04-11-2012 06:01 - Habib ould Mahfoudh ….L’extinction d’un témoin !

La forte émotion qui a suivi la mort du regretté Habib traduit , outre le respect et la sympathie dont jouissait l’éminent personnage au sein de la classe politique et de la société civile, le douloureux sentiment d’avoir perdu l’une des voix les plus précieuses de la toute jeune opinion publique mauritanienne. Ce sentiment nous sommes nombreux à le ressentir aujourd’hui.
Car au-delà du chagrin provoqué par cette immense perte dans nos rangs , c’est l’esprit national, cette denrée rare qui s’en trouve, tristement, brisé.
Lorsque j’ai rencontré Habib après avoir lu l’un de ses premiers Mauritanides, j’ai été d’emblée frappé par cette contradiction évidente ( du reste remarquée par tous ceux qui l’ont approché) qu’il assumait avec une belle dignité : Le critique acerbe , à l’écrit , s’efface totalement , à l’oral , pour laisser place à un homme aussi affable que doux.
Le contraire ne m’aurait pas étonné. Une fâcheuse tradition bien ancrée chez nous, veut que la critique politique et sociale s’exprime , exclusivement, à travers des joutes oratoires qui garantissent l’effet escompté de la confusion. En effet, des prétendus faiseurs d’opinion trouvaient leur compte dans une cacophonie à ciel ouvert où on peut soutenir une chose et son contraire sans risquer la moindre responsabilité.Où l’on se targue d’être quelque chose tandis qu’on est rien du tout.
En assumant avec un courage inégalé le statut d’écrivain critique , Habib s’est inscrit dans une nouvelle tradition qui a fait et fera, encore, le bonheur de la République. Il s’est acquitté de cette mission d’intérêt public au prix d’une rupture avec sa propre personnalité. Il est bien difficile, pour un écrivain scrupuleux, de signer une opinion sans ressentir , au plan personnel , une déchirure causée par le sentiment de heurter une partie des lecteurs.
Dans un contexte où la liberté d’expression écrite est trop récente pour être , socialement , acceptée
, Habib a , assez tôt , engagé un combat dont l’histoire se souviendra.
Au fil du temps, il était devenu une sorte de témoin lumineux ou plutôt illuminé qui s’allumait au contact de la moindre injustice réelle ou supposée.
Le contradicteur hors pair , le redresseur des torts était là pour nous rappeler que notre vérité ne saurait être immuable et que notre conception de l’intérêt national n’est qu’une opinion contestée par d’autres Mauritaniens.
Dans le débat d’idées , Habib devint un Maitre incontesté , une référence pour les observateurs qui
s’efforçaient , jusque-là , d’analyser les contradictions de la vie politique mauritanienne sur la base des maigres matériaux . La richesse de son œuvre ne pouvait pas passer inaperçue. Elle a été d’une grande utilité pour un paysage politico médiatique en pleine mutation. Sa contribution au pluralisme d’idées est un service rendu pour la nation toute entière. L’extinction de ce témoin , de qualité, est de ce point de vue , un drame
pour la collectivité.
Et puis comment ne pas regretter cet esprit de contradiction qui nous interpellait , qui nous harcelait et qui nous jetait à la figure la précarité de nos certitudes ?
L’éternelle jeunesse incarnée par Habib est une espérance nécessaire. Cette jeunesse qui dénonce , qui conteste et qui critique peut se tromper , peut ne pas avoir raison mais la société, le système ou le parti qui ne la supportent pas ont , toujours, tort.
Comment ne pas garder le souvenir de ce fabuleux talent devenu , avec le temps, un espace de distraction qui nous éloigne de l’horreur de la langue de bois et de l’univers , mortellement, ennuyeux des laudateurs ?
Certes la mort nous arrache le substrat physique mais ne peut et ne doit mettre un terme au bel esprit qui animait le défunt. Ceux qui regrettent, publiquement, Habib n’ont aucune raison de craindre le pathos. Avec sa mort, c’est une partie d’eux-mêmes qui a péri.
L’hommage conduit, obligatoirement, à mettre en exergue la dimension nationale de cet écrivain . En lui , nous avons perdu un leader d’opinion , un intellectuel engagé qui savait imaginer Sisyphe heureux, une figure emblématique de cette société civile émergeante. On s’aperçoit après son voyage vers l’au-delà que la force qui le conduisait à écrire découlait de celle de l’Esprit. La voix qui exprimait des attentes bien partagées était celle d’une philosophie de la vie que la mort ne saurait effacer.
Cette voix qui criait dans le désert était plus forte que toutes les voix de l’Histoire des idées dans cette ‘’ terre des hommes’’.. La voix du regretté Habib exprimait avec élégance les idées d’une époque ! Celle d’une génération qui a voulu mettre fin à la léthargie politique et culturelle par une rupture avec la
littérature de l’approbation. Cette voix pertinente était, avant tout, la sienne mais c’était , aussi, l’une des plus belles voix de la Mauritanie.
« Et toi, âme apaisée ! Retourne vers ton seigneur satisfaite et agrée ! Entre parmi mes serviteurs ! Entre dans mon paradis ! » Coran – Sourate 89 - l’aube –
NB : cet hommage a été publié par la presse locale , notamment le calame et al bayane et je crois , challenge …. en novembre 2001 avant de paraitre dans la revue internationale Africa dont la page de garde ainsi que celle contenant l’article figurent dans les deux photos ci jointes.
Abdel Kader Ould Mohamed