05-12-2013 10:39 - Figures historiques : homme à Mohamed Ould Khayar, 1er maire de Nouakchott

C’est à Kanaoil, actuelle bourgade de l’entrée méridionale de la ville d’Atar, qu’est né vers 1920, Mohamed Ould Aamer Ould Ahmed Ould Khayar Ould Aamer Ould Ibni, de sa mère Houriya Mint Abeid, membre des Ewlad Ibni. Cette tribu serait venue de Chinguitti au XVIIéme siècle.
Ses membres seraient, par ailleurs les demi-frères maternels des Smacides, avec lesquels ils émigrèrent du « Dhar » (dorsale) de l’Adrar vers Atar, l’épicentre de son « Baten » (ventrale). Les Ewlad Ibni, s’installèrent donc dans la partie méridionale du site d’Atar.
Bientôt, se rassemblèrent autour d’eux de nombreuses familles et ou fragments de tribus issus du peuplement d’Azougui, la citadelle almoravide à 8 kms à l’ouest d’Atar,ou venues s’installer dans le sillage de l’Emirat ou chassées par les guerres et autres calamités dévastant d’autres régions du pays ou de ses voisins ou simples transfuges ou égarés de route venus se réfugier en un havre de paix et de sécurité…
Tout ce monde hétéroclite constitua ainsi l’ensemble tribal Teyzega. Ils transformèrent rapidement le quartier en une prospère oasis tant enviée que convoitée. Et les Emirs de l’Adrar de ce joyau de verdure aux dattes juteuses et réputées décidèrent d’en faire leur chasse gardée et résidence estivale en période de « Guetna » (cueillette des dattes).
Ainsi, bon an, mal an, de juin à Août, le campement Emiral ou « Hilla » débarque à Kanaoil et y passe la « Guetna« . Kanaoual et sa palmeraie seront magnifiés par la verve de beaucoup de poètes et notamment le fameux M’Hammed Ould Tolba El Yacoubi qui, au milieu du XIXe siècle, comparaît « les sveltes beautés aux palmiers effilés de kanaoual » .
Avec ses frères et le reste de sa famille, Mohamed Ould Khayar vécut en ce lieu féérique une enfance équilibrée en un milieu aisé qui disposait d’un cheptel suffisant d’ovins et caprins , d’une imposante « zériba » (enclos de palmiers –dattiers) et d’un habitat convenable. Et le jeune Mohamed apprit par cœur, auprès de l’unique marabout du faubourg, quelques versets de Coran.
Ould Khayar devint incontournable !
Vers 1942, avec son frère aîné Mohamed El Id, il commença par vendre du bétail (« Teyvaya » ou courtiers) et divers commerces pour les Européens, militaires ou prospecteurs venus pour l’évaluation et l’exploitation de la mine de cuivre de Moughrein à Akjoujt.
En 1946, le destin les conduisit à Nouakchott qui ne comptait en ce moment là qu’une centaine d’habitants, et dont l’eau potable venait de Rosso par citernes. Pourtant le village qui s’appelait pompeusement « l’escale » avait le privilège d’être à quelques kilomètres de l’Océan et presque à égale distance de Saint-louis du sénégal , chef lieu du territoire français de Mauritanie, et Atar, la principale ville et la plus grande base militaire du territoire.
Les deux Khayar frères furent parmi les premiers à construire des logements en dur dans cette sebkha hostile, semi- déserte, mais caractérisée par des monticules dunaires, parsemées de cram-cram et d’euphorbes (« vernane« ). Ils ouvrirent les portes de leurs modestes logis à tous les visiteurs, en transit vers ou en provenance de Saint Louis, Akjoujt Atar, bâtissant ainsi une chaîne de relations et une excellente réputation.
Au fil du temps, la popularité de Mohamed grandissait sans cesse. Grâce à sa vive intelligence, sa générosité, son sens de l’hospitalité, sa disponibilité, son esprit d’ouverture, il devenait incontournable, aussi bien pour les administrateurs coloniaux qui passaient par son intermédiaire pour régler plusieurs services, que pour ses compatriotes, qu’il recevait à bras ouverts et auxquels, il aplanissait toute difficulté de quelque nature que ce soit. Son petit commerce se développait de même.
Un militant engagé.
