29-05-2025 19:33 - Me Lo Gourmo, membre du collectif des avocats de la partie civile dans le procès de la décennie : "La Cour d’appel a dit le droit"

Le Calame -- Le procès en appel de l’ancien président Aziz s’est soldé par une condamnation à 15 ans de prison. Le sentiment de l’avocat de la partie civile que vous êtes ?
Me Gourmo Lô : D'un point de vue strictement juridique, mon sentiment est que la Cour d'appel a dit le droit. Les preuves sont accablantes, étayées et publiquement exposées. M. Ould Abdel Aziz s'est enrichi à des niveaux inimaginables par des procédés tout à fait illicites en profitant de sa position inexpugnable de Chef d'Etat quasiment monarchique à qui tout était permis et à qui tous devaient soumission et obéissance, sans murmures pendant deux décennies et plus.
Cela avait fini par lui faire perdre tout sens de la mesure. Cette posture a grandement impacté sa ligne de défense. Ainsi, son refus dès le départ de s'expliquer sur son immense enrichissement, au motif qu'il ne pouvait être jugé que pour haute trahison par une juridiction spéciale, la Haute Cour. Par la suite, il a publiquement avoué cet enrichissement colossal mais en l'imputant du bout des lèvres à des " cadeaux " qu'il aurait reçus de mystérieux chefs d'Etat étrangers dont il ne donne jamais les noms etc.
Des dizaines de milliards d'ouguiyas en liquide et en devises, des quantités de véhicules tout terrains, des biens meubles et immeubles à n'en plus finir...tout cela il a fini par le reconnaître mais sans aucune justification légale ! Il ira jusqu'à dire avoir reçu des mains de l'actuel Chef de l'Etat des sommes astronomiques en devises et des véhicules -prétendument reliquats de l'avant-
dernière campagne présidentielle de 2019. Sans apporter bien sûr la moindre preuve directe ou indirecte à l'appui...La seule chose qu'un juge pénal normal pouvait et devait faire c'était de prendre toutes ces déclarations faites devant lui, comme autant d'aveux cinglants aboutissant à une condamnation à la peine maximale ou presque, de l'accusé sur la base de la loi sur la corruption, le code pénal. C'est ce que le juge d'Appel a fait en prononçant son verdict. Ni plus ni moins…
Les avocats de la Défense ont annoncé leur intention de se pourvoir en cassation. On est parti pour un autre tour d’horloge, non ? Ce procès de la décennie de l’ancien président ne risque-t-il pas d’entacher le mandat du président Ghazwani ?
-La défense a dit vouloir porter l'affaire devant la Cour suprême. Celle-ci juge le droit et non les faits. Les débats seront donc d'une toute autre nature. Ce ne sont plus les actes, faits et gestes des uns et des autres qui feront l'objet des débats mais l'identification et l’interprétation des règles existantes appliquées à ces derniers tels qu'ils ont été retenus définitivement en appel.
Ce procès qui est historique s'est déroulé dans de relatives bonnes conditions. En règle générale, la procédure normale a été scrupuleusement respectée par les juges, en 1ere et 2ème instances.
Les droits des uns et des autres ont été respectés. L'accusation et la défense ont mené de rudes batailles juridiques en couvrant tous les aspects saillants d'un procès de ce type. Le conseil constitutionnel a même été saisi par la défense pour apprécier la validité de l'application de la loi sur la corruption à un Chef d'Etat, en dehors de l'art 93 de la constitution, mettant ainsi fin au débat relatif à l’incompétence du juge pénal ordinaire à juger certains actes d'un chef d'Etat agissant en dehors de l'exercice de ses fonctions c'est à dire agissant comme n'importe quel citoyen ordinaire.
De tout cela, il résulte que le droit a bel et bien été respecté de bout en bout et qu'une jurisprudence claire et nette va naître en matière de responsabilité du chef de l'Etat pour les actes incompatibles avec sa fonction de président de la République. Je ne vois donc pas en quoi cette situation de clarification du droit pourrait entacher le mandat en cours de l'actuel Chef de l'Etat. Au contraire. Le droit a été dit et bien dit sur ce dossier.
