23-09-2025 12:15 - Apartheid, génocide ou racisme d’État? Ma réponse aux propos du président Mohamed Jemil Mansour

Apartheid, génocide ou racisme d’État? Ma réponse aux propos du président Mohamed Jemil Mansour

Sy Abdoulaye -- Dans une récente déclaration, Mohamed Jemil Mansour, président du parti Front pour la citoyenneté et la justice (FCJ), a affirmé que qualifier la Mauritanie d’ « État d’apartheid » serait une exagération outrancière et une erreur historique. Selon lui, assimiler la réalité mauritanienne à l’Afrique du Sud des jours sombres du régime afrikaner constitue non seulement une fausse lecture, mais aussi un « péché moral ».

Une telle position mérite une analyse critique, d'autant plus qu'elle tend à réduire le terme « apartheid » à son seul contexte sud-africain, alors même que les sciences sociales, le droit international et les usages politiques contemporains en ont élargi la portée.

Il est vrai que l’apartheid a historiquement émergé en Afrique du Sud (1948-1991) avec son arsenal juridique explicitement ségrégationniste. Cependant, le droit international, notamment la Convention internationale de 1973 sur la répression et la punition du crime d’apartheid ainsi que le Statut de Rome (1998), a redéfini ce terme.

Aujourd’hui, « apartheid » désigne tout système institutionnalisé d’oppression et de domination systématique d’un groupe sur un autre, fondé sur l’origine raciale, ethnique ou religieuse, qu’il soit ou non accompagné d’une codification juridique explicite.

Autrement dit, il n'est pas nécessaire d'avoir des lois interdisant les mariages mixtes ou imposant des transports séparés pour reconnaitre un système d'apartheid : il suffit que la ségrégation et l'exclusion soient organisées ou reproduites par l’État.

La pendaison des 28 militaires noirs mauritaniens à Inal, le 28 novembre 1990, jour de la fête nationale, demeure l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire du pays.

Cet acte d'une brutalité symbolique inouïe, visant à faire coïncider la célébration de l’indépendance avec l'humiliation et l'anéantissement d'une composante nationale, dépasse les simples logiques de répression : il s’apparente à un apartheid génocidaire, puisqu'il combine discrimination raciale, épuration symbolique et violence d’État.

Ni l'Afrique du sud de l'apartheid, ni Israël dans sa politique vis-à-vis des Palestiniens, ni même la France coloniale n'ont choisi de célébrer leur fête nationales par l’exécution de leurs minorités dominées. la spécificité mauritaniennes tient donc à la radicalité d'un tel acte.

Plusieurs dynamiques renforcent le caractère structurel de la discrimination en Mauritanie : • Apatridie de fait: des milliers de Noirs mauritaniens se trouvent privés de papiers d’identité et de droits civiques, réduits à l’inexistence administrative.

• Déportations massues : dans les années 1989-1991, des milliers furent expulsés vers le Sénégal et le Mali, dépossédés de leur nationalité.

• Accaparement foncier : la vallée du fleuve Sénégal reste marquée par des expropriations systématiques au profit d’élites proches du pouvoir central.

• Uniformisation linguistique : l’imposition exclusive de l’arabe marginalise les langues nationales (pulaar, soninké, wolof), instaurant une hiérarchie culturelle et politique.

• Monopolisation du pouvoir : la présidence, l’Assemblée nationale, la primature, l’armée, la sécurité, les banques, les médias d’État et les assurances restent dominés par une seule composante nationale, excluant de facto la diversité noire mauritanienne.

Cette absence quasi-total de représentativité ne peut être réduite à une simple « inégalité » sociale : elle constitue un système d'exclusion durable, ce qui correspond précisément à la définition internationale de l'apartheid.

Apartheid, racisme d’État et responsabilité morale

Qualifier la Mauritanie d’État d'apartheid ne signifie pas confondre son histoire avec celle de l'Afrique du sud, mais reconnaitre que le pays a institutionnalisé une domination ethno-raciale systématique.

Le président Mansour a raison de rappeler l’absence de lois de ségrégation explicites ; mais il se trompe lorsqu’il ignore le caractère implicite et structurel des discriminations. L’apartheid peut être de facto et non seulement de jure.

La responsabilité morale ne consiste pas à minimiser ces réalités au nom d’une comparaison historique, mais à reconnaître que l’exclusion, l’humiliation et l’injustice sont incompatibles avec l’islam, avec la Sunna et avec toute conception universelle des droits humains.

La question posée au président Mohamed Jemil Mansour est donc claire : comment qualifier, sinon d'apartheid d’État d'apartheid génocidaire ou de racisme institutionnalisé, les pendaisons de d'Inal, les déportations, l'apatridie administrative, l'accaparement foncier et l'exclusion systématique des noire mauritaniens des sphères de pouvoir ?

S’il refuse le terme « apartheid », qu’il propose alors une autre qualification, mais qu’il le fasse en accord avec le droit international, avec la mémoire des victimes et avec les exigences morales de justice.

