09-07-2017 00:00 - Elsa Miské : "Que les premiers concernés racontent eux-mêmes leurs histoires"
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Le Point - VIDÉO. Elsa Miské et Nicolas Baillergeau lancent une association pour réveiller l'Afrique d'aujourd'hui dans les médias à travers des récits nouveaux. Rencontre.
Propos recueillis par Malick Diawara et Viviane Forson
Bien décidés à réussir leur pari, Elsa Miské, consultante formatrice en stratégies digitales, et Nicolas Baillergeau, reporter indépendant, arrivent par un après-midi bien ensoleillé pour une discussion franche autour d'un sujet qu'ils ont vissé au corps : l'image de l'Afrique dans les médias.
Guerres, famines, corruption : un triptyque toujours d'actualité lorsqu'il s'agit du continent africain. Mais depuis plusieurs années des voix émergent pour faire place à d'autres récits. Parmi lesquels figurent de grands médias internationaux mais aussi nationaux, locaux et bien souvent des blogs. Des personnalités, écrivains, économistes portent aussi la voix de cette Afrique nouvelle.
Bémol : toute cette énergie, cet optimisme est noyé, car la qualité n'y est pas toujours. Avec son mètre soixante et ses frêles épaules, Elsa Miské, professionnelle de la communication, a « dit stop».
Et imaginé avec un reporter amoureux de l'Afrique depuis sa plus tendre enfance, Nicolas Baillergeau, une solution innovante pour former ceux qui en ont le plus besoin. Ils sont journalistes, professionnels de l'image, blogueurs, mais pas que.
Certains n'ont rien à voir avec ces métiers, mais veulent tout simplement raconter ce qu'ils vivent au quotidien. Désormais, c'est chose possible. Slice-up est une jeune association créée en 2016 qui a déjà formé une dizaine de journalistes et de blogueurs en Mauritanie.
Un pays cher au cœur d'Elsa, mais aussi un sacré pied de nez à ceux qui pensent qu'il n'y a qu'une histoire qui prévaut dans certains pays. Car le résultat est là et bien visible sur une plateforme participative.
Il suffit aux vidéastes formés gratuitement aux outils numériques (le smartphone principalement) de poster leurs vidéos sur Internet et ainsi de faire émerger de nouvelles histoires.
Mais le duo ne compte pas s'arrêter là . Ils lancent des sessions de formation dans plusieurs pays africains, à commencer par le Togo. En fait, que sait-on du Togo d'aujourd'hui ? De quand date la dernière actualité du pays reprise dans tous les médias ? Eh bien, de 2015 ! Avec Slice-up, plus question de ne pas entendre les voix africaines dans le récit mondial.
Elsa Miské s'est confiée au Point Afrique sur cette approche innovante et sur les actions menées pour atteindre leur objectif, avec l'appui d'une marraine de cœur en la personne de l'actrice Aïssa Maïga...
Le Point Afrique : Quel a été le déclic de votre initiative ?
Elsa Miské : Lors de nos voyages sur le continent, nous avons eu la chance de rencontrer et de côtoyer des acteurs de la société civile, porteurs d'initiatives innovantes et avec qui nous avions envie de collaborer.
Il se trouve qu'ils sont nombreux à être en demande d'outils pour mieux communiquer auprès de leur public. Qu'il s'agisse d'entrepreneurs sociaux, de blogueurs, d'artistes, d'activistes écologistes, ils ont toujours un sujet de prédilection et le Web permet de cibler assez facilement les personnes susceptibles de s'intéresser à leur sujet, et ainsi de construire une audience et de diffuser largement leur message.
C'est suite à une formation que nous avons donnée à Nouakchott, à la demande de l'ambassade de France et à destination de dix journalistes, que nous avons décidé de développer ce projet.
Pouvez-vous nous en dire l'originalité ?
Nous pensons que l'originalité de notre projet réside en partie dans le fait d'élargir la conception que l'on a du terme de journaliste : aujourd'hui, tout le monde peut produire du contenu qui raconte quelque chose sur son environnement, et la parole des premiers concernés est incontestablement unique. C'est pourquoi nous encourageons le développement de plateformes créées par des autodidactes qui ont envie de raconter leur pays et de s'impliquer positivement dans leur communauté.
Comment l'idée a-t-elle été reçue sur le terrain ?
En Mauritanie, où nous avons fait notre première formation, tout s'est bien passé, c'est pourquoi l'ambassade nous a demandé de revenir en novembre prochain. Au Togo, où nous avons pu recruter dix participants grâce à l'aide de Richard Folly, data journaliste et formateur à Slice-up, le projet a été accueilli avec beaucoup d'enthousiasme. Depuis le début de notre campagne, nous avons reçu de nombreux encouragements et demandes d'inscription de la part de blogueurs de toute l'Afrique francophone.
Votre idée fait de la société civile un acteur des contenus médias. Que pensez-vous que cela va changer dans le regard posé sur l'Afrique ?
Le fait de proposer des contenus créés par la société civile africaine change de fait le regard posé sur l'Afrique, car il s'agit d'un regard de l'intérieur, et non de l'extérieur. Le fait de maîtriser son image, c'est un pouvoir en soi : tout le monde n'a pas accès aux mêmes réseaux ou compétences techniques pour assurer une diffusion optimale de son message.
Comme nombre de start-up, vous souhaitez lever des fonds. Combien pensez-vous qu'il vous faut pour construire un véhicule efficace et durable ?
Chaque formation coûte aujourd'hui environ 10 000 euros à organiser, et cela sans compter le coût des smartphones, que nous aimerions avoir grâce à un sponsor. Nous souhaitons faire une dizaine de formations par an. À terme, l'objectif est que les personnes formées deviennent elles-mêmes formatrices et que personne ne dépende de nous.
Une fois que le projet sera lancé, quel modèle économique pensez-vous adopter pour permettre à votre structure de se développer et à vos partenaires fournisseurs de contenus de s'y retrouver ?
Nous allons prototyper au mois de novembre une plateforme de contenus géocolalisés réalisés par les personnes formées, c'est déjà une première étape. Une fois qu'il y aura des contenus de plusieurs pays, nous réfléchirons à un modèle économique durable, car il est évidemment primordial de rémunérer ceux qui produisent les contenus.
Finalement, quel message voulez-vous qu'on retienne au-delà derrière votre projet ?
Nous souhaitons que les premiers concernés racontent eux-mêmes leurs histoires, ce qui permettrait que des images plus complexes et plus proches des réalités africaines soient véhiculées à travers les médias.
* Pour soutenir Slice Up, association qui forme gratuitement des journalistes, blogueurs, membres de la société civile africains grâce au numérique, un financement participatif est lancé pour que "les premiers concernés racontent leurs histoires".