22-06-2025 07:45 - Iran – Israël – États-Unis : Guerre ouverte, mémoire impériale et logique nucléaire

Pourquoi l’Iran ne renoncera pas à son programme, même sous les bombes américaines
Introduction
Au cœur du fracas des armes et des discours martiaux, un vieux dossier refait surface, lesté de passions contradictoires et d’erreurs d’analyse : le programme nucléaire iranien.
Désormais, la guerre a changé d’échelle.
Cette nuit 21 juin 2025 , les États-Unis ont franchi un seuil historique en entrant directement en guerre par des frappes aériennes contre plusieurs sites nucléaires stratégiques iraniens.
L’opération, baptisée Sentinel Dawn par le Pentagone, a mobilisé des bombardiers furtifs B-2 Spirit et des missiles de croisière AGM-158B JASSM-ER (Joint Air-to-Surface Standoff Missile – Extended Range), des munitions à pénétration renforcée, conçues pour frapper des installations fortifiées en profondeur, notamment les centrifugeuses protégées sous terre.
Les cibles principales ont été le complexe d’enrichissement de Natanz, les installations souterraines de Fordow, et le réacteur à eau lourde d’Arak. Washington justifie l’opération par une « nécessité de sécurité mondiale » visant à « empêcher l’Iran d’accéder à la bombe nucléaire ». Mais derrière cette rhétorique sécuritaire se cache une erreur stratégique majeure, une fois encore enracinée dans une méconnaissance profonde de la culture et de l’histoire iraniennes.
Cette attaque ne fera pas reculer Téhéran. Elle scelle au contraire l’entrée dans une ère nouvelle : celle de la nucléarisation accélérée, assumée et irréversible de l’Iran.
1️. Le programme nucléaire iranien : héritage du Shah, aujourd’hui sous les bombes américaines
Le paradoxe est glaçant. Ce que les États-Unis bombardent aujourd’hui, ils l’ont eux-mêmes aidé à construire hier. Dès les années 1950, l’Iran adhère au programme Atoms for Peace. Dans les années 1970, sous le Shah, ce programme devient l’une des vitrines de la modernisation nationale, avec l’appui discret d’Israël et l’appui officiel de l’Occident.
Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, les bombes américaines détruisent ce qu’elles ont autrefois financé.
2️. L’entrée des États-Unis : internationalisation du conflit et fragmentation géopolitique
L’intervention américaine internationalise un conflit qui, jusqu’à présent, opposait principalement Israël à l’Iran. Elle transforme un duel régional en une confrontation globale, piégeant l’Europe, la Russie, la Chine et les grandes puissances asiatiques dans une spirale de recompositions stratégiques.
Cette guerre ne sera pas localisée. Elle engendrera :
● Des attaques de représailles iraniennes contre des bases américaines en Irak, en Syrie et dans le Golfe.
● Un réveil brutal des réseaux chiites dormants au Liban, à Bahreïn, au Koweït, voire en Arabie Saoudite.
● Des tensions croissantes dans le détroit d’Ormuz, par où transite 20 à 25 % du pétrole mondial.
3️. Conséquences économiques : le retour brutal du choc pétrolier mondial
Le premier effet immédiat de cette guerre est le choc pétrolier planétaire. Dès l’annonce des bombardements, le prix du baril de Brent a franchi la barre des 130 dollars, avec des projections allant jusqu’à 180 dollars dans les semaines à venir si l’Iran ferme le détroit d’Ormuz ou si les Houthis intensifient leurs frappes sur les terminaux pétroliers saoudiens et émiratis.
Les conséquences sont multiples :
● Inflation globale dans les pays développés, avec un renchérissement immédiat des prix des carburants, de l’énergie et de l’alimentation.
● Risque de récession dans les économies occidentales, déjà fragilisées par les conséquences prolongées de la guerre en Ukraine.
● Effondrement des marchés boursiers asiatiques et européens. La Bourse de Tokyo a perdu 5 % en ouverture, Francfort et Paris suivent avec des chutes significatives.
