22-05-2017 22:30 - Maryam Brodowski rencontre… : Le docteur Mamadou Ibra Sy
Le Quotidien de Nouakchott - MB : Docteur Sy merci de nous consacrer le temps nécessaire pour faire connaître le mieux possible à nos lecteurs votre personnalité et l’ampleur de votre passion « L’Egyptologie » !
Avant de nous focaliser sur elle, je vous serais infiniment reconnaissante de bien vouloir vous présenter car, vous êtes loin d’être un inconnu pour une génération déjà très établie en Mauritanie mais je pense que le lien avec les plus jeunes a besoin d’être tissé, ou tout au moins consolidé !
Vous êtes, si mes renseignements sont exacts mauritanien, né en Mauritanie, très attaché à votre pays et soucieux de son devenir. Vous l’avez quitté, on ne peut pas dire de votre plein gré, il y a déjà presque 30 ans ! Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer un peu votre parcours ?
Dr. SY : Merci infiniment, Maryam pour cette opportunité ! Vous avez parfaitement raison et vos sources sont très fiables. Je suis mauritanien d’origine, né à Kankossa dans le sud-est du pays, où mon père fut, pendant des années, le chef de la Brigade des Douanes. J’ai commencé mon cursus primaire à Ould Yenje avant de le poursuivre à Kankossa et plus tard à Kiffa.
Lorsque mon père fut arrêté a Kankossa et transféré à Kiffa, je le rejoignis en détention dans cette ville et nous y restâmes jusqu’au jour de notre déportation vers le Sénégal au mois de juin 1989. Grâce à la générosité du peuple sénégalais et des populations de Bakel, j’ai pu poursuivre mes études au CEM Waounde N’diaye de Bakel puis au Lycée Mame Cheikh Mbaye de Tambacounda.
Après mon bac en 1993, je me suis inscris au département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar où j’ai obtenu mon DEA et je me suis inscris en doctorat d’égyptologie sous la direction de Pr. Aboubacry Moussa Lam. Entre temps, c’est un autre exil forcé qui m’amena aux Etats-Unis, et plus précisément dans l’Etat de Virginie.
En 2010, je suis retourné au Sénégal pour soutenir ma thèse et obtenir le titre de docteur ès Lettres en égyptologie, devenant ainsi le premier mauritanien à arborer ce diadème. Aux Etats-Unis, en plus de mes recherches et de mes activités politiques, j’ai rejoins une organisation humanitaire qui œuvre pour le bien être des refugiés de par le monde et les assiste à panser leurs plaies et à saisir les opportunités qu’offrent l’Amérique. Voilà en résumé mon parcours.
MB : Une phrase un peu troublante pour moi dans votre parcours, vous parlez d’un autre exil forcé? Si la question est trop indiscrète bien entendu je la retire !
Dr. Sy : Elle est nécessaire cette question, très nécessaire même je dirai et surtout pour celui qui veut comprendre notre histoire, l’histoire récente de la Mauritanie.
Comme j’ai l’habitude de le dire, l’histoire d’un pays ou d’un peuple ne doit pas simplement être réduite à une compilation de ses succès ; l’histoire d’un pays ou d’un peuple c’est aussi la somme de ses échecs. Voilà pourquoi un peuple ne peut forger son avenir en niant des pans entiers de son passé.
Mon exil est certes une fenêtre de ma vie, mais elle s’ouvre sur la cour de l’histoire récente de notre pays. Et vous savez, la trajectoire de cette histoire récente de notre pays n’est pas linéaire. Mon premier exil est à inscrire dans cette trajectoire. J’ai été déporté avec ma famille et comme des milliers d’autres Mauritaniens suite aux événements sénégalo-mauritaniens de 1989. Et depuis mon départ de la Mauritanie en juin 1989, je n’ai pas remis les pieds sur aucune portion du territoire.
Le deuxième exil résulte lui de notre décision de ne pas rester les bras croisés au Sénégal. Au pays de la Teranga, nous avons choisi de continuer à dénoncer le régime dictatorial en Mauritanie, aussi bien dans les médias locaux qu’internationaux.
Au départ, cette campagne de dénonciation était tolérée par les autorités sénégalaises même si de temps à autre, on nous mettait des bâtons dans les roues. Mais, quelques années plus tard, lorsque les relations diplomatiques entre les deux pays s’améliorèrent, aussitôt, au banquet de la Teranga sénégalaise, nous sommes devenus de trop, pour paraphraser Charles Darwin. Le choix auquel nous faisions face était simple : le silence ou l’exil. Et puisque nous sommes allergiques au premier, le second était la seule option qui demeure.
