06-07-2017 15:10 - Un Mauritanien met un point devant « Africa » - Une histoire de persévérance pour l'intérêt général [PhotoReportage]
![Un Mauritanien met un point devant « Africa » - Une histoire de persévérance pour l'intérêt général [PhotoReportage]](media/photos/photo//Domaine_Dot_Africa_0_0256.jpg)
Le Quotidien de Nouakchott - Avant de quitter la Commission de l'Union Africaine(CUA) le 10 mars 2017, le jour de la passation de service entre la Commission sortante et celle nouvellement élue, Mme Dlamini N. Zuma - la Présidente sortante de la commission - s'est assuré que le Nom de Domaine Dot Africa (ou Point-Africa pour la suite) soit lancé.
L'événement n’avait pas été appréhendé comme il se doit même si pendant toute la semaine qui suivra, il fera les manchettes des médias internationaux et particulièrement ceux de l’Afrique du sud. Rien dans la presse nationale. Et pourtant c’est l’histoire d’une réalisation extraordinaire par un de nos compatriotes.
Ce jour du 10 Mars, en présence de tous les membres des deux commissions de l'UA et de l'ensemble de l'équipe de gestion, le chef du département de la société de l'information - Moctar Yedaly - a fait un discours touchant et passionné sur l'histoire et les avantages du Point-Africa et comment il a combattu pendant 8 ans au sein des institutions techniques internationales et le système juridique des États-Unis pour avoir le Nom de Domaine Point-Africa délégué à l’Afrique.
Avant d'aller dans les détails de cette bataille technique et juridique, il est important de de savoir d’abord ce que c’est un système de Noms de Domaine (DNS) et pourquoi il est si important.
Il existe deux ressources essentielles sans lesquelles Internet n'aurait pas existé et sans lequel nous ne pourrions pas accéder à cet Internet: l'adresse IP (protocole Internet) et le Nom de Domaine. Lorsque vous utilisez le World Wide Web (WWW) ou que vous envoyez un message électronique, vous utilisez un nom de domaine pour le faire. Par exemple, « www.organisation.org » contient le nom de domaine « .org ». De même, l'adresse électronique « ministere@yahoo.com » contient le domaine « .com »
Comme il est bien connu, Internet est un réseau d'ordinateurs individuels dans lequel chaque ordinateur doit obtenir un identifiant (parfois unique) qu'on appelle l'adresse « IP ».
C'est une série de chiffres alphanumérique que les ordinateurs utilisent pour communiquer entre eux (c'est leur «annuaire téléphone»). Ils sont difficiles à utiliser ou même à retenir. C'est pourquoi les noms de domaine ont été introduits comme un équivalent humain des adresses IP. Chaque Nom de Domaine est, cependant associé à une adresse IP spécifique.
Dans le monde numérique, les noms de domaine pourraient également être comparés aux coordonnées de positionnement lorsqu'ils sont combinés avec une infrastructure de télécommunications (c'est-à -dire autoroute de l'information) pour vous permettre de conduire et de naviguer sur Internet vers la destination où sont stockées les informations recherchées.
Un nom de domaine reflète d’abord une identité. Il évoque également une certaine appartenance à une entité ou une communauté géographique, géopolitique, ethnique, linguistique ou culturelle. Lorsque vous utilisez .com (lire – Point com), vous souhaitez probablement être associé à des activités commerciales.
Lorsque vous utilisez .int (Point int), vous souhaitez être international, .org - Organisme à but non lucratif, .info, vous êtes susceptible d'être dans le secteur des médias, .eu -vous faites partie de l'Union Européenne ou simplement de l’Europe. Lorsque vous utilisez .mr (Point mr), vous êtes fier d'être associé à la Mauritanie, .ke au Kenya, .za avec l’Afrique du sud, .sn au Sénégal etc.
L'utilisateur et le Domaine reflèteront tous les deux ce à quoi ils sont associés. Un nom de domaine est un véhicule et un outil pour faire partie et contribuer au monde et à l'économie numériques. Un nom de domaine - s'il n'est pas bien géré - pourrait être utilisé pour transmettre des messages inappropriés (xénophobie, racisme, radicalisme) et / ou faire de mauvaises transactions de toutes sortes.
Un Nom de Domain c'est un lien entre votre nom et vos activités - Un miroir par lequel vous êtes vu et perçu. Il peut attirer ou éloigner les opportunités d’affaire. Le nom de domaine est votre identité unique sur Internet - votre adresse dans le cyberespace.
