28-05-2025 21:00 - “Marges de vérité”: Faut-il refonder l’Etat?

“Marges de vérité”: Faut-il refonder l’Etat?

La Dépêche -- La parole de Sidi Ould Ahmed Deya tranche par sa capacité à mettre en système ce que la rumeur dissout dans l’anecdotique. Son propos, loin d’être un simple pamphlet moral, procède d’une lecture structurée de l’économie politique de la prédation, articulée à une anthropologie lucide des structures sociales mauritaniennes.

Les villas surgies des sables, les véhicules à plusieurs millions de ouguiyas, les embouteillages permanents dans des villes sans urbanisme ni réseau d’assainissement, les marchés informels proliférant comme métastases dans chaque recoin de quartier : ce n’est pas seulement une description — c’est une cartographie du chaos fonctionnel.

L’auteur en déduit une hypothèse systémique : l’hypertrophie de la richesse visible ne procède pas d’une dynamique productive, mais d’un déséquilibre profond entre les circuits d’enrichissement et les mécanismes de contrôle.

Le diagnostic s’affine quand il note que cette explosion de richesse coïncide avec trois dynamiques que toute science administrative honnête reconnaîtra comme des signaux d’alerte :

L’accroissement des budgets publics (sans reddition proportionnelle des comptes) ;

L’intensification de l’exploitation minière (dans un contexte d’opacité contractuelle) ;

La recrudescence de circuits illicites (drogue, médicaments falsifiés), véritables économies parallèles de la violence.

La concomitance n’est pas fortuite : elle dessine les contours d’une économie duale, où l’État formel n’est plus qu’une vitrine, pendant que l’économie réelle se déploie selon les logiques du butin bureaucratique et du capitalisme clientélaire.

Depuis les années 1970, la corruption n’est pas combattue : elle est administrée. Elle devient non seulement un sujet de discours, mais un instrument de légitimation électorale. Les élites successives, y compris celles issues de l’opposition, ont reconduit — voire perfectionné — les logiques de prédation, dissimulées sous les masques du réformisme. En ce sens, la corruption n’est plus un dysfonctionnement : elle est devenue un mode de gouvernement.

Le cœur le plus incandescent du texte réside dans cette phrase : “Famille, tribu, région, caste et appartenance ethnique restent les incubateurs les plus puissants de ce fléau.” Ici, l’auteur opère une rupture paradigmatique.

Il ne s’agit plus d’amender le système : il faut le désincarcérer des matrices archaïques qui neutralisent toute tentative de modernisation étatique. La corruption est moins une transgression de la norme qu’un prolongement des structures traditionnelles dans les habits du pouvoir moderne.

La solution n’est pas formulée comme utopie, mais comme exigence républicaine. L’auteur plaide pour la genèse d’un État de droit désenclavé de l’ethos communautaire, régi par l’universalité de la règle et l’impartialité institutionnelle. Il insiste sur l’axiome du “bon profil au bon poste” — rappel cinglant dans un pays où la nomination reste souvent un prolongement des rapports de force lignagers ou politiques.

Ce texte n’est pas un simple acte de parole. C’est une interpellation structurelle, un document politique au sens le plus noble du terme. À travers une écriture dense et sans concession, Sidi Ould Ahmed Deya ne se contente pas de décrire : il met en échec le mensonge institutionnalisé et appelle, non pas à une énième réforme, mais à une refondation ontologique de l’État. Un message que seuls ceux qui refusent de dormir dans le confort des slogans entendront.

Chronique de Mohamed Ould Echriv Echriv



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