29-06-2025 19:44 - Chroniques d'un officier subalterne ( 7ème épisode) / Ely Krombele

Chroniques d'un officier subalterne ( 7ème épisode) / Ely Krombele

b/ Avant d'être président, Ghazwani est d'abord un officier:

Personne de par le monde n'a passé un diplôme, encore moins un stage de perfectionnement pour exercer la fonction présidentielle. Cet office plus qu'un rituel religieux, tout de même régalien, est une mission délicate qui se traduit en équipe et de manière empirique.

L'entité socio-culturelle propre à chaque ensemble humain peut aboutir à différentes approches spécifiques de gouvernance. La Mauritanie ne pourrait souffrir de cette exception. Pour l'instant elle est dirigée jusqu'en 2029 par un officier, cependant dans un environnement tumultueux, avec des acteurs politiques souvent aux relents communautaristes et tribaux.

Depuis le début des années "90" la Mauritanie a "choisi" la démocratie à l'occidentale comme modèle d'exercice du pouvoir. Je dirais même que cette gouvernance nous a été imposée par ce qu'on appelle la communauté internationale avec la diligence des pays occidentaux, ceux-là qui détiennent les cordons de la bourse tenus par les institutions de Bretton Woods, dans le New Hampshire, près de Washington.

Aussi bien que nous aurons la paix et la sécurité jusqu'en 2029, tant mieux. La paix est avant tout la première des richesses. Ensuite la santé, l'éducation, le pouvoir d'achat, incluant l'eau, l'électricité; voilà des nécessités quotidiennes de base, pourtant à la portée de tous les gouvernements successifs. En effet la Mauritanie a un sous-sol riche en minerais, une façade maritime avec des possibilités halieutiques des plus convoitées.

Le président de la république ne peut à lui tout seul venir à bout de ce vaste chantier de développement durable. C'est le travail de toute une équipe de la base au sommet. Il est à noter que pour cela, malheureusement, le mauritanien n'a pas encore compris le sens de l'Etat moderne, la République dont le mode de fonctionnement est contraire à l'instinct tribal ou ethnique.

Autrement dit, les mauritaniens dans leur majorité pensent toujours en tribu, en communauté, plutôt que de promouvoir la notion de citoyenneté....Un immense programme qui nécessite une éducation universaliste aussi bien aux plans intellectuel que moral. Il sera difficile pour celui qui a une éducation de base mauresque, de 7 à 17 ans de diriger un Etat d'obédience jacobine.

Ainsi, je me méfie également de ceux qui passent leur temps à critiquer, et qui promettent monts et merveilles. Mais une fois au pouvoir, ils deviennent plus mauvais que leurs prédécesseurs. Il y a sûrement une ou deux exceptions, alors qu'elles se manifestent, le moment venu. Je ne suis pas adepte de l'afro-pessimisme, cependant le "doute méthodique", cartésien, n'est-il pas à l'origine de la pensée épistémique occidentale?

En attendant, qu'il me soit permis de ciseler mes "Emaux et Camées", tout en me contentant du candidat de mon choix, le président Ghazwani, et ce, jusqu'en 2029. A partir de 2027, se manifesteront certainement des candidats voulant briguer la magistrature suprême de 2029. Il y a fort à parier que l'après- Ghazwani sera très difficile à gérer, puisque cet homme a su amadouer tous les opposants, pacifier l'arène politique, adapter à son rythme l'évolution de la société civile.

C'est sa manière de gouverner et elle est efficace tant que nous avons la paix et la stabilité, auxquelles aspirent tant de nos voisins, aujourd'hui déchirés par un cycle infernal de violence. Le départ de Ghazwani en 2029 (encore 4 ans) en chef d'Etat consensuel, me fait penser déjà à la situation de l'ex-Yougoslavie après le décès du maréchal J B Tito en 1980.

Pourvu que tout se passe dans le calme et la sérénité, contrairement à l'ex-Yougoslavie, là où tous les démons de la division ont surgi pour saper l'unité des Balkans. Ghazwani aura-t-il un dauphin constitutionnel ? A sa place je serais discret et adopterais le coup de poker de l'ancien président russe, Boris Eltsine qui en s'éclipsant a choisi un homme de l'ombre, mais patriote et efficace en la personne de Vladimir Poutine, pour le grand bien de la Russie.

Et voilà que l'Histoire n'aura pas démenti Boris Eltsine en choisissant Vladimir Poutine pour redorer le blason de la grande Russie. Le problème pour un président, ce n'est pas son entrée fracassante au palais, mais plutôt sa sortie calculée, mesurée, ne permettant aucune perméabilité qui puisse aboutir après son départ à une situation ingérable.

Le cas de l'ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz illustre bien cette assertion. Souvent devant les portiques de l'Histoire, le seul conseiller d'un président sortant, c'est le président lui-même. De l'épitaphe glorieuse inscrite sur le tombeau et les paroles flatteuses au berceau, il faut savoir choisir. Car en toute chose il faut considérer la fin.

Promu au grade de lieutenant le 1er septembre 1985, je suis muté au sous-groupement statique basé à Zouérat, commandé par le capitaine Lemrabott Ould Sidi Bouna. Lemrabott avait pour adjoint en cette période le lieutenant Boy Alassane, un officier très compliqué et imbu de sa personne. Plusieurs militaires maures croient que le comportement souvent inapproprié de certains officiers négro-mauritaniens, très nerveux d'ailleurs est symptomatique d'un racisme à leur égard.