C'est pourquoi il est préférable de posséder et de contrôler certains noms de domaine (surtout les noms géographiques comme Point-Africa – qui est un patrimoine et un héritage africains communs) que d'avoir quelqu'un d'autre qui les possède ou les contrôle et qui pourrait en abuser. C'était l'essence de la bataille pour le Point-Africa que Moctar Yedaly a mené pendant des années assez souvent seul.
L’histoire du Point-Africa – comme l’a écrit le vice-président de la Commission de l’UA S.E Mwencha dans une lettre d'appréciation à M. Yedaly - est l'histoire de "la fermeté, l'ingéniosité et l'engagement ...".
Cette histoire débuta en 2000 lorsque ce nom de domaine a été réclamé par des entreprises non africaines lors du premier round de l’ICANN pour les Noms de Domaine géographique de premier niveau. En réponse, quelques professionnels africains se sont fermement opposés à cette réclamation pour le Point-Africa. Ils ont jugé qu’elle ne répondait pas à l’intérêt du continent.
Pour les prochaines années à venir, ces entreprises étrangères ont changé leur tactique et ont soutenu une ethio-américaine pour revendiquer le Point-Africa. Elle créa une société DotConnectAfrica (DCA) au Kenya et à Maurice et, en 2007, s'est rendue aux sièges de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA) et à la Commission de l'Union africaine (AUC) à Addis Abéba (Ethiopie) à la recherche de soutiens.
Il convient également de noter ici que pendant les années 2003-2008, l'engouement autour des TIC sur le continent était telle qu'il n'était pas difficile pour quelqu'un, en l’occurrence une femme africaine, d'obtenir une approbation pour presque toute nouvelle initiative dans ce secteur.
L'implication des femmes dans les TIC était perçue comme assez originale et le système des Noms de Domaine était relativement inconnu de la plupart des personnes, y compris le leadership africain.
Malgré l’opposition vigoureuse des experts de la CEA et de la Commission de l’UA à sa demande de soutien, DCA arriva à obtenir des lettres de soutien/parrainage signées par le secrétaire exécutif de la CEA et le vice-président de la CUA. Ces deux lettres, en particulier la dernière, seront le centre de la bataille juridique pour Point-Africa pour les 8 prochaines années.
La communauté africaine d'Internet qui grandissait a découvert les lettres. Les commissaires et chefs de départements de la CUA ont également découvert les lettres sur le site Web de DCA. Tout le monde a été surpris par la décision du Vice-Président. La communauté Africaine de l’Internet était furieuse mais ne pouvait rien faire.
Les dirigeants de la CUA ont malheureusement baissé les bras au grand bonheur de DCA qui se réjouissait de la situation. Point-Africa a été abandonnée aux entreprises étrangères par le biais d'un proxy africain.
Mais M. Moctar Yedaly ne l'a pas entendu de cette façon. Il décida d'oser (certains diraient qu’il a risqué) et de parler au secrétaire exécutif de la CEA et au vice-président de la CUA. Il les rencontra individuellement. Le contenu de ces discussions n'a jamais été divulgué.
Toujours est-il qu’à la suite de ces deux réunions, les deux leaders ont décidé chacun à sa manière de changer leurs lettres avec des termes, des conditions et des formulations spécifiques. Point-Africa vient d’être relancé.
Une lettre de "non-soutien" a été envoyée à DCA par le vice-président indiquant que "... la CUA ne soutient plus personne sur cette question et que la CUA passera par un processus de compétition ouvert pour la mise en place du Point-Africa ...". Quant au Secrétaire exécutif de la CEA, son adjoint a envoyé une lettre à DCA retirant le soutien déjà fourni. Sept ans plus tard, la CEA, par le biais de son conseiller juridique, confirmera simplement qu'elle n'a rien à avoir avec le Point-Africa.
En réaction, DCA a commencé de 2009 à début 2017 une campagne contre la CUA par tous moyens possibles. Sur les conseils de M. Yedaly la CUA n'a jamais réagi à aucune des attaques de DCA dans les medias et sur son site. Selon lui la CUA ne devrait pas tomber si bas.
Les différentes conférences des ministres africains chargés des TIC organisées par M. Yedaly et son équipe vont mandater la CUA pour mettre en œuvre le Point-Africa. A partir de 2011, et à la satisfaction de tous les acteurs africains, le projet Point-Africa sera entrepris par la «Division de la société de l'information», nouvellement créée et dirigée par monsieur Yedaly.
