02-05-2016 01:30 - La Mauritanie en transition démocratique :
Le Calame - Quoique argumentées par une étude de la chronologie historique et des entretiens à Nouakchott avec les principaux acteurs politiques du passé et du moment, les vues qui suivent sont subjectives et discutables ;
leur auteur en sollicite même la discussion autant de la part des Mauritaniens, premiers concernés par l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes, que des observateurs sur place.
La Mauritanie en transition démocratique :
dixième mois
p. 1 Ce qui s’impose est visuel
p. 3 L’unité actuelle de lieu, Nouakchott
p. 4 Le processus en cours est original, malgré des analogies
p. 5 La complexité de la situation
p. 5 1° les circonstances du « changement »
p. 5 2° le processus arrêté est pour une part contraint
p. 6 3° la forme de la prochaine dévolution du pouvoir est sans précédent
p. 7 4° les urgences à traiter par le futur pouvoir
p. 7 Les inconnues sont nombreuses
p. 7 1° les enjeux constitutionnels ne sont pas vraiment compris
p. 8 2° l’alternance au pouvoir
p. 10 3° le futur élu du printemps 2007
p. 10 la candidature politique traditionnelle et moderne : Ahmed Ould Daddah
p. 10 la symbolisation sociologique : Messaoud Ould Boulkheir
p. 11 la dialectique : l’ascendance kadihine
p. 12 Quelle sera la signification du referendum du 25 Juin 2006 ?
Ce qui s’impose est visuel. Le pays n’a jamais été bruyant, ni au propre, le désert ne fait pas porter les voix ni les bruits, il donne à apercevoir, il propage des rumeurs, il a ses circuits qu’on ne connaît qu’immémorialement, de tradition, mais pas de connaissance acquise – ni au figuré que serait une propagande en donnant une image, plus ou moins forcée.
Il est ouvert, il l’a toujours été, il est parcouru, il se donne à voir et reçoit du voyageur, de l’observateur son image et sa définition. Il y a adhère ou n’y adhère pas, l’étranger ne peut pas vraiment le discerner.
Le Mauritanien – quelle que soit son origine sociale ou ethnique – juge l’étranger, juge le pouvoir politique du moment, et ce pouvoir, même national depuis bientôt cinquante ans, lui est toujours un peu étranger, selon l’image qui lui est donnée de lui. Elle lui importe et il en est cependant désintéressé.
La piété sincère, la pratique de la prière autant personnelle que collective, toujours aussi répandue mais ne donnant pas forcément lieu à approfondissement intellectuelle, même chez les élites, s’est combinée – en Mauritanie – avec le désert, un désert accentué et agrandi par la sécheresse de trente ans, qui semble aujourd’hui à peu près révolue, pour produire une psychologie vis-à -vis du monde qui est particulière :
un fatalisme faisant conclure qu’on ne peut rien à ce que l’autre pense de soi, un orgueil de soi tenant sans doute à une constatation générale de parvenir à rester soi-même malgré les époques, les difficultés, les changements d’ambiance, la pauvreté ou les phases fastes, et donc au total une sorte d’indifférence, car tout serait superficiel au regard d’une pauvreté assumée. La Mauritanie jouxte depuis toujours, mais dans la patience et la dignité, ce qui ailleurs serait une disparition.
Ce qui est visuel, c’est l’immensité peu ordonnée d’une capitale tracée en 1957-1958 pour 50.000 habitants au plus et qui avoisine – depuis dix-quinze ans – selon les aléas climatiques, le double du décuple. Très aérée à son origine, jouant au maximum de l’espace, Nouakchott des années 1960 et 1970 ne refusait pas le désert et en faisait même l’élément essentiel de son ambiance.
Tout est aujourd’hui brouillé, même si un certain style se dégage des maisons, souvent luxueuses qui disposées selon des plans en quartiers assez individualisés pourraient rappeler les alentours – précisément… – des grands édifices mozarabes d’Andalousie, les orangers en moins. Le boubou, la melahfa restent l’image généralité de l’habillement, même dans la capitale : le jean est rare, même chez les jeunes garçons, pas de femmes ni de jeune fille en pantalon.
Mais les broderies du boubou, aujourd’hui confectionnées à la chaîne et à la machine, auraient été jugées de très mauvais goût, c’est-à -dire fleurant le Sénégal ou le Mali, même par les originaires de la vallée du Fleuve, il y a quarante ans ; elles sont lourdes, trop voyantes.
Ce qui est visuel, c’est l’ensemble des palais présidentiels. A l’origine, les bureaux du Président de la République – Moktar Ould Daddah, de 1957 à 1978 – se logeaient dans un simple bâtiment à la façade de pierres brunes d’Atar.
De là allait une avenue, celle de l’Indépendance, le long de laquelle sont alignées les anciennes constructions de l’Assemblée nationale, de l’hôtel des députés, de la Chambre de commerce, de la poste à laquelle était venue s’ajouter la Banque centrale. Un vaste quadrilatère planté d’eucalyptus séparait de l’alignement des ministères, tous de même type, une alternance de bâtiments à deux étages pour les bureaux et de constructions basses à patio pour chacun des membres du gouvernement.
