04-10-2012 08:30 - Hawa Ndiaye pour la préservation de la teinture en Mauritanie
Hawa N’Diaye, teinturière mauritanienne de talent et femme d’initiative, Présidente de la Coopérative SUMPOU et Coordinatrice de l’Union des teinturières de Kaédi « Femmes et Développement » nous en parle.
La Foire de Paris, chaque année, nous donne à voir le travail de milliers de créateurs et artisans et nous a permis de rencontrer certains d’entre eux, fidèles habitués des lieux. Parmi eux, citons Hawa N’Diaye, teinturière mauritanienne, une habituée des salons d’artisanat internationaux et des expositions textiles.
Elle y représente la Coopérative SUMPOU (« fraternité » en soninké) de Nouakchott, dont elle est à la fois la créatrice et la présidente. Sur le stand qu’elle partage avec M. Mohamed Salem Sidi Bowba, Président de l’Association pour la Sauvegarde de l’Artisanat en Mauritanie, elle expose des melhafas, ces voiles dont se parent les femmes maures.
Hawa N’Diaye est l’aînée de 9 enfants d’une famille Soninké originaire de Kaédi. Comme bien des petites filles Soninké de l’époque, elle s’initie à la teinture auprès de sa mère.
Suite à son mariage, Hawa N’Diaye quitte Kaédi pour la capitale, Nouakchott, où elle travaille 20 ans comme secrétaire dans l’Administration et élève ses 8 enfants. En parallèle, elle développe son activité de teinturière dans son arrière-cour et commerce ses premiers voiles auprès de ses collègues de bureau. Par la suite sa clientèle s’élargit et en 1994, Hawa N’Diaye crée la Coopérative SUMPOU. Quelques années plus tard (2000), elle quitte l’Administration, pour se consacrer entièrement à SUMPOU. La Coopérative regroupe aujourd’hui 55 femmes Maures, Peuls ou Soninké de tous âges.
En femme énergique et intimement kaédienne, Hawa N’Diaye s’implique également dans l’organisation des teinturières de Kaédi et devient coordinatrice de l’Union des teinturières de Kaédi « Femmes et Développement ».
Teinture en Mauritanie
Les villages sis le long du fleuve Sénégal, aujourd’hui mauritaniens, maliens ou sénégalais sont le berceau de la teinture telle qu’elle se pratique aujourd’hui en Afrique de l’Ouest. Les Soninké (appelé encore Sarakollé), peuple à l’origine de l’art de teindre, l’ont transmis de génération en génération au cours des siècles passés. Au XXème siècle, d’activité strictement familiale, la teinture devient progressivement une activité commerciale.
A l’époque coloniale, les produits manufacturés importés envahissent les marchés, notamment les textiles industriels. Les bandes de coton tissées localement sur des métiers rudimentaires depuis des siècles disparaissent peu à peu au profit du basin, support textile des boubous féminins portés par les Soninké et les Peuls et des complets masculins portés par les Mauritaniens. Seuls quelques tisserands exercent encore leur métier.
Les grandes sécheresses des années 70 provoquent l’extinction des plantes indigofères et du savoir ancestral de la teinture végétale. Peu de femmes peuvent encore témoigner de la pratique de l’indigo. Elles conservent avec amour quelques feuilles d’indigo pilées et séchées au fond de leurs armoires tout comme elles gardent précieusement les pagnes indigo qui constituaient les trousseaux des mariées Soninke.
L’art de teindre n’est pas mort pour autant ; les femmes s’approprient désormais les techniques de la teinture chimique. En usage à Kaédi bien avant les années 70, la teinture chimique remplace de façon définitive la teinture naturelle. Elle séduit les teinturières par sa facilité d’emploi, et attire les clientes par sa panoplie infinie de couleurs. Les motifs ancestraux demeurent mais les nouveaux textiles en permettent un rendu plus fin, des mariages plus subtils, symboles de raffinement et d’élégance, ou d’audace.
Kaédi, capitale du Gorgol, conserve sa place comme capitale de la teinture en Mauritanie alors que se développe un autre pôle, non moins important, Nouakchott. La production se diversifie et toutes les femmes s’y adonnent, qu’elles soient Peuls, Mauresques ou Soninké.
De nos jours, les teinturières de Nouakchott sont particulièrement réputées pour leur esprit créatif et pour l’art de marier motifs et couleurs même si les teinturières de Kaédi demeurent réputées pour leur dextérité à manier la teinture et la qualité de leurs réalisations.
Motifs de Melhafas réalisés par les teinturières de la Coopérative SUMPOU
Les pièces de Guinée, étoffe de coton unie bleu foncé importée par les marchands européens, étaient autrefois utilisées par les femmes maures pour s’en draper. Elles ont été définitivement remplacées par les melhafas, grands voiles de coton (4m50 x 1m70) bien plus légers décorés et colorés par les soins des teinturières. Les teinturières mauritaniennes maîtrisent parfaitement les différentes techniques qui permettent d’obtenir toutes sortes de motifs et de couleurs.
Hawa N’Diaye répond aux questions de UFFP :
Vous êtes une actrice importante au sein de la mode du voile à Nouakchott. Que pouvez-nous dire de la mode actuelle ? des obstacles que vous rencontrez pour sa diffusion ?