La session extraordinaire de la Conférence des ministres chargés des technologies de l'information et de l'information (CITMC) tenue à Johannesburg en décembre 2009 a reconnu les avantages du Nom de Domaine Point-Africa pour l’Afrique et a adopté une résolution (Déclaration d'Olivier Tambo) demandant « la mise en œuvre du Point-Africa en tant que Nom de Domaine continental de premier niveau pour son utilisation par les organisations, les entreprises et les individus africains avec l'aide des agences Internet africaines »
Les mêmes ministres chargés des technologies de la communication et de l'information se réunissant lors de leur troisième session ordinaire à Abuja, en République fédérale du Nigeria, en août 2010, ont demandé à la Commission de l'UA de «mettre en place la structure et les modalités de la mise en œuvre du projet Point-Africa »
Après avoir obtenu le mandat officiel, le défi pour l'équipe la CUA était de répondre aux différentes exigences requises par l'ICANN, notamment i) des capacités techniques prouvées pour gérer un Système de Nom de Domaine (DNS), ii) la viabilité commerciale et, iii) la solvabilité financière. La CUA ne répondait à aucun de ces critères.
Il fallait le faire faire par une institution qui répondait à ces critères sachant que pour marquer la différence par rapport à DCA - qui est soutenue par des entreprises non africaines, l'équipe de la CUA voulait que Point-Africa soit mis en œuvre par des Africains pour les Africains. Il fallait donc denicher ce partenaire technique africain.
L'équipe a adopté un processus d'appel d'offres ouvert et transparent pour permettre aux entreprises, institutions ou individus africains qualifiés de concourir et d'offrir la meilleure valeur en Afrique pour ce Nom de Domaine.
ZA Central Registry (ZACR), une société à but non lucratif basée en Afrique du Sud, a gagné l'appel d’offre et a signé un contrat avec la CUA pour soumettre une demande pour le Domaine de premier niveau Point-Africa et l’opérationnaliser une fois cette demande acceptée (ou déléguée).
Dans l'accord signé entre la CUA et ZACR, les États membres de l'UA fourniraient le soutien politique nécessaire à ZACR pour sa demande pour Point-Africa. ZACR supporterait tous les coûts liés à cette démarche et à l’opérationnalisation du Nom de Domaine.
Après la délégation et l'opérationnalisation, l'excédent des revenus de sera versé à une fondation qui utilisera ces fonds pour Le développement de projets TIC en Afrique. Point-Africa devient donc la première source alternative de financement mise en œuvre par l’Union Africaine.
DCA n'a pas participé à l'appel d'offres organisé par la CUA mais a plutôt soumis une demande à l'ICANN pour le Point-Africa, prétendant que les lettres de soutien susmentionnées des dirigeants de la CEA et de la CUA représentent le soutien nécessaire et requis des gouvernements africains et de la communauté Internet.
Ce à quoi s'est opposé le Comité Consultatif Gouvernemental (GAC) de l'ICANN sur demande des représentants Africains au sein de ce Comité et coordonnés par la CUA et l’Agence du NEPAD (NPCA).
Les deux applications ont été évaluées par ICANN. La demande de DCA n'a pas passé l'évaluation préliminaire. Par conséquent, conformément au guide pour les nouveaux Noms de Domaine géographique de premier niveau de l'ICANN, le Comité Consultatif du Gouvernement (GAC) a édicté une alerte précoce, suivi d'objections formelles et donna un avis consensuel (lors de sa réunion à Beijing en mars 2013) au Conseil d'Administration de l'ICANN de ne pas continuer l’évaluation de la demande DCA pour le point L'Afrique.
Le Comité pour le Programme des Nouveaux Noms de Domaine Géographiques de l'ICANN a demandé donc au personnel de l'ICANN de ne pas approuver la demande de DCA, conformément à «l’avis de Beijing» du GAC et à l'article 3.1 du nouveau Guide du candidat. DCA a donc été notifiée par ICANN que sa demande n'a pas été approuvée.
La demande de ZACR parrainé par la CUA a passé toutes les évaluations, examens et procédures nécessaires, en commençant par l'évaluation initiale au milieu de 2013. En mars 2014, ICANN et ZACR ont signé un accord de registre pour le Point-Africa.
À la suite de cette signature, DCA a contesté et a déposé une plainte au Panel Indépendant d'évaluation de l'ICANN (IRP) qui obligera ICANN à arrêter le traitement ultérieur de la demande de ZACR jusqu'à ce que l'IRP se soit prononcé sur la plainte déposée par DCA.