Une autre avenue bordait, à la perpendiculaire le tout, on allait alors soit à l’aéroport en laissant à sa gauche une mosquée, dite aujourd’hui celle de 1963, archi-simple, soit vers le ksar bien distinct de la capitale. Aujourd’hui, il n’y a plus d’espace, les villas des origines sont emmurées, les ambassades aussi. Pas plus que celui de 1964 se substituant aux projets fondateurs, le plan directeur de 1985 n’a été respecté.
L’ensemble présidentiel détonne ; les ministères de la Défense et des Affaires étrangères semblent blottis à son ombre comme des annexes ; l’architecture grise, symétrique, silencieuse n’exprime pas le pays mais un pouvoir autiste, tel qu’il fut effectivement – à proportion même que s’édifiait ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « la façade démocratique », qui satisfaisait au discours de La Baule et à l’ambiance ayant prévalu dans le monde à la chute du mur de Berlin.
Les intérieurs trop vastes, rappelant évidemment les bâtiments de facture soviétique, quoique le constructeur à Nouakchott ait été la Chine populaire, respirent la solitude, un silence où la vie n’a jamais sans doute pénétré.
Ce n’est pas la nudité simple et sobre des années 1960, c’est le vide. Des grilles d’apparat à l’entrée, mais une enceinte bétonnée et des tours édifiées depuis peu, de section circulaire, à la hâte : ces précautions sont inusuelles en Mauritanie, des automitrailleuses, la nuit, sont encore aux angles du périmètre présidentiel.
Tout proches habitent deux des principaux candidats à l’élection présidentielle de l’an prochain, demeures semblables aux autres, silencieuses comme le reste de la capitale : Ahmed Ould Daddah et Messaoud Ould Boulkheir. Personne des Mauritaniens ne demande cependant la désaffection de ces bâtiments, si représentatifs d’un régime et si peu du pays : ils ont coûté très cher.
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Ainsi, peut se voir le décor de la politique mauritanienne qui – pour le moment se joue dans la capitale – après que les frontières sahariennes puis celles de la vallée du Fleuve aient été l’obsession des années 1975 à 1984 pour les premières, de 1986 ou 1987 à 1991 pour les secondes. Unité de lieu. Unité des personnages aussi.
La question du Sahara n’avait pas tant divisé les Mauritaniens entre tenants ou adversaires de la guerre – si celle-ci avait été gagnée ou s’était résorbée, l’unanimité serait demeurée pour se satisfaire de l’aubaine d’avoir eu part à la décolonisation de la possession espagnole – qu’elle avait durablement posé la question de savoir si certains d’entre eux n’étaient pas eux-mêmes des Sahraouis, rêvant d’une Mauritanie uniquement septentrionale et chamelière.
En réponse, pas même insidieuses mais ouvertes et, selon beaucoup, excessives, se publièrent et se manifestèrent des pétitions d’identité « négro-africaine » : le néologisme, au moins pour la Mauritanie, ainsi que celui de « négro-mauritanien », a attesté depuis le milieu des années 1980 un changement certain.
Latentes dans les années fondatrices, ces expressions et réclamations se diluaient dans l’intégration au Parti unique et une expression prudente et sereine de l’ensemble mauritanien par Moktar Ould Daddah ; elles éclatèrent à partir du printemps de 1986 et le différend, sanglant, avec le Sénégal, entrainant des atrocités et des transferts de populations de part et d’autre du Fleuve – quoique sans la moindre analogie de nombre entre les deux pays – ajouta beaucoup à cette mise en cause de la constitution-même de la nation mauritanienne.
Ces deux interrogations – une identité seulement septentrionale ? Une identité, allant jusqu’à une possible sécession, des originaires de la vallée du Fleuve ? – ont été patentes dans les années 1980 puis mises sous le boisseau d’une dictature d’autant plus efficace de 1992 à 2005 qu’elle avait l’apparence élective et le soutien de ce qui est appelé, sans que ce ne soit jamais défini, « la communauté internationale ».
Mais – fait majeur pour l’Afrique – la Mauritanie a survécu dans la composition et même l’expression de son fondateur de 1957-1960. Il y a fallu des rumeurs et étranglements de complots à répétition de 1980 à 1991(1)– le pouvoir de fait, en se défendant contre tout compétiteur militaire ou civil, s’imposait comme référence, même si elle était arbitraire – forçait, et un système de pouvoir à la fois personnel et taciturne, sans charisme mais très efficace pour unifier les Mauritaniens dans une mentalité d’assujettis attentistes qui peut, à certains égards, leur correspondre quand les vents sont contraires : la colonisation, la dictature.
Le pays sort de ces époques – complots, fraude électorale, massacres sans procès, procès sans fondements – curieusement intact, mais atone. Ni fatigue ni enthousiasme apparents. Les Mauritaniens ont pour la troisième fois en moins de trente ans, mis en œuvre une façon de renverser l’ordre gouvernemental existant : le coup d’Etat militaire (2), mais cette fois-ci est originale, malgré des apparences d’analogie(3).