Ce procès a pour vocation d'abord de rendre justice à notre peuple. Si la condamnation de M. Ould Abdel Aziz est définitivement confirmée comme cela devrait être le cas en toute logique juridique, il devrait s'en suivre la restitution à notre peuple de ses biens spoliés. C'est la préoccupation principale de la partie civile.
Sur un plan plus général, cette condamnation pour corruption d'un ancien chef de l'Etat pour des actes commis durant sa présidence devrait inciter tous les membres de l'appareil d'Etat à la réflexion sur le fait que l'impunité n'est jamais assurée aux corrompus, à quelque niveau qu'ils se situent dans la hiérarchie de cet appareil.
Ce procès devrait surtout inciter à une remise en cause en profondeur du mode de fonctionnement de nos institutions et des rapports entre elles ; nous pousser à recentrer notre système politique autour d'un pilier axial : la séparation des pouvoirs. Le parlement vote les lois et contrôle l'exécutif.
Le juge peut juger tout le monde, sans exception. Ça s'est passé pour la 1ere fois dans le pays. Je dirais par effets d'enchaînement d'événements spécifiques et non par routine démocratique dans un vrai État de droit.
L'ancien président est "victime", non d'un quelconque règlement de compte comme le disent ses partisans mais de son propre orgueil, de la perte du sens des réalités. Il n'est pas tombé non plus du fait de la solidité de nos institutions, spécialement de la justice qui reste encore, de loin, la parente pauvre de notre système constitutionnel.
Pour le reste, je ne suis pas naïf. Vous non plus. La corruption et les trafics en tous genres continuent de sévir dans le pays. Une hirondelle peut rappeler le printemps. Mais elle ne fait pas nécessairement le printemps. La lutte contre la corruption est de longue haleine. Il faut une grande révolution et plusieurs générations pour l'éradiquer définitivement, avec le reste du monde d'ailleurs.
Le régime actuel semble faire des efforts il est vrai. Personnellement, je n'ai jamais entendu d'accusation directe ou indirecte portée à cet égard personnellement contre M. Ghazouani ou contre son Premier ministre depuis leur arrivée au pouvoir. Au contraire le procès d’Aziz les met en demeure de renforcer les outils de lutte contre ce crime économique abominable qui est loin d'avoir reculé depuis 2019.
La corruption se propage avec la force d'une lame de fond et gangrène la quasi-totalité des secteurs de l'Etat et de ses démembrements. Des villas de luxe ont poussé comme des champignons et des véhicules de très grand standing surgissent comme des mirages dans les rues de Nouakchott. Tout le monde voit bien que ces signes ostentatoires de richesse sont autant d'indicateurs de taux de délinquance économique et...d'impunité.
Des efforts sont déployés pour débusquer et combattre le fléau et d'autres qui lui sont jumeaux comme les trafics de drogue, de médicaments ou de migrants. Mais il reste encore du chemin à faire. Il suffit de voir le mal de chien que se sont donné les députés pour échapper à l'applicabilité de la nouvelle loi sur la corruption...
Les acteurs politiques mauritaniens sont focalisés sur les préparatifs du dialogue convoqué par le président Ghazwani. Ce dialogue en gestation serait-il différent des précédents et qu’en attendez-vous en tant qu’homme politique ?
-Le dialogue politique est une nécessité pour toute vie politique normale. Pour notre cas, c'est vital car nous sommes une très jeune nation, encore en construction, avec beaucoup d'erreurs de la part de tout le monde, sans exception, aussi bien le pouvoir que les oppositions. Notre société est très arriérée. A la campagne, un système semi-esclavagiste et semi-féodal survit toujours et empêche encore notre complète modernisation.
Dans les villes, une nouvelle bourgeoisie nationale tente de s'émanciper de l'emprise exclusive du grand capitalisme étranger. Elle est nationaliste par ses options économiques mais très hégémonique et discriminatoire par ses tendances sociales et politiques naturelles. Tout cela sur fond d'un régime politique qui peine à s'affranchir de ses origines militaires et de jouer franchement le jeu de la République.
