19-03-2018 01:00 - Mohamed Vall El Bennani : Le doyen de nos diplomates
Le Calame - Août 1960, locaux de l’ambassade de France à Beyrouth au Liban. Un cinquantenaire d’apparence maghrébine se tient assis dans un bureau. Fixant le portrait du président français de l’époque, le général de Gaulle, épinglé au mur, il le contemple un moment, puis se lève, décroche le cadre et le range dans une armoire.
Le lendemain, il emmène sa propre photo, joliment cadrée, et la fixe sans tarder à la place du portrait présidentiel. Informé, son Excellence l’ambassadeur le convoque en son bureau, pour avoir des explications de la bouche même de celui qu’il considère en subordonné.
L’homme l’écoute attentivement, avant de répondre. « Excellence, je vous rappelle que je ne suis pas citoyen français. Je vous remercie d’avoir accepté d’abriter notre bureau, dans les locaux de votre respectable ambassade.
Mais vous devez apprendre, si ce n’est déjà fait, que nous sommes désormais une nation autonome qui ne dépend plus de votre pays. Ce bureau fait partie du territoire mauritanien, tant qu’il est à notre disposition »…
Premier ambassadeur
Le président Mokhtar, qui avait été Informé, à son tour, par le quai d’Orsay, arrangea l’incident, tout en félicitant discrètement son représentant au Moyen-Orient.
Cet homme, c’était Mohamed Vall El Bennani, père de la diplomatie mauritanienne. Natif du Trarza, il s’était fait accréditer, par le gouvernement autonome mauritanien, auprès des pays arabes du Moyen-Orient et du Golfe qui soutenaient la thèse marocaine considérant notre pays, lors de son accession à l’indépendance, comme partie intégrante du royaume chérifien, et ne le reconnaissaient pas du tout notre statut national.
Le président Ould Daddah avait alors demandé, au gouvernement français, de mettre un bureau à la disposition de notre diplomate fraîchement sortie d’une formation diplomatique dans un institut parisien.
Par sa détermination, son savoir-faire et son capital de relations, El Bennani fit connaître son pays naissant à des nations qui ignoraient son existence même et les emmena à le reconnaître, au grand dam du puissant Maroc qui qui avait usé de tous les moyens pour l’en empêcher.
Il avait mené une campagne sans merci, dans ce bureau de l’ambassade de France au Liban, pour que notre pays soit reconnu, en tant que nation, par ses frères arabes. Résidant à Beyrouth entre 1960 et 1961, il se lia d’amitié avec nombre de personnalités politiques, penseurs et intellectuels du Machrek arabe.
Ces sympathisants à notre cause posaient la réalité de l’existence de la Mauritanie, au niveau de l’opinion publique arabe. Lors du Sommet de la ligue arabe tenu, à cette époque, à Chtoura au Liban, notre diplomate chevronné réussit à accéder à la salle de conférences, malgré les efforts de la diplomatie marocaine visant à l’en empêcher.
Il n’y avait pu obtenir place qu’au rang réservé aux femmes. Certains participants s’en moquèrent, il répondit simplement : « les femmes de cette salle sont meilleures que les hommes ». Cela choqua et permit, à notre représentant d’atteindre son but : faire parler de la Mauritanie.
La polémique posait la question de son existence officielle, pour beaucoup d’acteurs politiques et leaders arabes. Nombre d’entre eux s’y intéressèrent et plusieurs pays, à l’instar de l’Arabie saoudite et de la Tunisie, ne tardèrent pas à la reconnaître.
Mohamed Vall Ould Ahmed Ould El Bennani naquit aux environs de Taguilalet le 5 Mai 1906. Il commença à étudier le saint Coran à l’âge de six ans. Après l’avoir assimilé en totalité, il côtoya beaucoup d’érudits, dont le fameux Elemine Ould Sidi, pour s’imprégner du fiqh et de la littérature arabe qu’il assimila, à leur tour, en un temps record, sans que s’éteigne, pour autant, sa soif de savoirs.
Devenu fonctionnaire à Boutilimit, Moval, comme l’appellent ses proches, passait, de temps à autre, prendre cours chez le célèbre érudit Abdallahi Ould Daddah. Durant son séjour à Boghé, il étudia, également, auprès du cadi boghéen, Amadou Moctar Sakho.
Ould El Bennani avait auparavant rejoint l’école primaire, à l’âge de seize ans, malgré le tabou que les familles maraboutiques posaient à l’encontre de l’école française. Heureusement pour lui, c’est son oncle maternel, infirmier vétérinaire, qui l’avait dirigé en ce sens.
Après quatre ans d’études primaires à l’école des fils de chefs de Boutilimit, il avait obtenu son certificat d’études. En 1926, il entre au collège du lycée Blanchot de Saint-Louis dont il sort instituteur français, en 1928. Mederdra fut son premier et bref poste.
Muté à Boutilimit, il y passe quelques années, enseignant dans l’école où il avait été lui-même enseigné. En 1930, il a l’opportunité d’assister à un événement important : l’intronisation de l’émir résistant du Trarza, Ahmed ould Deïd. Cela marquera sa vie.