En effet, il y a une mode du voile, une question de couleurs et de motifs. Par exemple, nous utilisons les couleurs claires pour la saison chaude et les couleurs foncées pour la saison froide. Les motifs à la mode changent avec le temps. Certains disparaissent pour ensuite réapparaitre sous une autre forme. Le voile à la mode se vend beaucoup plus cher.
Mais chez nous la mode ne se diffuse pas comme dans les autres pays. Tout d’abord, il n’y a pas de défilés de mode en Mauritanie et cela constitue un obstacle important. En vérité, les défilés de mode ne jouissent pas d’une bonne réputation. Beaucoup de Mauritaniens, et même les autorités du pays, n’y sont pas favorables. Les modèles présentés dans les défilés de mode de la sous-région sont souvent trop révélateurs du corps féminin, ce qui ne peut être admis dans notre pays. Cela ne nous empêche pas d’envier ce qui se fait à Dakar, à Ouagadougou ou à Bamako. Voir le voile transformé en robe nous fait vraiment plaisir.
Nous n’avons pas non plus la tradition, comme au Mali, de la griotte qui fait valoir les nouveaux modèles des teinturières les plus réputées. Ici, la mode c’est le bouche à oreille, les boutiques du voile du marché du 6ème (El Mina), les mariages, les baptêmes…
Et puis, nous nous heurtons à un autre obstacle : le manque de stylistes. Il y a bien quelques écoles de couture mais pas de formation de véritables stylistes. Si nous avions des stylistes, nous pourrions développer de nouveaux modèles, des produits finis. Nous aurions ainsi davantage de débouchés, surtout au niveau international. Il est vrai que la teinture mauritanienne est connue et appréciée : il se vend des tonnes de voiles dans les pays voisins et même au Niger et au Tchad. Mais ça ne suffit pas : les teinturières sont très nombreuses et il n’y a pas assez de débouchés. Ces dernières années, notre coopérative a quand même eu la chance de travailler pour une femme d’affaires californienne qui nous achète nos voiles par centaines et nous passe des commandes de linge de maison.
Vous avez fondé une coopérative. Pourriez-vous nous expliquer quels sont pour les teinturières les avantages du travail au sein d’une coopérative ?
Les avantages sont vraiment nombreux. La coopérative permet aux femmes de s’entraider, d’échanger des idées, des savoir-faire, de partager certaines tâches, d’acheter les tissus et les produits de teinture pour mieux les rentabiliser et faire des économies d’échelle. Les femmes travaillent chez elles pour faire les réserves (technique de décoration) puis elles se réunissent environ une fois la semaine dans une maison louée par l’association pour faire la teinture ensemble. La coopérative se charge également de la vente de sa production. Il n’y a pas de salariées. La coopérative établit les prix des voiles, partage les bénéfices entre tous ses membres. Si le voile est vendu plus cher, la teinturière garde la différence pour elle.
Quelle importance revêtent pour les femmes les revenus de la teinture ?
Il est important pour une femme de gagner sa vie et d’avoir son indépendance financière : les hommes nous respectent mieux. Les revenus de la teinture ne permettent pas à toutes les teinturières d’être complètement indépendantes mais ils améliorent le quotidien de la vie de famille, notamment celui des enfants. Certaines femmes, parmi celles qui font de la teinture une activité à plein temps, représentent le soutien financier principal de la famille. Il faut dire que la qualité du travail souffre parfois du fait que certaines femmes doivent travailler vite pour bien gagner leur vie.
Quelles sont aujourd’hui vos préoccupations principales ?
La concurrence déloyale des copies chinoises : les teinturières se sentent dépourvues de moyens pour lutter car il n’y a pas de modèles déposés. Dès qu’un modèle de voile sort sur le marché, les chinois le copient rapidement et le vendent à un prix bien inférieur aux nôtres. La qualité n’est pas aussi bonne mais les clientes modestes les achètent.
Nous sommes aussi sensibles aux problèmes de santé et d’environnement occasionnés par l’utilisation des produits chimiques. Nous nous protégeons avec des gants, des masques. Nous utilisons aussi des cuves pour recueillir les restes des bains de teinture. Mais nous savons que ce n’est pas idéal.
Quels sont vos souhaits les plus chers pour la Coopérative SUMPOU ?
Nous sommes en quête de nouveaux marchés et de nouveaux savoir-faire. Nous avons besoin de programmes de formation en stylisme de longue durée mais nous ne pouvons pas nous offrir les services d’un formateur qui nous apprenne à développer et fabriquer des produits finis à base de textiles teints.
D’une façon générale, il faut développer les opportunités qui mettraient en valeur la teinture. Par exemple, la construction d’un village artisanal à Nouakchott contribuerait beaucoup au rayonnement du travail des teinturières et des autres formes d’artisanat. Le Village artisanal de Ouagadougou nous inspire beaucoup.
Nous aimerions que le Ministère de l’Artisanat et du Tourisme s’implique davantage mais il a de moins en moins de moyens. Sans assistance du Ministère nous ne pouvons pas réaliser ce que nous souhaitons, comme, par exemple, le village artisanal ou encore une présence plus importante dans les foires internationales pour nous permettre de tisser un réseau international élargi.