31-05-2025 21:38 - Un État se mesure à ses frontières / Par Mohamed El Mokhtar Sidi Haiba

Un État ne se définit pas par les intentions qu’il proclame, mais par la souveraineté qu’il exerce. Il n’existe que dans la mesure où il contrôle son territoire, garantit la sécurité de ses citoyens et affirme, par des actes concrets, sa capacité à durer.
La souveraineté, en Mauritanie, ne saurait rester un slogan ou un attribut symbolique. Elle suppose des décisions claires, des institutions solides, une autorité effective.
Les rumeurs récentes évoquant la rétrocession de portions de notre territoire au Mali ou l’occupation discrète de certaines zones au nord par le Maroc ne peuvent être laissées sans réponse.
Il ne s’agit pas seulement de les démentir, mais d’y opposer une stratégie de clarté et de fermeté. Cela implique la signature d’accords bilatéraux délimitant formellement les frontières avec chacun de nos voisins. Ces frontières, une fois tracées, doivent être sécurisées, surveillées, matérialisées.
Cela signifie : équiper électroniquement les postes-frontières, baliser le territoire, cartographier les zones sensibles, implanter des bases militaires là où la situation l’exige, et maintenir une vigilance constante sur les flux de populations. Dans un contexte régional instable, chaque point de passage doit devenir un point de contrôle. Chaque vide administratif, un risque à prévenir.
Cette exigence vaut également pour les ressources stratégiques. Le projet gazier offshore, mené conjointement avec le Sénégal et opéré par BP, engage l’avenir énergétique du pays. Il est anormal que la Mauritanie se contente d’accompagner les démarches de transparence initiées par son voisin, sans jamais en prendre l’initiative. Les surfacturations évoquées, les écarts de coûts constatés, ne sauraient rester l’apanage d’une vigilance sénégalaise. Le partenariat n’exclut ni l’examen critique ni la défense autonome de nos intérêts. Ce n’est pas au Sénégal de parler pour deux.
Plus largement, cette attitude d’attente, d’alignement ou de silence affaiblit la position de l’État dans d’autres domaines essentiels : l’agriculture, la santé, l’éducation. Dépendre de l’étranger pour nourrir sa population, former ses cadres ou soigner ses malades n’est pas une fatalité. C’est un choix, ou plutôt une absence de choix. L’autosuffisance alimentaire est un objectif réaliste, à condition d’en faire une priorité politique. De même, le renforcement des infrastructures universitaires et hospitalières ne relève pas du luxe mais de la souveraineté. Déléguer ses fonctions vitales, c’est déjà s’effacer.
Quant à notre voisin marocain, il mène depuis plusieurs années une stratégie d’expansion progressive, structurée, appuyée sur des alliances nouvelles. Pour Rabat, la Mauritanie représente à la fois une ouverture vers le sud et une zone d’influence naturelle. Ce calcul géopolitique est clair. Il exige de notre part une vigilance constante, et non une neutralité muette. La position de la Mauritanie sur le dossier du Sahara occidental ne saurait être confondue avec un désintérêt pour sa propre sécurité. L’un n’excuse pas l’autre.
Les atteintes récentes à l’intégrité de nos ressortissants dans certaines zones sensibles traduisent un relâchement de l’autorité de l’État. Elles auraient été inenvisageables sous un gouvernement pleinement conscient de l’importance stratégique de chaque kilomètre carré de son territoire et de l’intégrité physique et morale de chaque citoyen.
La Mauritanie n’est ni marginale ni démunie. Elle dispose de ressources, d’alliés, de leviers. Encore faut-il les activer. Gouverner, écrivait Raymond Aron, c’est choisir. Choisir ce qui compte, hiérarchiser, trancher. C’est aussi, et surtout, savoir que toute omission finit par devenir décision. Dans un monde structuré par les rapports de force, ne pas affirmer sa souveraineté, c’est déjà commencer à la perdre.
Mohamed El Mokhtar Sidi Haiba
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