05-08-2024 00:00 - France-Maroc : les dessous d’une réconciliation

France-Maroc : les dessous d’une réconciliation

Le Télégramme - Les Marocains sont contents et les Algériens furieux. La France a reconnu la marocanité du Sahara occidental sous l’égide du Plan d’autodétermination de l’Onu. Dénouement d’une crise majeure entre Paris et Rabat.

Conversation, il y a deux mois, avec Malika, designer à Tanger : « La perception que j’ai de la France vient des médias. Je me sens perpétuellement agressée par CNews. Ce n’est pas un complexe d’infériorité, je suis riche de la double culture franco-marocaine. Nous avions auparavant des dîners amicaux avec des résidents français. C’est fini. Avant cela, le problème des Arabes en France ne me concernait pas mais je me sens attaquée et insultée ».

Propos virulents d’une jeune femme ayant été scolarisée au lycée Lyautey, à Casablanca, avant des études supérieures en France.

L’affrontement feutré qui se limitait au cercle politico-médiatique avait, en effet, infusé parmi les élites marocaines à fleur de peau pour cause de restrictions des visas. « Une décision politique appliquée de façon bureaucratique. Et une humiliation pour ceux qui nous sont favorables et estimaient naturel d’aller et venir des deux côtés de la Méditerranée depuis la nuit des temps », note un diplomate.

« Peut-on encore compter sur la France ? »

Le président Emmanuel Macron avait déjà commis un crime de lèse-majesté en donnant le sentiment de s’adresser au peuple par-dessus le roi Mohammed VI lors du séisme de septembre dernier. « On s’est dit : pour qui vous nous prenez pour nous parler d’une manière aussi frontale ? Peut-on encore compter sur la France ? La dernière fois que Macron est venu ici, c’était en 2018 et ce n’était pas une visite officielle », me confiait, à Casablanca, Mohamed Douyeb, qui dirige « L’Hebdo ». Tout en avertissant : « Attention à ne pas entrer dans une escalade permanente par des faits surinterprétés ».

Afin de juguler ce climat déliquescent, le rôle de l’ambassadeur de France, Christophe Lecourtier, aura été déterminant. Au début de la crise, le diplomate n’était plus reçu dans les milieux officiels et se contentait de rencontrer la société civile. L’appui du lobby marocain à Paris, aura pesé, notamment celui de la ministre de la Culture, Rachida Dati, originaire du Royaume. Ou du président de la Fondation des Musées, Medhi Quotbi, devenu proche de Brigitte Macron. Ou encore de Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe. Sans oublier celui de Nicolas Sarkozy ayant expliqué à Emmanuel Macron qu’il n’y avait rien à attendre de l’Algérie.

La France, premier investisseur au Maroc

L’Élysée aurait commencé à en prendre conscience après la visite à Paris du chef d’état-major algérien n’ayant donné aucun résultat escompté, pas plus dans le domaine industriel que dans celui des ventes d’armement. « Bernard Émié (ancien ambassadeur en Algérie) a induit en erreur le chef de l’État en lui faisant croire qu’il pourrait réconcilier la France et l’Algérie », glisse un familier du Palais royal. L’ambassade de Rabat s’est donc employée à cautériser la crise politique en fixant un nouvel agenda économique.

C’est que la France, dont le PIB est dix fois supérieur, demeure le premier investisseur au Maroc, loin devant l’Espagne, avec 200 000 emplois directs à la clé. Un tiers des touristes français contribuent pour 10 % au PIB marocain, auxquels il faut ajouter le poids des 50 000 résidents français. Enfin, un investissement de 300 millions d’euros a été proposé à Dakhla, tout comme une ligne électrique à haute tension reliant ce haut-lieu du kite-surf à Casablanca. Un chauffeur de taxi m’a dit : « Mais mes grands-parents ont fait la Marche verte. Le Sahara, c’est à nous. Prenez une position tranchée ».

Partenaire incontournable

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, lors de son passage en avril, a également fait des ouvertures sur le nucléaire dans ce pays qui ne possède que des centrales thermiques à charbon, et auquel l’Agence française de développement (AFD) verse 400 millions d’euros annuellement, le plus gros budget de la zone. Mais il fallait au préalable purger le cas Stéphane Séjourné. C’est lui qui, en tant que président du Groupe Renew avant de devenir patron du Quai d’Orsay, avait attaqué le Maroc sur le thème des droits de l’Homme et de la liberté de la presse au Parlement européen. Sa visite à son homologue Nasser Bourita, qui se rendra ensuite à Paris, se sera finalement bien passée. Preuve, malgré leur susceptibilité et les codes à respecter, que les Marocains sont pragmatiques.

La France restera encore longtemps un partenaire incontournable pour le Maroc qui est un enjeu de sécurité nationale, comme l’a bien compris Gérald Darmanin. La communauté marocaine en France est suivie de près par les autorités du Royaume.

La visite du ministre de l’Intérieur sera d’ailleurs suivie d’une rencontre du patron de la DGSE, Nicolas Lerner, successeur de Bernard Émié, pour accroitre la coopération sur les Jeux olympiques avec son homologue Abdellatif Hammouchi. Un homme tout puissant depuis qu’il coiffe la Direction de la surveillance du Territoire (DGST) et la Police nationale qu’il a considérablement modernisée.

Tous ces efforts ont finalement abouti au message de satisfaction adressé au président de la République par le souverain chérifien. Que de chemin parcouru depuis que le roi avait raccroché au nez du chef de l’État qu’il ne voulait plus prendre au téléphone.

Par Notre envoyé spécial au Maroc,
Hubert Coudurier





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