21-08-2025 23:15 - Mauritanie : Le défi d’une gouvernance bédouine à l’ère moderne / Par Mohamed Fall Sidatt

Mauritanie : Le défi d’une gouvernance bédouine à l’ère moderne / Par Mohamed Fall Sidatt

Mohamed Sidatt -- Charité bien ordonnée commence par soi-même : je suis bédouin. Cette affirmation n’est ni un reniement ni un dénigrement, mais le point de départ d’un constat essentiel. À l’aube du XXIᵉ siècle, notre pays est traversé par une tension profonde : comment concilier l’héritage mental du désert avec les exigences impérieuses d’un État moderne et de droit ?

Notre identité bédouine, riche de solidarité, d’hospitalité et de résilience, constitue un socle précieux de notre patrimoine. Mais le problème surgit lorsque le « logiciel » du campement — fondé sur la survie, l’autonomie immédiate et les loyautés tribales — est transposé tel quel dans l’appareil d’État.

Dans le désert, la fidélité au clan est une vertu ; dans la gestion de la cité, elle devient un poison qui corrode les fondements de la République. Car celle-ci repose, par essence, sur la primauté de l’intérêt général et l’égalité de tous devant la loi.

En Mauritanie, celui qui accède au sommet du pouvoir devient trop souvent l’otage de solidarités archaïques. Le mérite, la compétence et l’intégrité s’effacent devant l’obligation de « récompenser les siens » et de consolider son influence tribale. L’État, censé être le bien commun, se transforme alors en butin (غنيمة) à distribuer entre fidèles.

La gouvernance actuelle, sous la présidence de Mohamed Ould El-Ghazouani, illustre pleinement cette dérive. La répartition des postes de commande, l’attribution des marchés publics ou des licences de pêche stratégiques révèlent une cartographie clientéliste d’une précision troublante. Chaque nomination, chaque contrat dessine moins les contours d’une nation que ceux d’un territoire clanique.

Plus grave encore : l’instauration d’une impunité à deux vitesses. D’un côté, la protection et le silence pour le cercle restreint du pouvoir ; de l’autre, une rigueur sélective et implacable pour l’opposition et les citoyens ordinaires. La République devient alors une façade institutionnelle, un habillage moderne dissimulant une féodalité où la loi se plie aux intérêts du clan dominant.

Les conséquences sont évidentes : frustration d’une majorité de citoyens exclus de cette redistribution clientéliste, défiance envers les institutions, administration publique minée par le népotisme et le manque de compétence, développement paralysé par le poids des intérêts particuliers.

Il est impératif, aujourd’hui plus que jamais, que notre leadership rompe avec ces pratiques et se décide enfin à gouverner au nom de l’intérêt général. Gouverner, ce n’est pas servir sa tribu : c’est dépasser les loyautés étroites pour embrasser une vision nationale, ample et exigeante.

Tant que cette rupture intellectuelle et morale ne sera pas assumée au sommet de l’État, la Mauritanie restera prisonnière des cycles de crise et d’instabilité, incapable de réaliser le plein épanouissement auquel aspire son peuple.

Par Mohamed Fall Sidatt



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Source : Mohamed Sidatt
Commentaires : 4
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Commentaires (4)

  • pyranha (H) 22/08/2025 14:18 X

    Mr Fall vous avez effectivement touché le nœud du problème qui est sociologiquement culturel. On a transféré notre vie du désert, à la ville. Ce qui était absolument bien ailleurs, ne l'est pas forcément ici. Samba Thiam FPC de manière pédagogique l'a expliqué et c'est effectivement le fardeau d'incompatibilité qu'on trainera éternellement si on refuse de comprendre et de changer radicalement.

  • Hartaniya Firilile (H) 22/08/2025 01:54 X

    Monsieur Sidatt FALL, vous apportez une contribution significative à la sphère politique nationale. J'espère, comme vous, que votre message atteindra les responsables qui semblent uniquement préoccupés par leurs intérêts personnels et tribaux. Vous l'avez parfaitement exprimé : cette rupture ne s'enracinera jamais chez les Mauritaniens car, malhonnêtes, ils dissimulent constamment la vérité et pratiquent la falsification jusque dans leur cercle familial. Leur existence est marquée par l'instabilité et l'imprévisibilité. Vos propos risquent de ne pas être entendus, voire d'être mal interprétés, car ils ne retiennent du français que ce qui concerne l'argent et les moyens de s'approprier indûment les biens d'autrui ou de l'État.nificative à la sphère politique nationale. J'espère, comme vous, que votre message atteindra les responsables qui semblent uniquement préoccupés par leurs intérêts personnels et tribaux. Vous l'avez parfaitement exprimé : cette rupture ne s'enracinera jamais chez les Mauritaniens car, malhonnêtes, ils dissimulent constamment la vérité et pratiquent la falsification jusque dans leur cercle familial. Leur existence est marquée par l'instabilité et l'imprévisibilité. Vos propos risquent de ne pas être entendus, voire d'être mal interprétés, car ils ne retiennent du français que ce qui concerne l'argent et les moyens de s'approprier indûment les biens d'autrui ou de l'État.

  • Hartaniya Firilile (H) 22/08/2025 01:53 X

    M. FALL, la Mauritanie fait face à un défi sociétal profond. J’estime qu'aucune personne au monde ne pourrait amener les Mauritaniens à privilégier les intérêts nationaux ou à développer un véritable patriotisme. Il considère que cette situation est si ancrée qu'elle nécessiterait des mesures extrêmes pour être modifiée. Nous critiquons également la pratique religieuse dans le pays, suggérant un décalage entre les principes islamiques affichés et les comportements réels. Pour illustrer cette contradiction, j’évoque la question des homosexuels, perçu comme incompatible avec le statut de république islamique revendiqué par le pays.

  • Hartaniya Firilile (H) 22/08/2025 01:53 X

    Je m'interroge sur notre capacité à évoluer. À mon avis, c'est impossible tant que nous serons dirigés par les mêmes personnes qui, depuis l'indépendance, s'enrichissent par rotation selon des critères tribaux et familiaux. Combien de temps devrons-nous patienter avant de voir des changements? Même nos arrière-petits-enfants ne verront pas le redressement économique de notre pays. Le Mauritanien excelle dans le vol, le mensonge et la tricherie. Beaucoup croulent sous les dettes bancaires et autres moyens d'enrichissement douteux, cherchant constamment à afficher une opulence quotidienne devant leur famille. C'est pourquoi les organismes de contrôle sont mis au placard et les contrôleurs touchent des salaires sans travailler - d'ailleurs, avec le Premier ministre actuel, l'Inspection Générale d'État est totalement inactive. Bonne chance aux autres nations en attendant que la lumière perce dans notre pays où règne le faux et l’arbitraire au quotidien.