10-08-2024 15:51 - La guerre de Charr Baba revisitée

La guerre de Charr Baba revisitée

Le Calame - Le distingué écrivain marocain Farid Bahri a publié un article dans « Jeune Afrique » le 22 Juin 2024, intitulé : « La guerre de Charr Baba (1644—1674) socle de l'identité nationale en Mauritanie » (1).

L’auteur y a présenté des idées sur l'identité nationale mauritanienne, affirmant que la Mauritanie cherche à construire son identité moderne autour l’évènement susdit qui a duré sept ans dans une petite zone au Sud-ouest de la Mauritanie. Nous tenterons ici de clarifier certaines informations importantes mentionnées dans l'article en question, basant essentiellement son jugement sur l’ouvrage de l’historienne française Geneviève Désiré-Vuillemin (2).

Ces précieuses recherches auxquelles ont participé, aux côtés d’éminents chercheurs étrangers, une élite de nos meilleurs chercheurs nationaux, tels que Al-Shanafi, le docteur Jamal ould Al-Hassan, le docteur Abdel Wedoud ould Cheikh ou le docteur Mohamed Al-Mokhtar ould Al-Saad ont aidé à donner une image plus claire de cette période de l'histoire mauritanienne.

Contexte de l'indépendance de la Mauritanie

La Mauritanie a obtenu son indépendance le 28 Novembre 1960, après une résistance féroce contre le colonisateur français. Sur le plan international, cet événement fut accueilli favorablement et soutenu par des pays importants de la région, comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire et la Tunisie. En revanche, le Royaume du Maroc s'y est opposé et a réussi à convaincre la Ligue arabe d'adopter une résolution à son encontre.

Cette décision fut émise par le Conseil de la Ligue des États arabes lors de sa réunion du 23 Août 1960 à Chtoura, au Liban. La Tunisie l’a rejetée, soutenant résolument l'indépendance de la Mauritanie.

Après son succès à Chtoura, le Maroc s'est immédiatement tourné vers les Nations Unies pour tenter d'obtenir une résolution similaire. Le diplomate mauritanien monsieur Mohamed El-Salek ould Mohamed El-Amin le mentionne dans ses mémoires : « Le Maroc a réussi, deux semaines avant la proclamation de notre indépendance nationale, à inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée générale des Nations Unies un point intitulé « Le problème de la Mauritanie », dans une tentative de pression sur la France pour retarder l'annonce de l'indépendance. »

Le débat à l'Assemblée générale des Nations Unies se poursuivit du 15 Novembre 1960 au 26 du même mois sans qu'aucune décision ne fût prise. L'indépendance fut donc proclamée deux jours plus tard, comme prévu. Au cours des discussions et du vote partiel qui s’étaient tenus durant cette période, il est apparu que l'État mauritanien était largement accueilli et soutenu par la Communauté internationale.

Quant à l'intérieur du pays, l'identité nationale de l'État naissant s'est formée sur la base de la religion islamique, à travers des siècles d'histoire commune. Ce grand peuple avait été uni par cette religion depuis sa première introduction au 1er siècle de l’Hégire grâce à Oqba ibn Nafi Al-Fihri, décédé en 683, qui atteignit la ville mauritanienne de Walata à peine un demi-siècle après la mort du Prophète (PBL).

Puis l'islam s'est enraciné et propagé vers le Sud et le Nord, surtout avec l'avènement de l'État almoravide )1040-1147( qui constitua le premier noyau du pouvoir central dans cette région.

Le peuple mauritanien est resté, à travers les âges, un peuple uni. Qu'elles soient du Nord, du Sud, de l'Est ou de l'Ouest, ses élites étudiaient dans des écoles renommées appelées « mahâdher », supervisées par des érudits éminents dont la renommée s'étendait dans toute la région. Le niveau scientifique des mahâdher équivaut aujourd'hui à celui des universités.

La culture populaire a également été un facteur unificateur pour tous, parmi beaucoup d’autres éléments de cohésion qui ont formé l’identité nationale spécifique de ce peuple. Cette identité a commencé à se renforcer dès l'époque de l'État almoravide qui est crédité de l'ancrage de l'identité islamique malikite au Maghreb et du retardement de la chute de l'Andalousie de quatre siècles.