Dans son plaidoyer pour IRP, DCA a affirmé que l'ICANN n’a pas respecté ses propres statuts en rejetant la demande DCA suite à l’avis du GAC. Malgré le fait que l'ICANN avait signé un accord de registre avec ZACR et se trouvait à quelques jours de la délégation du Point-Africa, le comité IRP a ordonné que le processus soit gelé.
Après plusieurs mois de retard, l'IRP a publié sa déclaration finale le 9 juillet 2015. Dans sa Déclaration, le Comité recommande que l'ICANN continue de s'abstenir de déléguer le Point-Africa et de permettre à DCA de passer le reste du processus d’évaluation. Ce qui fut fait. Encore une fois la demande de DCA n'a pas passé.
DCA déposa alors une plainte au tribunal américain de Californie. ICANN et ZACR engagèrent des avocats et Mr Yedaly a été autorisé par la CUA à témoigner dans l’affaire. Appel après appel, de tribunal fédéral au tribunal de district - Les juges ont finalement donné raison à ICANN et a ZACR en février 2017.
Le 15 février 2017 à exactement 14:58:59, l'extension de Nom de Domaine Point-Africa (www.nic.africa) a été ajoutée à la zone racine, signalant formellement le début d'un nouveau chapitre dans l'histoire de ce Nom de Domaine. Ce fut aussi la fin de 8 ans de batailles juridiques et techniques au cours desquelles le leadership a été remis en question, les ressources ont été gaspillées et les opportunités commerciales perdues.
L'Afrique a finalement obtenu sa propre identité électronique - grâce à la persévérance d'un ingénieur mauritanien.
Cela n'aurait pas eu lieu n’eut été l'engagement de ZACR durant l'ensemble du processus et la persévérance de M. Yedaly qui avait tout initié. Dans sa lettre d'appréciation à ce dernier, le Vice-Président de la CUA écrit: « ... Je voudrais également apprécier le rôle que vous avez joué dans la mise en évidence et la lutte pour Point-Africa contre vents et marrées et pour toutes les chances qui ont le potentiel de générer des ressources pour l'Union africaine, vous êtes allé au-delà Votre appel au devoir et je veux le reconnaître personnellement du fond de mon cœur... »
Le Point-Africa est entré dans sa phase opérationnelle et après trois mois, environ 1003 demandes ont été reçues des plus grands noms (voir encadré) indiquant que Point-Africa est en effet un atout continental précieux et qu'il a le potentiel d'avoir un grand impact sur l'économie africaine et les peuples africains. Point-Africa a été décrit comme «l'un des développements les plus importants pour avoir un impact sur l'Internet africain».
Le Point-Africa est proposé comme un nouveau Nom de Domaine géographique de premier niveau (gTLD) pour la promotion des affaires, des peuples et de la culture d'Afrique dans l’Internet. Il devra ajouter de la valeur à l'espace de noms de l’Internet comme une phrase reconnaissable qui met l'accent sur l'identité africaine et capture l'essence de la communauté africaine.
Point-Africa fournira à l'Afrique des possibilités accrues pour établir sa présence sur Internet. On s'attend à ce que les institutions africaines, les petites et moyennes entreprises bénéficient grandement du Point-Africa, car elles prospèreront au-delà de leurs marchés locaux pour envahir le marché régional et continental.
Plus ces acteurs utiliseraient le Point-Africa, plus ils favoriseraient une communauté diversifiée et dynamique dans l'espace numérique africain et réaliseraient le potentiel d'Internet comme plate-forme pour la croissance économique.
Point-Africa créera un hébergement régional attrayant pour la communauté de l’Internet panafricain. En tant que premier registre parrainé en exploitation en Afrique et, par conséquent, répondant aux besoins spécifiques de ses communautés, Point-Africa deviendra un outil et un symbole de l'intégration du continent. L'Afrique dans un seul espace est la devise Point-Africa.
Le succès du Point-Africa dépendra en grande partie de la façon dont les gouvernements africains et les entreprises utiliseront ce Domaine. Les gouvernements devraient commencer par réserver (et protéger) les noms ayant une signification économique, culturelle, sociale et religieuse avant la disponibilité du Domaine au public le 3 juillet 20017.
La CUA et ZACR ainsi que les organes de l'UA devraient s'engager dans de grandes activités de marketing visant à amener les acteurs à utiliser le Point-Africa. Plus le Point-Africa est utilisé, plus les revenus sont générés, de sorte que davantage de possibilités de financement de projets TIC, y compris, mais sans s'y limiter, le développement du domaine de premier niveau des codes de pays (ccTLD), le renforcement des bureaux d'enregistrement et du marché du DNS en général.
Yacoub ABEIDI