Nous primes les airs et pour des aires nouvelles (rires)
MB : Vous dites avoir rejoint votre père en détention… De votre plein gré … Ou s’agissait il pour le pouvoir de l’époque d’une façon un peu perverse de regrouper votre famille ?
Dr. Sy : Lorsque mon père était en détention à Kiffa, je lui rendais visite deux fois dans la journée ; le matin avant d’aller au collège et le soir avant de rentrer à la maison. Et lors de ma dernière visite, on m’a convoqué dans le bureau du Commissaire de la police pour m’informer que les prisonniers n’allaient plus avoir de visites à partir de ce jour.
J’étais accompagné d’un ami et camarade de classe, Bakary Oumar Diallo, lui aussi de Kankossa ; nous vivions également ensemble chez la même personne à Kiffa. On m’a alors demandé de choisir entre ne plus voir mon père et le rejoindre en détention. J’ai fait le choix le plus simple : rejoindre mon père et ses codétenus.
Je remis mes cahiers et mes livres à mon ami Bakary, il me passa la chemise qu’il portait sur lui et j’ai commencé mon séjour carcéral ; j’avais 17 ans. Malheureusement pour moi, les examens de fin d’années devaient commencer quelques jours plus tard ; c’est en détention, que j’ai fait mes examens.
Chaque matin, l’adjudant chef Oumar Diarra me donnait l’autorisation d’aller faire les examens et à la fin de la journée, je rejoignais mon père dans notre nouvelle demeure. Ces sorties quotidiennes prirent fin le jour du dernier examen.
C’est donc en détention qu’on m’informa que j’avais réussi à mes examens. Nous restâmes à Kiffa en détention pendant encore quelques semaines avant notre déportation vers le Sénégal, à Bakel plus précisément. Bakary et sa famille furent déportés quelques mois plus tard vers Madina Njaacbe, au Sénégal. Nous ne nous sommes jamais revus depuis Kiffa.
Est-ce une façon un peu perverse de regrouper notre famille ? Peut-être mais si telle était l’intention, elle n‘a pas totalement donné ses fruits. En effet, seule une partie de notre famille, celle qui était à Kankossa, a été déportée. Les autres ont « échappé ».
Mon père avait insisté pour que je ne le rejoigne pas en détention mais j’étais trop proche de lui pour obtempérer cette fois-ci (rires). Les semaines passées ensemble et en détention étaient pénibles mais elles m’ont permis aussi de découvrir son courage et de le connaître davantage. Donc je ne regrette pas mon choix.
MB : Pénibles sous quelle forme ? Comment étiez-vous traités ?
Dr. SY : Tortures physiques, non ; tortures pschychologiques, c’était la routine. Mon entêtement n’a pas aidé non plus surtout depuis que j’ai refusé, en signe de protestation, de ne plus jamais me lever pour la cérémonie quotidienne de levée des couleurs nationales.
Au départ, nous étions un groupe de 16 individus ; j’étais le plus jeune. Chaque jour, ils en prenaient un pour un sort que nous ignorions. Au bout du compte, nous étions, mon père et moi, les seuls à demeurer dans le centre de détention. Plus tard, au Sénégal, nous avons pu retrouver un de nos codétenus, j’ignore encore le sort des autres.
MB : Que vouliez-vous devenir quand vous étiez enfant ? Déjà passionné d’histoire ? Ou vos rêves vous poussaient ils dans une autre direction ?
Dr. Sy : Je vais rendre à César ce qui appartient à César et à mon père ce qui lui appartient. C’était un avide de l’histoire et des généalogies africaines. Il n’existe pas au Fuuta une famille ou une personne dont il ignorait la généalogie. Mieux, il était un fin connaisseur des généalogies réelles et de celles qui ont été forgées de toutes pièces.
Sa curiosité intellectuelle était telle qu’il s’entourait toujours des spécialistes du Fuuta, des grands orateurs, des traditionalistes, des griots etc. Il était l’ami des hommes comme Mamadou Samba Diop « Murtudo », Yero Aljumaayel Samba Koorka, Suubee Hammadi Saadio, Saidou Ba, Thiaane Kinti, Dengere Ba, Geelel Ari Kooka, Samba Gaysiri, Amadou Penda Hapsa, etc… Tous plus âgés que lui.
Nombreux étaient les griots du Fuuta qui venaient vérifier auprès de lui certains faits historiques ou apprendre des généalogies en secret. Mieux encore, il n’existait pas un genre musical peul ou manding dont il ne connaissait pas l’origine et le contexte historique. Il était aussi un fin interprétateur de rêves, un pasteur, un botaniste, etc.