Pas du tout, cette stature caractérielle, le lieutenant Boy Alassane l'étend à tout le monde, y compris ses propres parents noirs. Un jour, j'avais une situation à clarifier auprès de ce fameux lieutenant Boy Alassane. Je suis arrivé et me suis mis au garde à vous en lui présentant les papiers. Sans même me regarder et avec dédain, il me fît signe de la main de...dégager; j'étais tellement furieux que j'ai commencé à le traiter de tous les noms d'oiseaux.

Pourtant il n'en a pas fait un cas, sachant peut-être qu'il était allé trop loin. De Zouérat, me voilà au PC de Fdérik, à la SOI ( section opérations, instructions), commandement direct de l'adjoint opérationnel, le capitaine Abderrahmane Ould Boubacar, lui-même coiffé par le colonel Sidiyé Ould Yehyé. Un beau jour Abderrahmane me convoqua à son bureau pour me notifier que je dois m'occuper de la reforme du matériel à laquelle la 2ème région veut procéder.

Il y avait plusieurs véhicules land-rover, auxquels ne manquaient que les pneus ou la batterie pour démarrer. Quant aux camions 19/24 ou 11/13, ils étaient directement gérés par le cdt de région, et vendus en majorité au sénateur, feu Ould Boulé. Un proche m'a conseillé de prendre moi-même une land-rover à bas prix afin de la revendre. C'était pour la première fois de ma vie de mettre dans la poche de mon boubou une somme de plus de 100 000 MRO.

b/ La campagne Bir Moghrein:

La 2ème région militaire était une école, tous les militaires qu'y ont travaillé, auront trouvé une expérience sans commune mesure. Arrivé à Bir comme commandant d'un escadron du sous-groupement 21, on m'achemina aussitôt au nord-ouest de la ville sur l'un des nombreux points de passage du Front Polisario, à Lemnéa. J'avais comme adjoint le lieutenant Traoré Siguino et nos soldats étaient aguerris, heureusement pour l'ensemble.

Ils connaissaient les consignes par cœur. J'avoue que ma mission était floue car elle consistait à laisser passer les convois du Polisario allant de Rabouni vers le sud ou vis versa, mais aussi de répertorier le nombre de véhicules et de combattants, en évitant tout acte hostile qui pourrait aboutir à une crise ouverte entre la Mauritanie et la république Arabe Sahraouie démocratique(RASD).

Un jour du mois d'Août 1986, au petit matin un convoi exceptionnel est passé direction Mijec, vers le sud. Le chef de l'unité combattante, est un certain Ould Ahmed Aiché qui est venu me voir en personne, d'abord pour me saluer ensuite demander la permission formelle de passer. Si ma mission était de les freiner, je n'en avais pas la possibilité, puisque leur arsenal, leurs moyens de transport de troupes étaient beaucoup plus performants et variés que les nôtres.

C'était du temps de Maawiya et notre Armée n'avait pas les moyens susceptibles de contrer la menace venant d'un élément terroriste de faible amplitude, à plus forte raison d'un Front de Libération soutenu par la grande Algérie. La même nuit et du côté du mûr marocain, vers Aidiyatt, une attaque d'envergure perpétrée par le Polisario eût lieu contre les troupes marocaines.

Toute la garnison de Bir Moghrein a été mise en alerte et les gens croyaient que c'est notre position à Lemnéa qui avait été attaquée, tellement les feux étaient nourris et semblaient si proches. De mémoire de combattant, les supplétifs, les habitants de Bir ont affirmé qu'ils n'avaient jamais vu un tel déluge de feu, même pendant toute la guerre du Sahara. Dans cette zone, à partir de 18 heures, les communications radio deviennent impossibles pour cause d'interférences.

En tout cas personne n'était venue nous secourir ce soir là, puisque la garnison de Bir Moghrein était persuadée que c'était notre position qui avait été attaquée. La bataille a commencé vers 22 heures et a pris fin vers 4 heures du matin selon le chef de poste, à qui j'ai donné les consignes de me réveiller si toutefois les tirs se seraient rapprochés de trop près de notre position.

Moins d'une semaine , je suis muté comme commandant d'une brigade d'élèves officiers de première année à l'Emia d'Atar (1986-87). Je devrais passer les consignes de l'unité à mon adjoint Traoré Siguino, une après-midi de fin Août, ensuite passer la nuit à Bir et le lendemain fouler le sol d'Atar. Ce qui fût fait.

J'étais accompagné du lieutenant Mohamed Yeslim Ould Amar, un excellent officier que j'ai connu depuis 1982 à Kaédi, à sa sortie de l'Emia d'Atar et qui a été radié de l'Armée avec ceux qu'on a appelé les "baathistes". En 1986 à Atar, deux futurs présidents faisaient leur Cpos (cours capitaine) à l'Emia d'Atar.

Il s'agit des inséparables Mohamed Ould Abdel Aziz et de Mohamed Ould Cheikh Ghazwani. La brigade, composée également de futurs chefs de corps tels Mesgharou Ould Sidi, de Mohamed Cheikh dit Bourour et tant d'autres officiers de valeur, était commandée par le capitaine Lemrabott Ould Sidi Bouna. /

A suivre inch'Allah, 8ème épisode.

ELY SIDAHMED KROMBELE, FRANCE





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Source : Ely Krombele
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