déjà sombré dans la fange de la corruption et du laisser-aller : l’effondrement de l’État est à son comble, et son appareil est devenu le refuge des ratés issus de la classe dirigeante et de ses bastions tribaux, dépourvus de diplômes et de compétences. Ce mal touche toutes les administrations, tous les services et toutes les institutions de l’État. Et comme plus personne ne croit au bien public ni à l’intérêt général, les piliers de l’État vacillent et s’effondrent, même dans ses missions fondamentales : santé, éducation, sécurité nationale, défense de la souveraineté, politique étrangère, justice, économie…

Le Mali occupe des parties de notre territoire après avoir chassé nos citoyens, fermé nos écoles, nos dispensaires et nos centres électoraux, comme si de rien n’était. Il ne faut surtout pas déranger nos dirigeants avec des questions de sécurité ou de souveraineté nationales – ils ont des priorités plus “importantes” : piller le fer, l’or, le poisson, le gaz, le pétrole et bien d’autres ressources…

Toute proposition réformiste ou discours politique qui ne place pas au cœur de ses priorités la volonté ferme de changer les mentalités et les idées dominantes dans la société n’est qu’un recyclage d’échecs anciens. La réforme du pays commence donc nécessairement par une réforme sociale – comme ce fut le cas lors des grandes révolutions de libération dans le monde – et cela ne pourra se faire qu’à travers un nouveau contrat social, sur lequel s’accorderont les élites nationales sincères et engagées dans la réforme. Ce contrat devra poser les fondements d’une société moderne, animée par une mentalité d’État civil, où seule la loi fait autorité et où l’intérêt général est la boussole suprême pour l’individu, le groupe et l’État rassembleur.

Il faut introduire des concepts politiques et sociaux en accord avec les valeurs de notre époque : des concepts prônant l’allégeance à l’État et à la société, criminalisant l’allégeance à la tribu, à la région ou à la caste. L’intérêt suprême du pays doit être la lumière qui guide, et l’intérêt personnel ou la loyauté tribale doivent être vus comme une honte et un crime lorsqu’ils s’opposent à l’intérêt de l’État et du peuple.

Mais tout cela ne sera possible que par une véritable mobilisation des jeunes libres de Mauritanie, qui portent les souffrances des citoyens, défendent les intérêts du pays, et sauvent ce qui peut encore l’être. Car le modèle actuel de gouvernance nous mène à la disparition de l’État : les pays voisins se partageront nos vastes étendues, les multinationales y assureront la défense de leurs intérêts, les Occidentaux déploieront leurs navires de guerre à nos frontières pour stopper l’immigration, et les Mauritaniens erreront, démunis, dans les déserts arides ou les camps de réfugiés des pays voisins… Et peut-être même n’échapperons-nous pas à une guerre civile.

Nous vivons aujourd’hui dans un État failli, et il ne reste que deux options : se relever pour éviter l’explosion, au prix de difficultés et de sacrifices, ou glisser dans un chaos que personne n’avait imaginé, que nous ne pourrions ni maîtriser, ni empêcher.

Mohamed Ould Dahan
Militant politique opposant, résident en Belgique.





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Commentaires (1)

  • yawonni (H) 26/05/2025 14:45 X

    Tout est clair avec ces deux declarations : Ould Abdel Aziz  qui aurait menace le syndicat des enseignants superieurs en disant : “Ou bien vous arrêtez la grève et retirez vos revendications, ou bien je publie pour le peuple mauritanien les résultats de l’enquête sur vos diplômes Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, qui aurait répondu à un député l’interrogeant sur son laxisme face à la corruption  : “Quand tous les cadres sont corrompus et que la société elle-même est corrompue, que puis-je faire… si ce n’est composer avec leurs corrupteurs et leur corruption ?”