Bref, un vrai Peul. Très jeune, j’ai donc appris, sous son ombre, à faire la distinction entre les versions officielles et les versions « monétaires » de l’histoire du Fuuta et de l’Afrique. Pour ceux qui ont eu la chance de le côtoyer, l’homme était une bibliothèque au sens hampathéen et moderne du terme. Malheureusement cette bibliothèque a été brûlée lors du saccage de notre maison à Kankossa.
C’est dans sa bibliothèque que j’ai lu, très jeune, Marcel Pagnol, Djibril Tamsir Niane etc. Mais je dois avouer que mon rêve était de devenir un docteur dans le domaine médical. Je voulais être un docteur et soigner les hommes. Au lieu de cela, je suis devenu un docteur qui soigne l’histoire des hommes (rires) par l’égyptologie.
MB : Magnifique héritage que votre père vous a laissé… Et le « virus » de l’Egyptologie, vous a attaqué quand ?
Dr. Sy : Très tôt, et au hasard de mes recherches, je suis tombé sur « Nations Nègres et Cultures » de Pr. Cheikh Anta Diop; j’étais en première année au département d’Histoire de l’UCAD.
Si mon souvenir m’est fidèle, je n’ai déposé le livre qu’après l’avoir parcouru de bout en bout, les tomes 1 et 2 de l’Edition de 1979. J’ai compris alors que l’on ne peut pas prétendre étudier et comprendre l’histoire de l’Afrique et du monde en limitant aux portions visibles et enseignées de celle-ci.
L’égyptologie offre la voie la plus sûre et la plus complète pour étudier la coulée temporelle de l’humanité historique. J’ai commencé par l’étude de la religion, puisqu’elle est le fondement de la pensée égyptienne, puis l’épigraphie pharaonique comme moyen de déchiffrer l’écriture de l’Egypte ancienne. Cette formation de base a été assurée par les Prs. Aboubacry Moussa Lam et Babacar Sall. Depuis, le virus ne m’a pas quitté.
MB : L’Egyptologie d’après le peu (très peu) que j’en connais, me semble une science encore loin d’avoir livré ses secrets… A votre avis, seront-ils un jour tous percés ?
Dr. SY : Je suis de ceux qui pensent que l’Egypte ancienne n’a pas fini de nous livrer ses connaissances. La question majeure est sans doute, sommes-nous mieux outillés aujourd’hui pour lire, déchiffrer et comprendre ce qu’elle nous livrera ? Je pense que oui ! La démocratisation de l’égyptologie a poussé aujourd’hui beaucoup de jeunes chercheurs à s’intéresser à la matière et j’ose penser que s’ils persistent dans ce domaine, leur apport sera riche et constructif.
Cela permettra d’apporter des réponses aux questions qui continuent de nous intriguer. Mais toute tentative de lire et de comprendre l’Egypte ancienne doit certainement et surtout passer par le recours aux civilisations africaines post-pharaoniques. Autrement, ce serait comme vouloir lire le Chinois en utilisant l’alphabet Espagnol.
MB : Qu’apporte l’Egyptologie aux peuples africains et bien entendu aux autres ? Dr. Sy : L’égyptologie permettra de réconcilier l’Africain avec son passé. Elle permettra d’établir un rapport historiquement positif et vrai entre l’Africain et son passé.
Ce qui constitue, à mon avis, la rampe de lancement de tout développement humain. Et lorsque l’Afrique se réconcilie avec son passé, c’est l’humanité toute entière qui y gagne. En effet, en privant l’Afrique de son histoire, les idéologues de la pensée coloniale ont aussi privé l’humanité de l’une des phases les plus importantes et les plus riches de son histoire.
MB : La conférence sur l’Egyptologie qui doit avoir lieu le 14 Juin 2017 au Musée National, devrait apporter beaucoup aux jeunes générations, qui d’après ce que je constate sont très réceptifs à ses messages… Est-ce aussi votre constatation ?
Dr. Sy : Il a fallu attendre 182 ans pour que la Mauritanie ait son premier docteur en égyptologie en 2010 ; c’est une très longue attente. Notre souhait est de réduire cette échelle temporelle à des proportions plus raisonnables. Pour cela, il faudra susciter l’intérêt en la matière. Une récente publication de Yale Daily News montre qu’on assiste à un engouement renouvelé pour l’étude de l’Histoire à l’Université de Yale.
Dans cette institution, l’Histoire était la matière la plus prisée jusqu’au début des années 2000 avant qu’elle ne connaisse un certain déclin. Donc nous voulons que cette conférence serve à encourager les jeunes à étudier l’histoire et pour certains, à se spécialiser en égyptologie. Pour cela, ils doivent comprendre ce qu’est l’égyptologie.
