11-12-2025 15:51 - Réforme du secteur des assurances : une feuille de route ambitieuse, mais un chantier lourd d’interrogations

Réforme du secteur des assurances : une feuille de route ambitieuse, mais un chantier lourd d’interrogations

Le Quotidien de Nouakchott -- Le gouvernement mauritanien et les professionnels des assurances ont annoncé, mardi à Nouakchott, le lancement d’une feuille de route nationale pour la réforme du secteur des assurances, couvrant la période 2026-2030.

Présentée comme un tournant stratégique, l’initiative vise à moderniser un domaine longtemps miné par l’opacité, les tensions de régulation, les défauts d’indemnisation et la perte progressive de confiance du public.

Mais derrière les discours rassurants, plusieurs défis majeurs demeurent.

Une réforme annoncée… après des décennies d’alertes ignorées

Le communiqué officiel insiste sur la volonté du Banque centrale de Mauritanie (BCM) et de l’Association professionnelle des assureurs mauritaniens (APAM) de renforcer la transparence, la gouvernance et la qualité des services.

Pourtant, les diagnostics révélés ces dernières années — et parfois tus — sont connus : taux très élevés de sinistres non indemnisés ou indemnisés avec des retards injustifiables, fragilité financière de plusieurs compagnies, absence de produits adaptés aux besoins réels (agriculture, pêche, TPE, transport), faible taux de pénétration du marché (bien en-dessous des standards régionaux), et une régulation souvent réactive plutôt que proactive.

La réforme arrive donc tard, dans un secteur fragilisé, marqué par une plongée continue de la confiance des assurés.

Un protocole d’engagement, mais où sont les mécanismes contraignants ?

La BCM et l’APAM ont signé un protocole d’engagement prévoyant : une validation des conclusions du forum consultatif, une instance de pilotage conjointe, des rapports annuels, et une coopération renforcée entre public et privé.

Si ces engagements semblent aller dans le bon sens, plusieurs points essentiels restent absents : Quelles sanctions en cas de non-respect des obligations ? Quelles mesures pour garantir la solvabilité réelle des compagnies ? Quel cadre pour protéger les assurés en cas de faillite d’un opérateur ? Quelle stratégie pour réduire les fraudes et les conflits d’intérêts ? Comment éviter que la régulation ne soit capturée par les acteurs qu’elle est censée contrôler ?

Sans réponses concrètes, la feuille de route risque de devenir un exercice technocratique déconnecté du vécu des assurés.

Des promesses renouvelées de transparence… déjà faites par le passé

La gouverneure adjoint de la Banque centrale, Amina Kane, a souligné le caractère stratégique de la réforme, mettant en avant : l’amélioration de la gouvernance, la modernisation du secteur, le renforcement de la confiance, et la qualité des services.

Mais ces engagements rappellent étrangement ceux formulés lors des précédentes tentatives de réforme (2013, 2018, 2021), restées largement théoriques faute de moyens, de volonté ou de contrôle indépendant.

La question demeure : qu’est-ce qui garantit que ces nouvelles promesses ne subiront pas le même sort ?

Une réforme qui repose largement… sur les acteurs mêmes qui ont failli

La présidente de l’APAM, Ezzah Mint Momme, a salué la vision “partagée” qui a émergé des journées consultatives. Cependant, cette vision est portée en grande partie par les opérateurs privés eux-mêmes, dont plusieurs sont régulièrement critiqués pour : manque de transparence, pratiques d’indemnisation contestées, absence de communication financière fiable, faibles investissements dans l’innovation ou les produits à impact social.

Il serait naïf de croire que les problèmes structurels du secteur pourront être résolus en confiant la réforme aux mêmes acteurs, sans mécanismes de contrôle réellement indépendants.

Une modernisation indispensable, mais qui doit s’accompagner d’un véritable sursaut institutionnel La modernisation numérique, la diversification des offres et la protection des assurés sont autant d’objectifs nécessaires.

Mais pour que cette feuille de route ne devienne pas un document de plus placé sur une étagère, le pays doit impérativement : instaurer un régulateur véritablement autonome, imposer la publication obligatoire d’états financiers certifiés, criminaliser les retards abusifs d’indemnisation, auditer la solvabilité réelle des compagnies en activité, et protéger les usagers contre les défaillances systémiques.

Sans ces piliers, les objectifs affichés resteront des slogans.

Une réforme possible… mais loin d’être acquise

La période 2026-2030 pourrait marquer un tournant majeur pour le secteur des assurances en Mauritanie.

Mais ce tournant dépendra moins des communiqués officiels que de : la volonté réelle d’imposer des règles strictes, la capacité à résister aux lobbies du secteur, et l’existence d’un suivi indépendant, public et transparent.

La modernisation ne peut être décrétée : elle se construit dans la rigueur, la redevabilité et la protection effective des assurés.



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