● Fragilisation des économies des pays importateurs nets d’énergie, notamment en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et en Amérique latine.
● Monnaies émergentes sous pression, dollar renforcé, euro fragilisé.
Ce n’est pas un simple épisode géopolitique : c’est un séisme financier et économique mondial qui se prépare.
4️. Chaos régional : fragmentation programmée du Moyen-Orient
La frappe américaine ouvre aussi la porte à une fragmentation accélérée de l’ordre régional :
● Turquie : mouvements militaires renforcés dans les zones frontalières iraniennes, tentation d’une intervention sous couvert de « protection des minorités turcophones ».
● Arabie Saoudite : intensification de la rivalité religieuse avec Téhéran, risque de flambée confessionnelle dans le Golfe.
● Pakistan : opportunité stratégique d’affirmer sa mainmise sur certaines zones frontalières, notamment le Baloutchistan.
● Prolifération nucléaire accélérée : Riyad n’exclut désormais plus publiquement d’acquérir à son tour l’arme nucléaire pour contrebalancer l’Iran.
● Syrie et Irak : les milices chiites pourraient prendre pour cible les forces américaines encore présentes.
Résultat prévisible : un Moyen-Orient transformé en archipel de guerres civiles, de conflits interétatiques larvés et de fractures ethno-confessionnelles.
5️. Effets systémiques sur la stabilité mondiale
Cette guerre dépasse le seul Moyen-Orient. Elle menace les équilibres géopolitiques globaux :
● Europe : déjà confrontée à la crise ukrainienne, elle voit sa sécurité énergétique encore plus compromise, notamment l’Italie, la Grèce et l’Espagne fortement dépendantes du pétrole moyen-oriental.
● Russie et Chine : Moscou soutiendra discrètement l’Iran, y voyant une revanche contre l’Occident, pendant que Pékin négocie des routes alternatives d’approvisionnement énergétique.
● Afrique : avec l’explosion des prix énergétiques, plusieurs économies africaines basculeront dans des spirales inflationnistes insoutenables.
● Asie du Sud-Est : fragilité renforcée de l’Inde et de l’Indonésie face au coût de l’énergie, avec un risque de déstabilisation sociale.
Cette guerre est l’onde de choc qui manquait pour faire vaciller un ordre économique mondial déjà affaibli.
Conclusion : l’Amérique a-t-elle allumé l’incendie du siècle ?
En bombardant les installations nucléaires iraniennes cette nuit, les États-Unis ont peut-être déclenché la crise globale la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce qui est en jeu dépasse l’Iran : c’est la cohésion même du système économique et politique mondial.
Mais surtout, c’est l’entrée de l’Iran dans une logique nucléaire irréversible. De seuil technique officieux, l’Iran deviendra bientôt puissance nucléaire assumée, non par volonté de provocation, mais par nécessité de survie.
L’honneur perse se conjugue désormais avec l’arme atomique. Et face à un peuple qui vit Kerbala comme une matrice existentielle, ni sanctions, ni missiles, ni discours ne suffiront à arrêter la marche vers l’autonomisation stratégique totale.
Washington n’a pas arrêté l’histoire. Elle vient peut-être de l’accélérer.
Références au 22 juin 2025:
● New York Times, « US Strikes Iran Nuclear Facilities, Escalating Middle East Conflict »
● Reuters, « Brent Oil Jumps to $135 Amid Iran-US-Israel War Escalation »
● Foreign Affairs, « The Dangerous Fantasy of Regime Change in Tehran »
● Trita Parsi, Treacherous Alliance, Yale University Press
● Pierre Razoux, Le siècle des Asymétries, Perrin, 2023
● Robin Wright, Iran after Khamenei, The New Yorker, 2024
● Wall Street Journal, « Global Markets Rattled by Middle East Crisis »
Par Cheikh Sidati Hamadi –
Chercheur associé, analyste, Expert Senior en Droits Humains.