Et pour ceux qui veulent se lancer sur cette piste, l’école de Dakar est une référence. Au-delà des étudiants, nous voulons aussi que tout participant à cette conférence en sorte déterminé à étudier l’égyptologie et surtout à lire des ouvrages sur les relations entre la vallée du Nil et le reste de l’Afrique noire.
Voilà pourquoi nous tenons à cette conférence et voilà aussi pourquoi nous voulons qu’elle se tienne en Mauritanie, grâce aux contributions des Mauritaniens, des Mauritaniennes et de tous ceux qui aiment ce pays. Nous comptons sur eux et sur leur générosité pour tenir cette conférence et réaliser ce rêve.
Il faut rappeler ici que l’espace géographique mauritanien a joué un rôle essentiel dans les mouvements migratoires africains. Cet espace a éte le berceau de plusieurs expériences étatiques et le centre de distribution des populations africaines. Donc c’était logique de choisir la Mauritanie pour rappeler ces faits historiques et pour rappeler aussi l’importance de l’unité culturelle de l’Afrique. Cette unité culturelle peut et doit constituer le socle de l’unité politique nécessaire pour l’édification d’un Etat de droit.
MB : Votre conférence qui doit se tenir sur une soirée, ne fera de vos participants des « égyptologues » bien entendu, mais ouvrira pour beaucoup une fenêtre sur cette science… Pensez-vous arriver à leur donner le désir d’ouvrir leur esprit à une connaissance plus approfondie ?
Dr. Sy : Les pyramides égyptiennes n’ont pas été construites en une soirée (rires). Bien sur notre objectif n’est pas de former des égyptologues en une soirée ou en une année ; ce serait une tâche « narmerienne » ou même « osirienne ». Notre objectif est plutôt de susciter en ces jeunes cette curiosité intellectuelle et scientifique de « Thot », curiosité nécessaire pour poser les premiers jalons de la future pyramide égyptologique en Mauritanie. Tel est notre objectif à ce stade du processus d’initiation.
MB : Vous allez rentrer après la conférence aux Etats-Unis et vos collègues au Sénégal… Vous aurez semé les graines d’un savoir, même d’une passion pour certains, avez-vous un fil conducteur à leur offrir pour faire germer ce que vous leur avez apporté ?
Dr. Sy : Je pense que notre position est moins difficile que celle de nos prédécesseurs. En effet, alors que Cheikh Anta Diop devait édifier tout à partir de rien, nous, nous devons ajouter une brique ou une rangée de briques à l’édifice égyptologique africain. En fonction de la réponse des populations, nous pourrons progresser vers une pérennisation de cet événement en une rencontre annuelle.
Apres la conférence égyptologique--ou comme je l’appelle-- le « ndëpp égyptologique de la Mauritanie», la responsabilité primaire est d’abord et surtout à un niveau individuel. Chaque jeune qui aspire à devenir un égyptologue doit consacrer énormément de temps et d’abnégation à cette matière.
Nos autorités politiques et académiques doivent motiver cet élan et se rapprocher de l’Université Cheikh Anta Diop pour forger un partenariat qui permettra aux égyptologues sénégalais ou des autres pays de venir former nos futurs égyptologues ici, en Mauritanie.
Ces autorités peuvent aussi donner des bourses aux étudiants mauritaniens qui aimeraient faire le déplacement à Dakar ou partout ailleurs dans le monde pour étudier cette matière. La technologie actuelle permet aux chercheurs et aux enseignants de donner des cours à des milliers de kilomètres. Il faudra certainement explorer cette piste aussi car l’agora grecque est aujourd’hui virtuelle.
Dans tout cela, je pense, modestement, que ma position de trait d’union (Mauritanien d’origine, formé à Dakar et vivant à l’étranger) peut servir de facilitateur dans ces démarches. Mais la sève nourricière de tout cela est une volonté politique.
MB : Nous pourrions continuer pendant des heures à développer ce thème, mais toutes les plus belles choses et les plus intéressantes rencontres doivent laisser le public sur sa faim.
Il me reste à vous remercier infiniment pour le temps que vous avez bien voulu consacrer à donner une petite vision de votre grand savoir ! J’espère que vous réussirez dans cette belle mission qui apportera beaucoup à nos compatriotes et que nous aurons l’occasion dans les années qui viennent d’approfondir nos connaissances, de nous entretenir sur les pharaons, la vallée des rois, celle non moins intéressantes des reines et d’apprécier toutes les beautés historiques et artistiques que nous offre cette Egyptologie !
De tout cœur encore une fois merci et donc à bientôt !
Dr. Sy : C’est moi qui vous remercie !
Maryam Brodowski