A la création de l’ »Union progressiste Mauritanienne » (UPM), parti crée en 1948, entre autres, par Sidi El Mokhtar N’Diaye ( Ould Yahya Ndiaye) et Mokhtar Ould Daddah, qui seront appelés à avoir un destin en le pays, et trois Emirs : Abderahmane Ould Bakar, Ahmed Ould Aîda et Mohamed Vall Ould Oumeir ainsi que des notabilités des différents cercles d’alors, Ould Khayar se distingua comme militant actif.
Il brilla ensuite par son activisme au congrès de Kiffa , en 1951, par son sens de mobilisation des populations, lors des élections législatives de 1951 et 1956 pour élire le député de la Mauritanie à l’Assemblée française à Paris que Sidi El MokhtarN’Diaye, son ami, et candidat de son parti,l’emporta, par deux fois, sur Horma Ould Bebana le candidat de l’Entente, le parti adverse.
Ensuite, lorsqu’il fallait se prononcer, en septembre 1958, par referendum, soit pour l’indépendance, soit pour le statut d’Etat autonome au sein de l’AOF, il opta prudemment, avec la majorité des notables du pays, pour le « oui » qui passait haut la main (94,2%) .
Puis, en mars 1957, Khayar était aux premières loges quand l’UPM gagnait les élections à l’Assemblée territoriale au cours desquelles son «candidat », Maître Mokhtar Ould Daddah, était élu Conseiller territorial de l’Adrar pour Chinguetti puis, le 20 mai, Vice-président du Conseil du Territoire semi autonome ( suite de la fameuse Loi-cadre dite loi Deferre) de la Mauritanie .
Il adhéra à son discours d’investiture du 20 mai 1957 au cours duquel Mokhtar prononça, à Saint-louis devant l’assemblée territoriale que présidait son autre ami Sidi El Mokhtar sa phrase historique: « Faisons ensemble la patrie Mauritanienne ».
Khayar était aussi prés de Moctar, quand il lançait à ses compatriotes, en juillet 1957, à partir d’Atar son appel aux habitants du Sahara Occidental, alors, colonie espagnole.
IL faisait partie de ceux qui préparaient –pour une meilleure prise en main des destinées du pays-la création du Parti du Regroupement Mauritanien (PRM). Ils réussirent le 2 Mai 1958, lors du congrès d’Aleg à faire fusionner l’UPM et l’Entente .
Le 28 Novembre 1960, l’indépendance de la République Islamique de Mauritanie était proclamée et fêtée en grande pompe, grâce, en grande partie, à l’engagement patriotique du chef d’escale d’alors Mohamed Ould Khayar et de ses comités (préparation matérielle, tentes, hangars, mobilisation des cavaliers, chameliers, troupes folkloriques, écoliers etc).
Inlassable, nous retrouvons Khayar et les « amis de Khayar » qui recommencèrent les mêmes campagnes qui réussirent le scénario de fusion de tendances opposées en 1961 au sein du Parti du Peuple Mauritanien (PPM) dans lequel, quatre partis : Le PRM, la Nahda, l’Union des socialistes (USMM) et l’Union Nationale Mauritanienne (UNM) se fondirent en un parti unique
Mohamed Ould Khayar a, également, accompagné Maître Moctar Ould Daddah, et ses compagnons d’alors, dans l’œuvre Oh ! Combien ambitieuse, noble et difficile de création et progression de la République Islamique de Mauritanie.
Déjà , pendant la période de transfert des services de l’Administration de Saint Louis vers Nouakchott, leur contribution est loin d’être négligeable. Plus tard, Khayar aura à jouer son rôle de véritable chef d’escale en titre de Nouakchott et en fait, sans l’être institutionnellement, de futur maire de la ville naissante (projet).
Il initiait la construction des médinas, réglait les problèmes fonciers, organisait l’approvisionnement en eau, hébergeait et transportait les hôtes, facilitait les communications et surtout drainait les différentes communautés ethniques de Nouakchott, qu’il connaissait et respectait parfaitement, pour l’accomplissement de toutes les actions et cérémonies populaires.
Le 30 juin 1963, Mohamed Ould Khayar, le chef d’Escale était élu 1er magistrat de la toute nouvelle capitale du pays. Les premières années de l’indépendance, Mohamed Ould Khayar a assuré, en plus de son rôle de maire de Nouakchott, plusieurs responsabilités, surtout à la tête du PPM dont il a été secrétaire général de la Section de Nouakchott, puis Secrétaire fédéral pour Nouakchott, en 1968, lors de la régionalisation du territoire en Wilaya administratives et fédérations du parti et l’émergence du District de Nouakchott comme crypto wilaya.