Avec l'arrivée du colonisateur, les citoyens se sont unis dans le jihad. Les hommes du Nord combattaient les colons au Sud et à l'Est et vice versa. Par exemple, lors de la bataille de Tijikja au Sud-est de la Mauritanie, ce sont des combattants du Nord qui tuèrent Xavier Coppolani, en 1905, le délégué général français en Mauritanie.

Puis, lorsque la France prit le contrôle du pays et ouvrit, à la fin de la première moitié du 20ème siècle, la porte de la politique pour la représentation de ses colonies au parlement français, le peuple mauritanien mena d’importantes expériences en ce sens, à commencer par les élections parlementaires de 1946. Cela engendra chez lui la conscience nécessaire pour construire une nation unie.

La guerre de Charr Baba

La zone d’Al Guibla, dans les régions actuelles du Trarza et du Brakna, subit, entre 1671 et 1677, une guerre connue sous le nom de guerre de Charr Baba. Elle opposa l'émirat des Zawayas composée essentiellement de Tachoumcha, dirigés par l'imam Nasir al-Din ibn Abu Bakr al-Deïmani, décédé en 1674 à l'âge d'environ 30 ans, et l'émirat des Arabes dirigé par le prince Heddi ibn Ahmed ibn Daman, décédé en 1684 après un règne d'environ 48 ans.

Il est important de mentionner que le système social mauritanien qui remonte à l'époque des Almoravides, était divisé en trois catégories : Les Arabes qui portaient les armes et détenaient le pouvoir réel ; Les Zawyas, gens de science et de justice nantis du pouvoir spirituel ; et la classe ouvrière qui comprenait de nombreuses catégories travaillant dans l'élevage, l'agriculture et l'artisanat traditionnel, pourvues du pouvoir financier.

Après avoir été couronné chef des Zawayas, l'imam Nacer Eddine déclara la guerre contre les États païens du Fouta, du Diolof et du Kayor, environ trois ans avant sa mort. Cette décision était motivée par leur implication dans la vente d'esclaves aux Européens. Au cours de ce court conflit, il renversa les rois de ces États et remporta de grandes victoires.

L'imam Nacer Eddine est considéré comme le premier à avoir combattu l'esclavage, en refusant de vendre des personnes humaines aux Européens. Cela lui valut l'hostilité à la fois des Européens et des rois noirs qui dépendaient de ce commerce. Dans le même temps, ces deux forces se sont jointes au prince Heddi dans sa guerre contre l'imam Nacer Eddine.

À cette époque, la seule référence sociale pour la société était l'islam. C'était une société unie qui coexistait selon la hiérarchie sociale tripartite qui gouvernait le monde à l'époque, malgré quelques différences. Affiliés aux tribus Maqil, les Banu Hassan ibn Mokhtar ibn Muhammad ibn Maqil avaient commencé à renforcer leur pouvoir en tant qu'acteur nouveau, cherchant à s'intégrer dans la société sanhaji-africaine qui peuplait la région.

Cette nouvelle société allait devenir le théâtre de la guerre de Charr Baba dans la seconde moitié du 17ème siècle. Bien qu'il s'agît d'une société érudite, gouvernée par la charia islamique et des valeurs morales élevées, elle se trouvait à un stade nécessitant l'émergence d'une direction acceptée par tous.

Voyons les premières heures du déclenchement de la guerre. La direction d'une tribu zawaya qui n'était pas du côté de Nacer Eddine sollicita l'aide du prince Heddi. Elle se plaignait d'un des collecteurs de zakat envoyés par l'Imam qui avait menacé de la prendre par la force s'ils ne la lui remettaient pas volontairement.

Le prince Heddi s'adressa alors à un grand érudit des zawayas pour demander une fatwa sur la légitimité des actions de Nacer Eddine concernant ladite collecte. L'érudit répondit que cela n'était pas permis à celui-ci et le prince Heddi déclencha donc le conflit où Nacer Eddine décéda lors de la deuxième bataille en 1674.

