27-06-2025 18:00 - Autorités locales et agences onusiennes face à une crise frontalière soudaine

ONU INFO - Deuxième partie d’une série sur la situation des migrants ouest-africains à Rosso. Si vous n’avez pas encore lu la première partie, c’est ici.
Pressions à la frontière
Au poste de police de Rosso – ville frontalière du nord du Sénégal, située sur la rive sud du fleuve Sénégal, face à la Mauritanie – un registre abîmé raconte une réalité inquiétante : des centaines d’arrivées et d’expulsions enregistrées en une seule journée.
Un instantané d’une frontière sous tension extrême.
Le bac cesse ses traversées au crépuscule, mais les passages ne s’arrêtent pas pour autant. Les passeurs exploitent les failles et l’obscurité pour faire traverser le fleuve – parfois par groupes entiers.
Des familles, y compris avec de jeunes enfants, prennent le risque à bord de frêles pirogues. Certains enfants, retrouvés sans leurs parents mais accompagnés d’adultes, soulèvent de graves inquiétudes quant à d’éventuels cas d’exploitation.
Les personnes arrivant à Rosso viennent de toute l’Afrique de l’Ouest – Guinée, Mali, Sénégal, Gambie, Sierra Leone, Côte d’Ivoire, Nigeria, entre autres. Beaucoup sont en mauvaise santé et sans papiers.
Les autorités et les humanitaires tentent d’enregistrer leur présence et d’organiser leur retour volontaire en toute sécurité, conformément au droit international. Les femmes et les enfants figurent systématiquement parmi les arrivants.
Une mission des Nations Unies et des constats préoccupants
Ces constats, les responsables onusiens les ont recueillis de vive voix lors d’une mission conjointe à Rosso, les 15 et 16 mai 2025.
Au cours de la mission, l’équipe a rencontré les autorités locales, les forces de sécurité, des migrants expulsés, les acteurs humanitaires et les chefs communautaires.
Cinq agences des Nations Unies – le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) – ont accompagné la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) du Sénégal pour une visite de deux jours, dans le cadre du réseau national des Nations Unies sur les migrations.
« On commence par la dignité – l’eau, l’abri, les soins de base – et ensuite on prépare le retour volontaire, pour que les gens puissent rentrer en sécurité, » résume Daouda Alkaly Sagna, chargé de protection à l’OIM au Sénégal.
Comme l’a récemment indiqué la CNDH, la mission a mis en lumière une situation extrêmement préoccupante. Les expulsions sont opérées sans notification écrite, les migrants vivent dans des conditions précaires avec un accès limité aux services essentiels, et les groupes vulnérables – femmes, enfants, personnes en situation de handicap – sont exposés à des risques accrus.
Un système à bout de souffle
L’abri géré par Cheikh Talibouya Ndiaye, vice-président de la Croix-Rouge sénégalaise et conseiller municipal, a été conçu pour accueillir 40 personnes pour de brefs séjours. Il héberge aujourd’hui plus de 70 individus, avec un seul robinet et des couchages limités.
« Selon les normes, un séjour ne devrait pas dépasser trois ou quatre jours ; certains dorment ici depuis presque deux mois, » précise-t-il. « Nous faisons de notre mieux, mais un seul point d’eau et un repas par jour ne suffiront pas longtemps. »
Ceux qui ne trouvent pas de place à l’abri dorment dans des cours, des ruelles ou des boutiques fermées. La communauté locale fait de son mieux, mais les habitants admettent être à bout.
Cheikh Tidjane Diop, président du comité des délégués de quartiers, avertit :
« Rosso est une ville frontière ; nous partageons le peu que nous avons – nourriture, eau, un coin pour dormir, premiers soins – mais la sécurité doit être renforcée ; les risques sont réels. »
Les autorités constatent aussi une hausse des petits délits, liée au désespoir des nouveaux arrivants. Deux adolescentes soignées pour des infections après avoir dormi dehors coûtent environ 5 000 francs CFA (soit approximativement 8 dollars américains) de médicaments par jour aux bénévoles et aux agents.
Constats principaux et appels
- Services saturés : pénurie de nourriture, d’abris, de médicaments.
- Coordination fragmentée : la réponse repose sur le poste de la Croix-Rouge et une cellule OIM à Saint-Louis, absence de centre permanent ou de système de partage de données.
- Appel de la police locale : création d’un véritable centre de transit et d’orientation, et mise en place d’un échange d’informations en temps réel entre les polices du Sénégal et de la Mauritanie, les agences onusiennes et les représentations consulaires.
- Plaidoyer régional : le commissaire de Rosso demande à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et à la Mauritanie d’instaurer un « corridor humanitaire de transit » pour mettre fin aux expulsions nocturnes.
Besoins immédiats identifiés : migrants, autorités locales, acteurs humanitaires
- Tentes d’urgence, eau potable, latrines supplémentaires
- Dépistage médical et soutien psychosocial, notamment pour femmes et enfants
- Tablettes ou scanners mobiles pour remplacer les registres manuscrits
- Formation des agents aux procédures d’asile, à la protection des mineurs et à la détection de la traite
- Formation du personnel de l’abri à l’appui psychosocial, administratif et juridique
La Commission Nationale des Droits de l’Homme du Sénégal annonce un rapport à venir, avec des recommandations concrètes aux autorités nationales, consulats au Sénégal et partenaires humanitaires pour renforcer la protection et l’assistance des migrants.
« La migration ne se gère pas par une seule ville ni une seule ONG ; il faut une coalition, » répète M. Ndiaye tandis que la nuit tombe et que les bénévoles remuent le riz sur les feux ouverts du centre saturé.
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Article rédigé par le Centre d’Information des Nations Unies à Dakar, à la suite de la mission inter-agences de mai 2025 à Rosso, avec la participation de Cheikh Khadim Seye du CINU.