Lui et toute l’équipe de Moctar avaient continué à servir leur pays, avec autant d’abnégation. Mais il fut congédié de son poste en juin 1978 à la suite de la décision de révocation des responsables politiques et administratifs qui avaient des participations dans des sociétés à but lucratif. Et quelques jours après, ce fût le 10 Juillet 1978, où d’autres Mauritaniens, en treillis ceux-là , jugèrent, unilatéralement, qu’ils étaient capables d’assurer la relève de tous les politiques…ou presque !!!.
Pourtant l’une des premières personnalités que le chef de la junte, le colonel Moustapha Ould Mohamed Salek, demanda à voir était Mohamed Ould Khayar. Celui-ci, en vacances en Adrar, fut convoyé en vitesse pour donner son avis et dispenser ses précieux conseils à , l’équipe nouvelle. Et il resta incontournable comme de juste…
Ould Khayar en privé !
Mohamed aimait se chausser galamment de babouches blanches ou jaunes ;Enrouler soigneusement un grand turban blanc ou bleu sur la tête et se draper superbement d’un Kaftan « Mouritane » (chemises à courtes manches, sans col) , un « Sirwal » (seroual en français) bouffant a ceinture en cuir rouge « Kchatt » et un joli boubou toujours neuf. Il avait un goût particulier pour les parfums de marque ainsi que le tabac trempé dans l’ambre liquide et tamisé finement.
Au cours de ses séjours de repos à Atar, Mohamed passait le plus grand de son temps à Kanawal et Kseir Torchane, dans lesquels il s’exerçait, tous les après midi, au tir à la cible ou au jeu de « Dhamet » (damier sur sable). Il ne pouvait cependant manquer, certaines matinées , l’assemblée des amis à Lebreiza, ce haut lieu d’Atar où cohabitaient la résidence émirale, celle de dignitaires religieux et une population diversifiée…
Là , il retrouvait la diversité de l’Adrar dans toute sa richesse humaine et politique. Tous, échangeaient dignement et respectueusement, taquineries, insinuations verbales, sagesse, culture populaire, injonctions au patriotisme et au civisme etc.
Autour du thé, des grillades de brochettes et pain croustillant rouge, que seul savait préparer savamment et distribuer sympathiquement Kaza Ould Beydiya, maître boulanger, plein de verve, de gaîté et de générosité et des plats juteux de cous cous de blé et orge ou des galettes de blé ( les fameuses « ksour ») cuites enfouies en terre ou sur un poêle.
Comme tous les hommes respectables, Ould Khayar avait droit à des louanges et expressions de reconnaissance de la part de certains poètes et surtout les Zawaya de cette « Guebla » avec laquelle il s’est, en définitif, confondu et en qui il s’est fondu pour ce qu’il leur faisait de bien à eux, à pauvres et à nécessiteux, riches et puissants.
Khayar était de la Djemaa, lorsque l’érudit émérite Bouddah Ould El Boussairy, qu’il vénérait et appuyait, prenait le flambeau de l’Imamat de la mosquée « El Atigh » (principale) de Nouakchott. En tant qu’homme public, on attribuait à Khayar des anecdotes parfois…. invraisemblables. Il animait les cercles avec vivacité et humour !
Décédé en 1986, Khayar a laissé après lui, quatre filles et un fils unique. Puissent les cadres et Maires d’aujourd’hui, très instruits, propulsés à leur poste par de grands ensembles tribaux, disposant de moyens énormes, bénéficiant des progrès technologiques, ne gérant que des communes à population limitée, tirer leçon et exemple de « El Marhoum« Mohamed Ould Khayar, l’homme qui n’avait pas eu besoin du savoir livresque et les titres ou diplômes pompeux pour être ingénieux, efficace, excellent administrateur et gérant et, pardessus tout, un homme de cœur par la compassion et le courage moral et physique.
Que Dieu nous joigne à lui en première classe « El Virdewss« , au sein du Paradis : « Allahouma Amine » ! Et Plus que la dénomination d’une école, il mérite qu’un grand axe routier ou une grande avenue porte son nom. Pour l’Histoire et pour l’équité, c’est là un minimum.
Ely Salem Khayar