Durant ces journées inoubliables, El Bennani et son ami poète-historien, Mokhtar Ould Hamidoune, ne quittent pas le nouvel émir, veillant tard la nuit à l’écouter conter ses aventures guerrières…
En 1931, le jeune enseignant est muté à Boghé, comme directeur d’école. Puis à Aleg où il fait connaissance de deux célèbres hommes du Brakna : le cadi Lemhaba Ould Taleb Imigine et Cheikh Ahmed Abou el Maaly.
De nouveau nommé à Boutilimit puis à Mbout, il y reçoit la visite d’un inspecteur d’académie. Dans son rapport, celui-ci évoque « un jeune homme qui maîtrise bien la langue française, bien qu’il ne cache point sa haine envers les Français. »
Nouvelle mutation à Aleg, cette fois, en qualité d’interprète. Suit une période à Akjoujt, avant d’être nommé agent du Trésor à Saint-Louis puis à Rosso-Mauritanie. Dans cette ville, Il est l’agent payeur de la bourse d’études du futur fonctionnaire international, Mokhtar Mbow, alors élève au collège de Rosso…
Moval est ensuite muté à Kiffa puis Mederdra qu’il quitte en 1958. L’année suivante, il est envoyé en France pour suivre les études diplomatiques évoquées tantôt. C’était lui qui proposa le nom de la future République Islamique de Mauritanie qui plut à tout le monde et fit consensus alors qu’on était au bord d’un grave désaccord.
Les nationalistes arabes optaient pour République Arabe de Mauritanie ; les négro-africains pour République Africaine de Mauritanie. Un troisième groupe exigeait République Chinguittienne. Le génie de Moval fut de se concentrer sur le vrai élément unificateur de la Nation naissante : l’islam et sa proposition fut aussitôt entérinée par tout le monde.
Mokhtar Ould Hamidoune composa un poème à ce sujet, mélange d’arabe et de français. Après l’indépendance, Ould El Bennani fut agréé comme ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Mauritanie à Beyrouth, pour couvrir le Moyen-Orient et les pays du Golfe.
Conseiller politique et diplomatique
En 1962, Il accomplit le pèlerinage à la Mecque. Au moment précis où se tenait la conférence fondatrice de la Ligue du monde musulman. Il demanda alors, à son chef de délégation, un ministre, d’assister à cette importante conférence au nom de la Mauritanie.
Il fallait à tout prix, insistait-il, que notre pays soit membre fondateur de la nouvelle organisation. Ledit ministre lui répondit que c’était impossible, sans l’aval du Président. Mais les communications étaient alors inexistantes, entre les deux pays.
Impossible de joindre le Président dans les temps. Aussi Moval prit-il l’initiative d’assister à la conférence au nom de la Mauritanie. Il fut aussitôt désigné secrétaire de séance, au simple constat de ses capacités en Arabe littéraire et théologiques. Voilà comment la Mauritanie se retrouva membre fondateur de la ligue.
Lorsque le président Mokhtar apprit la nouvelle, il félicita chaudement Ould El Bennani avant de le nommer, quelques mois plus tard, conseiller politique et diplomatique à la Présidence, jusqu'à sa retraite en 1967. Depuis, Moval ne cessa de se consacrer à la Ligue du monde islamique qui l’accrédita ambassadeur en Mauritanie, avec le rang de chef de mission diplomatique.
Sa Land Rover châssis court, immatriculée en CD, passa des années à sillonner les pistes difficiles, transportant gratuitement les pauvres, les malades et les élèves de tout le Trarza vers Nouakchott, Rosso et le Sénégal.
Un jour, des gendarmes de la brigade de Mederdra pénètrent dans l’enceinte de la maison du vieux diplomate à Taguilalet, à la recherche d’un jeune contre lequel un autre porte plainte. Moval pique grande colère. « Vous n’avez pas le droit de pénétrer dans cette concession, c’est la résidence d’un chef de mission diplomatique. Ha, ça, vous allez voir ! »
Les gendarmes ne donnent aucune importance aux propos du vieil homme. Bien à tort car, dès le lendemain, l’état-major sanctionne les deux gendarmes et leur chef. Le wali et le hakem viennent alors présenter, en personne, les excuses au doyen.
C’est aussi lui qui convainquit Ould Daddah de programmer son village Taguilalet, lors de la fameuse visite de Juin 1968, un mois après les événements de Zouerate. En 1987, Moval prit sa retraite de son dernier poste de représentant de la Rabita Islamique mondiale, pour se retirer chez lui, à Taguilalet, et se consacrer à ses manuscrits et ouvrages.
En 1990, il entre en coma et des médecins certifient son décès. Faux diagnostic puisqu’il vivra encore six ans en bonne santé, après cette fausse alerte qui inquiéta tant de gens dont il était le bienfaiteur. Un de ses amis déclara, plus tard, que « les six années survécues, après sa mort déclarée, furent le bonus que lui accordaient ses nombreuses charités. »
Le 5 Octobre 1996, Mohamed Vall El Bennani décède à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Il est enterré entre les siens, au cimetière de Boir, au Nord-ouest de Taguilalet. Avec sa disparition, une page de l’histoire contemporaine du pays s’est tournée.
Salman Ould Moctar