Tels sont les principaux aspects de notre situation globale. Voilà sur quel terrain réel se déroule le jeu politique. Bref nous sommes une société en transition comme la plupart des pays africains. Cela réclame une démocratie pluraliste réelle dans une société à unir fermement.
Comment le faire sans définir les règles du jeu, sans surmonter les obstacles de toutes sortes ensemble, bref sans dialoguer? Ceux qui sont en permanence déçus par les " dialogues" successifs devraient approfondir leur réflexion et voir comment se déroule la politique dans des situations de transition partout dans le monde sur ces questions-là . Les réseaux sociaux contribuent à rapprocher les gens mais aussi, malheureusement à les embrouiller et à les diviser. Ils développent souvent une logique binaire du tout ou rien et donnent la voix et le ton à toutes sortes d'incompréhensions et de malentendus.
C'est souvent le règne des grandes gueules partout et non plus des plus sages et des plus lucides surtout des acteurs politiques qui mutent de plus en plus en simples influenceurs sans esprit, les yeux rivés sur les like. Nous avons à résoudre au plus vite des questions essentielles.
Comment le faire en dehors du dialogue et des compromis et sans esprit d'analyse collectif ? C'est le cas par exemple des questions que vous évoquez concernant la coexistence et l'harmonie entre nos communautés appelées à vivre et à transformer ensemble ce pays en pays stable, indépendant et relativement prospère.
Concrètement sur quoi devrait porter le dialogue actuellement ? D'abord sur la question centrale de l'unité nationale et de la cohésion sociale. Nous avons besoin de nous entendre en tant que mauritaniens venus d'horizons ethniques et culturels divers et variés mais partageant depuis des siècles voire des millénaires cette région du monde devenue notre maison commune, notre patrie. Définissons le cadre de cette coexistence, ses fondements tout au moins.
Ce que nous nous autorisons et ce que nous nous interdisons de faire en tant que citoyens et en tant que nation. Réglons une bonne fois pour toute la question du passif humanitaire sans passion, dans un esprit de justice et de réconciliation. Discutons et réglons ensemble la pérennisation de notre système démocratique en rendant possible les choix du peuple y compris pour une alternance apaisée au pouvoir. Les ressources du pays et les conditions de vie de nos masses etc.
Où faut-il aborder toutes ces questions si importantes, en dehors d'un dialogue national, franc, sincère, sans tabous et inclusif ? C'est exactement ce que l'opposition a toujours demandé dans ce pays et c'est ce que le Chef de l'Etat a clairement défini comme une priorité. Nous sommes tous d'accord sur ça, pouvoir comme opposition. Il reste à vaincre les préjugés, les méfiances et les susceptibilités pour s'y engager sans tarder et à fond. Il y va de notre intérêt et de notre crédibilité à tous, pouvoir comme opposition.
Personnellement j'ai beaucoup de respect et de confiance envers M. Moussa Fall qui est lui-même un homme naturellement porté à l'écoute des autres et très humble dans sa façon de percevoir les gens. Son choix par le président de la République pour assurer la coordination entre les acteurs politiques au sujet de ce dialogue m'incite fortement à l'optimisme.
C'est pour moi comme un gage de bonne volonté de la part du président de la République. La balle est dans le camp des forces politiques. Si elles tergiversent comme elles l'ont fait si souvent dans des occasions pareilles dans le passé, elles continueront à porter le lourd fardeau de leur échec récurrent...
-Le dernier conseil des ministres a approuvé un projet de décret portant création d’in institut supérieur de magistrature et métiers de la justice. Que pensez-vous de cette décision ?
-La création récente d'un Institut Supérieur de Magistrature et de Métiers de la justice est en soi une bonne chose. Mais cette création ne pourrait être réellement positive que dans le contexte de la réforme globale de la justice à laquelle toute la famille de la justice est favorable.
Un document national de la réforme existe dans ce sens où figurent de très grandes innovations. Si la création de cet Institut entre dans ce cadre, c'est une chose excellente car la formation des juges et des autres auxiliaires de justice est l'une des exigences préalables de la mise en œuvre à terme de toute réforme de modernisation sérieuse de notre justice qui en a réellement besoin comme chacun le sait....
Propos recueillis par Dalay Lam