Il ne fait aucun doute que l'imam Nacer Eddine était un érudit. En fondant son État, il était convaincu de la nécessité d’établir une administration centrale et forte garantissant les droits de tous les musulmans. Le prince Heddi ne s'y était a priori pas opposé et s’était contenté d’observer la situation jusqu'à ce que surgisse le désaccord entre deux factions des zawayas. Il n’intervint qu’après avoir vérifié les faits et consulté les érudits.

Comment donc décrire quelqu'un qui suit toutes ces étapes autrement qu’en détenteur d’un haut degré de sagesse et de compétences pour diriger ? Les deux hommes – que Dieu ait leur âme ! – ont fait preuve, par leurs actions, de grande responsabilité, honnêteté et engagement sincère pour le bien de la société.

Bien que la fin de cette guerre fût attendue pour diverses raisons, les conditions sévères qu’ont évoquées certains ne furent pas pleinement appliquées sur le terrain.

Au contraire, les zawayas obtinrent rapidement les plus hauts niveaux de considération de la part des émirs successifs, grâce à la sagesse du prince Heddi et à son grand respect envers un éminent savant des zawayas – un des plus grands de son époque – le Cheikh Ashfaq Al-Amin bin Sidi Al-Fali Al-Dimani, décédé en 1698. Certains chercheurs le décrivent comme le pionnier de la renaissance des zawayas après la fin de la guerre de Charr Baba.

La relation harmonieuse fondée sur le respect mutuel et l'affection entre les différentes factions de la société post-Charr Baba est confirmée par les louanges que les grands érudits, notamment les descendants des leaders de l'État de l'imam Nacer Eddine, adressèrent aux émirs de la région. Ils les saluèrent pour leur justice, leur générosité et leur appréciation des zawayas.

Par exemple, le petit-fils de l'émir Heddi, l'émir Aalit (décédé en 1793) fut enterré aux côtés de l'imam Nacer Eddine dans le cimetière de Tartillas, à 80 kilomètres au Sud de Nouakchott. Que Dieu ait leur âme !

Conclusion

La guerre de Char baba était inévitable en raison de la prospérité de la société de Tachoumcha, fondée plus de deux siècles auparavant, de la personnalité de l'imam Nacer Eddine, qui possédait des qualifications scientifiques et spirituelles exceptionnelles, et de la personnalité de l'émir Heddi, à la fois très ambitieux, courageux et intelligent.

La rapidité avec laquelle les conséquences de cette guerre furent éliminées, l'harmonie qui marqua la marche de la société, et le fait de ne plus revenir à un tel affrontement prouvent qu'elle était réellement indésirable pour toutes les parties impliquées. Elle n'avait aucun caractère ethnique, religieux, ni même économique, imposée qu’elle était seulement par les circonstances antérieures.

Yahya Ahmedou

NOTES


(1) : https://www.jeuneafrique.com/1574426/politique/la-guerre-de-charr-baba-1644-1674-socle-de-lidentite-nationale-en-mauritanie/

(2) : « Histoire de la Mauritanie » Karthala, 1997, 652 pages.



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Commentaires (3)

  • pyranha (H) 11/08/2024 11:30 X

    Que de charabia .cet historien prétend su'imam nacer edin était contre l'esclavage et le combattait , mais ce sont les noirs et les français qui s'y adonnaient .notre " historien" ment tellement qu'il oublie que jusqu'en 2024 nos arabes mauritaniens le pratiquent comme un 6er pilier de l'islam. Notre historien se documente dans des archives des esclavagistes mauritaniens.

  • abdoull (H) 11/08/2024 11:21 X

    de la pire fabulation

  • Kanou_matam (H) 10/08/2024 17:56 X

    Cette analyse doit être revisitée une fois de plus encore. Pourquoi ? Parce que ceux qui ont écrit cet article ont savamment évité que le mot berbère n'apparaisse nulle part. Comme si les berbères étaient inexistants dans cette histoire et dans cette zone géographique. Finalement, on les comprend: ils ne veulent tout simplement pas assumer le fait que la majorité des zawayas étaient d'origine berbère.