18-07-2020 08:29 - Abdelkader Ould Mohamed : Les leçons d’un certain parcours
Adrar-Info - Raconter sa vie pourrait être, à priori, perçu comme un genre literaire des plus ordinaires car toute vie humaine, si extraordinaire soit elle, contient une part de banalité, à laquelle seuls les prophètes ayant le statut de l’infaillibilité sont censés échapper.
Mais il arrive, souvent, que les récits autobiographiques de certains auteurs se presentent aux lecteurs soucieux d’apprendre et /ou de comprendre, sous forme d’un mémorable cahier de leçons.
Une vielle histoire des gens des tentes ( tarikh Ahl lekhiam )
C’est en tout cas la première impression que j’ai eu en remontant «un certain parcours» de Monsieur Ahmed Kelly Ould Cheikh Sidiya ..
En effet , l’une des premières leçons que j’ai révisée en lisant ce récit assez bref mais , indéniablement, instructif tient à une vielle connaissance que j’ai eu depuis ma propre enfance du milieu familial à propos duquel l’auteur, que je n’ai pas eu l’honneur de connaître, parle dans son livre.
Encore enfant j’avais de ce prestigieux milieu une haute idée ..façonnée par les inoubliables récits de ma grande tante et Maman Mahjouba fille de L’erudit Abdel wedoud ould Ntahah ami et partisan de Baba ould Cheikh Sidiya.
Par elle je savais presque tout sur la glorieuse vie du personnage central du récit , Abdu Allah ould Cheikh Sidiya et , notamment, sur la fascinante influence amicale qu’il a eu à exercer sur les familles smacid qui ont émigré de l’Adrar dans la décennie des années 40.
Aussi , je n’ai pas été surpris d’apprendre par l’auteur que ces vaillants émigrés ont tenté d’implanter une palmeraie à la porte du désert muet , précisément, au alentours du puits du salut ( Ain salama ).
Dans l’histoire du village qui porte le nom de ce puits et qui meuble , en grande partie, le récit du narrateur , j’ai eu à relire une belle leçon tenant à l »histoire des gens des tentes ( tarikh Ahl likhiam ) laquelle histoire constitue en soi un tableau de la société Maure traditionnelle.
Il s »agit , certes , d’un vieux monde qui s’enfonce de plus en plus dans le temps mais qui, après tout , fait partie , de notre histoire, celle de la Mauritanie.
De toute manière, le tableau qui m’est familier et dans lequel mon propre milieu familial maraboutique est représenté , jusqu’au bout des ongles, par les érudits Mohamed Ali ould Addoud et Sidi Mohamed ould Dadah cités par l’auteur, se lit, en outre, comme l’histoire d’une vielle école que le sage Abdu Allah a essayé, avec un succès inégalé , d’institutionnaliser.
L’ épopée de ma’had ( institut) de Boutilimit
Sur ce point, j’ai éprouvé, en lisant le livre de Monsieur Ahmed Kelly, le secret sentiment que le pouvoir politique de l’État- Nation a commis une irréparable erreur en procédant à la fermeture de l’institut de Boutilimit.
Je suis d’autant plus porté à le croire que j’ai été parmi les premiers élèves du collège moderne qui a été installé dans les bâtiments de l’institut dissout.
Le Ministère avait, pour l’occasion, décidé d’orienter les admis au concours d’entrée en Sixième du centre d’Akjoujet vers Boutilimit.
Quelle fut la joie de mes parents quand ils apprirent que j’avais parmi mes professeurs , Ahmed ould Mouloud ould Daddah pour la langue arabe, Mohamed yahya ould Addoud pour le fiqh et Ishak ould Mohamed ould Cheikh Sidiya ( cité dans le livre ).pour les sciences du coran.
Afin de préserver les emplois du personnel enseignant et autre de l’institut, les autorités nous ont, ainsi, accordé le privilège inespéré d’ avoir de cours spécifiques avec les grands Maîtres de la vielle école.
Mais comme l’auteur d’un certain parcours le dit , quelque part, je pense que la dissolution de l’institut de études islamiques de Boutilimit fondé par le grand bâtisseur Abdoullah ould Cheikh Sidiya a privé la Mauritanie d’un outil de prestige qui lui aurait permis de rivaliser sans complexe avec les universités de Al Azhar, Al qairawan et zeytouniya.
A qui revient cette impardonnable faute ? Il se peut qu'on ne le saura jamais mais il n’est pas exclu qu’elle soit le résultat d’un complexe de modernité.
Un passé politique, maraboutiquement, occulté
Par-delà le complexe de modernité qui aurait été à l’origine de la fermeture insensée de l’institut des études islamiques de Boutilimit
le livre de Monsieur Ahmed Kelly apporte par ce qui y a été dit expressément, une leçon utile sur la vie d’une personnalité hors pair qui a marqué de son empreinte l’histoire de la Mauritanie.
En effet , on a tendance de nos jours ( deficit de mémoire nationale aidant ) à oublier le rôle, éminemment fondateur, que le grand Cheikh Abdu Allah ould Cheikh Sidiya a joué dans la formation du noyau de l’Etat Mauritanien dont il était, le quasi President durant la période de gestation.
Mais le livre renseigne, surtout par ce qu’il laisse entendre implicitement ou, plutôt par ce qu’il ne dit pas carrément, sur les événements d’un passé politique, maraboutiquement, occulté.