Car nier ces réalités, c'est prolonger l'injustice, et transformer l'oubli en complicité.

Sy Abdoulaye



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Source : Sy Abdoulaye
Commentaires : 8
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Commentaires (8)

  • pyranha (H) 26/09/2025 00:39 X

    Une véritable leçon de mise à jour de bcp d'individus qui se croient des génies en droit et en géopolitique genre Gourmo Lo pour lui génocide et apartheid ne sont pas compatibles à l'enfer que les noirs ont vécus dans ce payd. Pour lui il faudrait que celà comme loi quel nullard. Il faut qu'il fasse sans complexe un séminaire de remise à niveau chez cet excellent intellectuel. Quelle pédagogique et quelle pertinence dans l'analyse.

  • ouldsidialy (H) 24/09/2025 21:33 X

    Les Africains ne sont pas différents de beaucoup de leurs contemporains: A chaque fois qu'il y a un massacre, ils appellent cela un génocide ! Cela indique des populations qui heureusement, ne savent rien des 2 ou pour qui ces choses sont lointaines. En revanche, on est davantage surpris quand des peuples habitués à la diversité des discriminations, évoquent l'Apartheid. On sait ce que Mandela répondait à ceux qui parlaient d'apartheid sans savoir ce que c'est.

  • clean clean (H) 23/09/2025 19:18 X

    Ce qui surprend chez Ould Mansour, c’est la manière dont il se comporte aujourd’hui comme s’il n’avait jamais dirigé un parti à référence islamique. Son discours et son attitude laissent parfois l’impression d’une rupture totale avec ce passé politique, au point que l’on pourrait se demander s’il cherche à s’en détacher délibérément. Cette posture interroge : est-ce une évolution sincère de ses convictions, un repositionnement stratégique dicté par le contexte, ou bien une forme d’hypocrisie politique visant à faire oublier son rôle de premier plan au sein d’un mouvement islamiste ?

  • clean clean (H) 23/09/2025 19:16 X

    Notre police, toujours plus nauséabonde, se vautre dans le mensonge et l’arbitraire. Elle dénonce la version relayée sur les réseaux sociaux, feignant d’oublier que c’est la victime elle-même qui a rendu publique l’agression dont elle a souffert. Jamais, dans son témoignage, il n’a été question de ce cirque autour de l’ambassade de France — pure invention d’une institution en décrépitude. Pire encore, la présomption d’innocence, principe élémentaire de droit, est piétinée sans scrupule : Ibrahima Ba a été privé d’air, de soins, de médicaments, de nourriture et même d’eau, comme si l’on cherchait à l’achever plutôt qu’à le juger. Quant à la corruption, inutile d’en faire mystère : les rackets policiers sont devenus monnaie courante sur nos routes. Certains citoyens et étrangers détiennent même des preuves de transferts électroniques, effectués via Bankily ou MarSvi, directement vers les poches de ces agents véreux. Et quand leur édifice de mensonges menace de s’effondrer, la police dégaine son alibi habituel : “l’état psychologique”. Vieille recette éculée, déjà utilisée pour salir la mémoire de Souvi Oue Cheine, d’Oumar Diop, d’Abass Diallo et des martyrs de Kaédi. La même mécanique infâme pour couvrir les mêmes crimes, encore et encore. Ce système pourri, qui s’accroche à une victoire politique volée, s’exhibe désormais sans honte : violence, mensonge et corruption comme seules méthodes de gouvernement.

  • yawonni (H) 23/09/2025 14:41 X

    La reponse de Mr.Sy à la declaration de Mohamed Jemil Mansour est à la fois un enseignement et un rappel à l'ordre moral. Se dire un president d'un parti pour la citoyennete et la justice et bien different de la definition bien expliquée par le droit par excellence en particulier ( voir le 4e paragraphe) Mr Jamil Mansour a demontré son ignorance et son incapacité d'offrir le savoir faire et le avoir dire en terme de patriotisme. Merci votre rappel de l'onu sur l'apartheid.

  • abdoull (H) 23/09/2025 13:35 X

    J'attend la réponse de la question posée a Mr Jemil ould mansour par mr sy abdoulaye. pour ajouter un peu sur le calvaire des kwar pendant les Années de braises. je connais un témoin osculaire au Guidimagha, un chauffeur de l'armee benne (benner comme du gravier) les peuls ramasser des villages environnants réunis pour être déportés vers le Mali et Senegal

  • clean clean (H) 23/09/2025 13:14 X

    Chaque division est une victoire pour ceux qui nous oppriment. Les Noirs, de tous pays et de toutes cultures, doivent se lever comme un seul peuple : la couleur de notre peau est notre réalité commune, et notre force vient de notre union.

  • clean clean (H) 23/09/2025 13:12 X

    C la panique . Les noirs quelque soit leur culture doivent unir. Dans ce système ce n’est pas la langue ou la culture qui est déterminant mais bien la couleur de peau