16-05-2025 15:51 - Politique sociale en Mauritanie : des caisses pleines, des mains vides ?

Mansour LY -- Dans une République islamique qui érige la zakat, le waqf et l’entraide en fondements moraux, comment expliquer que tant de nos concitoyens enfants des rues, personnes en situation de handicap, mères isolées ou retraités oubliés soient condamnés à vivre dans la précarité, la mendicité ou l’indignité?
Depuis son arrivée au pouvoir, le Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a inscrit la stabilité sociale au cœur de son projet. L’Agence TAAZOUR, les transferts monétaires, le Fonds LACNAS un mécanisme budgétaire spécifique logé dans le budget de l’État et destiné à financer des actions sociales ciblées ou encore la CNASS (Caisse Nationale d’Assurance Santé en Solidarité) sont des pas visibles dans cette direction. Cette dernière, en particulier, incarne ce que peut produire une volonté politique assumée : une structure cohérente, lisible, utile.
Mais malgré ces avancées, le constat demeure douloureux : les caisses sont pleines, mais les mains restent vides. L’assistance publique est là, mais son impact reste marginal. L’aide est mal ciblée, distribuée sans égard pour la dignité, souvent détournée de ses bénéficiaires légitimes. Elle devient parfois instrumentalisée, plus proche d’une faveur électorale que d’un droit citoyen. Et surtout, elle oublie les anciens.
Les retraités sont les grands sacrifiés de notre modèle social. Ils ont donné leur vie au service public, formé des générations entières, tenu les bureaux, soigné les malades, maintenu l’administration. Aujourd’hui, ils survivent avec des pensions dérisoires, souvent inférieures au seuil de décence. Ils n’ont ni reconnaissance sociale ni mécanisme de revalorisation. Ils ne sont pas considérés comme des piliers de la République, mais comme des oubliés du contrat républicain.
Il est temps de les réintégrer pleinement dans la matrice de notre solidarité nationale. Refonder la caisse des retraités, penser une charte de solidarité intergénérationnelle, garantir une prime de dignité indexée sur la vie réelle : autant de mesures justes, simples, faisables. Vieillir ne doit plus être un facteur de précarité.
Notre religion ne sépare jamais la foi de la justice. La zakat n’est pas un geste aléatoire, mais une ingénierie spirituelle de redistribution. L’islam social existe. Il attend simplement que l’État lui donne corps.
Le défi n’est pas l’absence de moyens, mais celle d’organisation, de traçabilité, de vision globale. Il est possible de construire un registre social unifié, connecté aux bases de données nationales. Il est possible d’identifier, de manière rigoureuse et digne, les bénéficiaires prioritaires. Il est possible de verser une aide directe, régulière, traçable, humaine.
Il est aussi possible de s’inspirer d’expériences internationales comme les allocations familiales ou le revenu de solidarité active, tout en les adaptant à notre contexte culturel, religieux, économique. Car la justice sociale ne se copie pas : elle se pense, elle s’incarne. La CNASS est une réussite. Elle prouve que les choses peuvent changer.
Mais elle ne doit pas rester un cas isolé. Elle doit devenir un modèle, un prototype à répliquer dans d’autres segments de la protection sociale, notamment pour les personnes âgées, les chômeurs de longue durée, les travailleurs informels. Ce qu’il nous faut, c’est une cohérence d’ensemble, une solidarité pensée comme un système, pas comme un geste.
La Mauritanie ne peut plus se contenter d’une charité d’État symbolique, inefficace, parfois humiliante. Le social ne doit pas être un outil de communication. Il doit être un pilier de transformation. Ce n’est pas une réforme de surface qu’il nous faut, mais une révolution de la conscience. Replacer la solidarité au cœur du pacte républicain.
Assumer qu’il n’y a pas de dignité nationale sans dignité individuelle. Reconnaître que les maux sociaux ne sont pas des fatalités mais des choix politiques et que d’autres choix sont possibles.
Un jour, confiait un imam mauritanien : « En quittant la Mauritanie, j’étais sûr de laisser derrière moi des musulmans. Mais en arrivant en Occident, j’ai découvert des sociétés plus solidaires que la nôtre. Alors, où sont vraiment les musulmans ? » Il ne cherchait pas à choquer. Il cherchait à réveiller.
Réconcilier l’islam social avec un État protecteur moderne, c’est notre horizon. Et ce chemin commence par un geste simple : refuser l’indifférence.
Mansour LY