On sait davantage, désormais, par l’auteur d’un certain parcours , sur ce passé, passé sous silence, qui a été marqué par la forte rivalité politique opposant, courtoisement mais fermement, l’influent Abdu Allah au futur premier President de la République Moktar.
On en arrive à se demander si finalement la fermeture du prestigieux institut des études islamiques n’était pas une manière bien subtile d’effacer l’oeuvre du grand bâtisseur dont l’ombre continuait de gêner le père de la Nation ?
De même il n’est pas interdit de penser que le kidnapping politique de l’auteur du livre nommé à peine sorti de son adolescence à tel point qu’on le surnomma « Ministre au biberon « qui était , en apparence, un précieux cadeau offert au vieux patriarche, cachait ,en fait ,le désir, intelligemment , maîtrisé par le President Moktar de faire barrage à l’ambition de Souleymane ( jeune frère de Abdulllah ) lequel était, l’unique fils du vénérable Baba qui avait fait l’école des Nazaréens…..
Mais tout ceci se lit à travers un voile de pudeur qu ‘une certaine élite boutimitoise sait porter avec une enviable élégance.
Globalemen , le parcimonieux tome premier du parcours de son Excellence Monsieur le Bâtonnier Ahmed kelly contient les éléments d’une saga mauritanienne , pour reprendre le titre du roman "Boutilimit" de Marcel G laugel dans laquelle défilent, tour à tour, voltaire et le cadi Ismael , le General De Gaulle et l’Emir Abderahmane ould Soueid Ahmed, les chameliers du désert et les cultivateurs de la vallée ect,
et qui, de ce fait, se présente, furtivement, comme un mélange de cultures différentes tout en renvoyant une belle image tenant à la gestion de la diversité raciale et tribalo-ethnique
Mais la parcimonie est, particulièrement, ressentie quand l’auteur aborde certaines questions relatives aux Affaires de l’Etat et aux sujets, de l’histoire politique récente, qui fâchent.
Les sujets qui fâchent
A propos des sujets qui fâchent abordés dans le livre de Monsieur Ahmed Kelly,il y’a la lettre écrite le 13 mars 1948 par Abduallah ould Cheikh Sidiya à Razac.
Une lettre qui en dit long sur l’intime amitié des deux grands hommes qui, à cette époque
présidaient aux destinées de la Mauritanie.
C’était, on le sait, dans le contexte de la légendaire opposition du leader anti colonial Horma Ould Babana au projet politique de Monsieur Razak .
A ce sujet, ça fait, quelque part, plaisir de lire le témoignage sincère de l’auteur sur la clôture d’un chapitre tumultueux de l’histoire de notre pays.
Il est, effectivement ,important de signaler, pour l’Histoire, que sur un plan personnel, Abduallah n’avait aucun grief particulier contre le Za’im Ahmedou ould Horma comme il est, aussi, tout à fait, normal que celui-ci rende, à la fin de ses jours, visite à la famille de Ahl Cheikh Sidiya, en compagnie de l’érudit Docteur Mohammed El Moktar ould Bah lequel fut le premier directeur des études de l’institut des études islamiques, pour solder les comptes du passé politique tourmenté.
Une telle grandeur d’esprit devrait servir de leçon à tous ceux qui s’invectivent, actuellement, au sujet du débat bien dépassé entre les partisans de la résistance à la colonisation et les collaborateurs de celle-ci.
Une autre grande leçon de cette promenade dans le temps, résulte de la relation privilégiée que l’auteur du livre a eu avec son grand-père maternel qui fut le grand chef au temps colonial
ainsi qu’avec les différents chefs de l’État mauritanien.
Le grand commis de l’État qu’il fut a
pris le soin de bien conserver ses archives personnelles qui sont, en définitive celles de l’Etat
C’est un réel plaisir de plonger dans ces archives qui renseignement sur l’évolution du sens de l’État dans tous ses états.
J’ai, dans ce registre, particulièrement, apprécié cette lettre de haute époque, dans laquelle Cheikh Abdoullah demande à l’autorité coloniale, à être déchargé de la fonction administrative pour se consacrer à l’apostolat du chef religieux mais aussi ces images du beau vieux temps dans lequel les visages de premières élites de l’Etat national,
affichaient une remarquable sérénité.
Bien entendu, je me suis moi-même retrouvé dans les instructives notes qui ont été prises par l’auteur lors des réunions hebdomadaires du conseil des Ministres durant la période du Président Maouiya et qui me rappellent bien de souvenirs de ma propre expérience gouvernementale dans le même régime.
Au total, sur l’histoire des régimes et des Presidents de la Mauritanie, le livre de Monsieur Ahmed Kelly apporte des éclairages d’un intérêt certain sur les qualités de ceux qui nous ont gouverné.
Mais il me semble que l’intérêt capital de ce livre réside dans le regard lucide et, remarquablement, objectif que l’auteur jette sur les conditions difficiles de l’exercice du pouvoir dans un environnement marqué par la culture du parti unique. ( un thème cher à son ami Ahmed ould Sid Baba ).
En décrivant comment les laudateurs ont réussi à prendre le Président Mokhar en otage, Son Excellence le Bâtonnier Ahmed Kelly , donne, à travers la fin tragique du régime de Dadah, laquelle a inauguré la tragédie des coups d’etat, une indispensable leçon pour ceux qui gouvernent à présent et pour ceux qui auront à gouverner dans le futur.
Abdelkader Ould Mohamed