Deux éléments tranchent : l’engagement des auteurs de ce qui est appelé le « changement »(4), de ne briguer aucun des mandats électifs proposés au pays à l’automne de 2006 et au printemps de 2007 ; la mise en place d’une commission nationale électorale indépendante, dont la composition a été consensuelle.
Ils ont été sanctionnés par un exercice sans précédent – sauf à se souvenir des séminaires du Parti du Peuple Mauritanien tenus dans chacune des régions et dans la capitale de 1969 à 1971 et qui firent le ralliement d’une nouvelle génération, celle des jeunes cadres formés à l’étranger, donc à la démocratie occidentale : du 25 au 29 Octobre 2005 ont eu lieu des journées de concertation, préparées par deux mois d’auditions et de réflexions en comités interministériels.
Les Mauritaniens ne sont pas exubérants, et moins prolixes qu’on pourrait parfois le croire en tête-à -tête. Et la forme atavique de leur démocratie est la réunion informelle, aboutissant, après du temps, à un consensus sur des points pratiques. Il n’y a pas de milieu en Mauritanie entre les vues les plus philosophiques et générales sur soi et la société (plus que sur le monde).
Ainsi est-on arrivé, avec procès-verbaux à une forme de conduite collective de la période transitoire, celle consacrée à un calendrier électoral et très accessoirement à la gestion des affaires courantes. Depuis fonctionnent deux instances informelles : un « cadre de concertation des partis » (C.C.P.) et une réunion périodique des partis à la présidence du Conseil militaire, animée par le ministre, secrétaire général de la présidence.
Le premier est plutôt contestataire, tout en restant inscrit dans le processus proposé par les initiateurs du « changement » intervenu le 3 Août ; le second décide de points importants, restés en suspens après les journées de concertation(5). Parallèlement, le gouvernement et le plenum du Conseil militaire tiennent les rôles de l’exécutif et du législatif, en fait du délibérant constitutionnel, le premier proposant au second ; c’est ainsi qu’a été arrêté puis publié le projet de révision de la Constitution du 20 Juillet 1991 qui sera soumise au referendum le 25 Juin prochain.
L’ensemble est transparent, ce qui est une différence de plus – très remarquable – avec les gestations qui, de Juillet 1978 à Janvier 1980, placèrent au pouvoir le colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla, puis, d’Avril à Décembre 1991, décidèrent de la « façade démocratique » derrière laquelle s’accentua le régime autoritaire du colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, déjà très peu collégial depuis sa prise de pouvoir en Décembre 1984.
(A suivre)
1 - les principaux : 10 Juillet 1978, renversement du président Moktar Ould Daddah ; 6 Avril 1979, avènement d’un homme fort Ould Bousseif, supplantant de fait Mustapha Ould Mohamed Saleck ; 4 Janvier 1980, concentration des pouvoirs au profit de Mohamed Khouna Ould Haïdalla ; 16 Mars 1981, tentative des colonels Ould Sidi et Ould Abdelkader ; 6 Février 1982, arrestations de l’ancien chef d’Etat, colonel Moustapha Ould Mohamed Saleck et de l’ancien Premier ministre Ould Bneijara, accusé d’avoir tenté un coup d’Etat ; 17 Mars 1982, découverte d’un complot « baassiste pro-irakien » ;
12 Décembre 1984, prise de pouvoir du colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, chef d’état-major profitant de l’absence du lieutenant colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla au sommet francophone de Bujumbura ; 7 Septembre 1986, arrestation d’opposants accusés d’atteinte à l’unité de l’Etat, parmi lesquels de nombreuses élites mauritaniennes originaires de la vallée du Fleuve, quelques-unes mourront en prison ; 22 Octobre1987, semblant de coup d’Etat militaire par des officiers Toucouleurs et trois exécutions ; 6 Décembre 1990, tentative prétendue de coup d’Etat et, dans les semaines qui suivent, massacre de 500 militaires Toucouleurs
2 - 10 Juillet 1978 mettant fin à la période fondatrice du président Moktar Ould Daddah ; 12 Décembre 1984 remplaçant le lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla ; 3 Décembre 2005 déposant le colonel-président Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya
3- Charte constitutionnelle du 6 Août 2005 dissolvant les institutions représentatives, donnant le pouvoir législatif à un collège de militaire et à son président la direction de l’exécutif ; celle-ci renoue avec la série de celles intervenues de 1978 à 1985 : 10 Juillet 1978 publiée le 21, 11 Avril 1979, 4 Janvier 1980 et 9 Février 1985
4- dans les premiers jours, celui de « rectification » avait été employé en reprise du vocabulaire des « révolutions de palais » de 1979 et de 1980 ; en 1984, Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, prenant la place de Mohamed Khouna Ould Haïdalla qui participait au sommet franco-africain de Bujumbura, expliqua son initiative par le mot de « restructuration »
5 - ainsi, le vote par bulletin unique, empêchant l’électeur d’amener à un éventuel acheteur de son suffrage la preuve de son allégeance ; ainsi, la possibilité évidemment critiquée par les partis, que soient aussi recevables les candidatures en dehors d’eux
Bertrand Fessard de Foucault
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Nouakchott, 16 Avril & Reniac, 9 Mai 2006